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D. Depuis quelques années, on a inuenté une nouuelle sorte d'imposition sous le nom d'Aisez et sous Aisez, qui a fait beaucoup de bruit et dont plusieurs se plaignent et à mon iugement anec raison. Ie vous prie de m'en dire le vostre.

que

R. A cela ie ne sçay que vous respondre. Le cœur me saigne quand i'y pense. Cette inuention n'est pas des hommes. Elle ne peut estre sortie de l'Enfer pour la ruine uniuerselle de l'Estat en général et de chacun en particulier; qui met les François dans vne condition plus rude qu'ils ne seroient pas sous la domination du Turc et par laquelle il n'y a personne dans le Royaume, de quelque condition qu'il soit, qui puisse s'asseurer d'auoir vn teston en propre et dont il puisse faire estat. D. Ie vous prie de me l'expliquer plus clairement.

R. C'est que sous la domination du Turc les taxes sont arrestées et publiques, où chacun sçait ce qu'il doit par teste, après quoi il possède son bien en repos et tranquillité. Au lieu que si outre les Tailles et mille impositions qui sont sur les denrées, que l'on rend infinies par des augmentations si estranges que les peuples succombent sous le faix; si, dis ie, outre cela il est permis à vn Ministre ou à vn Fauory qui abusera de l'authorité du Prince, de taxer les particuliers quand bon lui semblera, et à telles sommes qu'il lui plaira, sous prétexte qu'ils sont accommodez dans leur condition, et les contraindre de payer ou de gré ou de force, qui ne voit que c'est mettre tout le bien des particuliers au pillage de ces insatiables et qui ne diront iamais : C'est assez, encore qu'ils ne trouuent plus rien à prendre. Il y a encore vn autre mal dans cette maudite inuention. C'est la méthode que l'on a tenue pour ces leuées; car ie ne diray

en ceci que ce dont ie suis témoin qu'ayant fait signifier des taxes d'Aisez, ceux auxquels la signification estoit faite, ayant recours aux Partisans à Paris ou à leurs sous Traitans ou Commis dans les prouinces, en estoient facilement dispensés, en donnant à sous main le quart ou le tiers de leur taxe; au lieu desquels on en substituoit d'autres. Si bien que c'estoit vne porte ouuerte à vn brigandage public; et pour vn million, par exemple, de traité qui en venoit au Roy ou, pour mieux dire, à ses Fauoris, il s'en leuoit quatre ou cinq sur le pauure peuple. Iugez si en ce cas la condition des François qui se disent libres pardessus toutes les nations du monde, n'est pas plus malheureuse que celle de ceux que nous appelons esclaues sous l'Empire du Turc!

Remerciment des Imprimeurs à Monseigneur le Cardinal Mazarin [3280] '.

(4. mars 1649.)

Monseigneur, nous ne serions pas dignes de nostre bonne fortune, si nous tardions dauantage à vous en remercier, auec tous les témoignages d'vne très-sensible obligation. Nous ne pouuons souffrir que tout le monde se plaigne de vostre Eminence, et que personne ne s'en louë. Vos bien-faits sont trop visibles pour les dissimuler; et nous les receuons dans vn temps qui les rend encor plus considérables, et qui confond la calomnie de tous

'Ce pamphlet n'est cité qu'en passant par Naudé. Il méritait mieux,

vos ennemis. L'on vous accuse de vouloir faire périr de faim la ville de Paris; mais est-il rien de plus ridicule? puisque c'estoit nostre corps qui s'en deuoit le premier sentir, et qui deuoit plutost tout seul satisfaire à vostre fureur, comme celuy qui a tousiours vescu dans le glorieux mépris des richesses, qu'il professe auec tous les Maistres des autres arts nobles et libéraux, qui ne gardent rien d'vn iour à l'autre. Tous les bourgeois estoient munis de tout ce qui leur pouuoit estre nécessaire pendant vn blocus de plus d'vn an. Nous n'auions ny argent ny viures; toutes fois graces à Dieu, et à vostre Éminence, Monsieur saint Iules nostre second patron, nous sommes auiourd'huy les mieux accommodez; et nous craignons plus de manquer d'ancre et de papier, que de pain et de vin, ny de viande.

de

C'est vne chose admirable aussi de quelle façon nous trauaillons. Vostre vie est vn suiet inépuisable pour les autheurs et infatigable pour les Imprimeurs. C'est le plus heureux métier de Paris; et le gain est auiourd'huy comparable à sa dignité. Il ne se passe point de iour que nos presses ne roulent sur plus d'vn volume de toutes sortes d'ouurages, tant de vers que de prose, de Latin que François, tant en charactères Romains qu'en Italiques, comme gros canon, petit canon, parangon, gros romain, saint augustin, cicero etc. Vne moitié de Paris imprime ou vend des imprimez; l'autre en compose; le Parlement, les Prélats, les Docteurs, les Prestres, les Moines, les Hermites, les Religieuses, les Cheualiers, les Aduocats, les Procureurs, leurs Clercs, les Sécrétaires de Saint Innocent, les filles du Marais, enfin le Cheual de Bronze et la Samaritaine écriuent et parlent de vous. Pierre du Quignet ne sçauroit plus garder le silence qu'ont rompu

des statues, puisque les morts mesme ressuscitent pour venir dire leur sentiment de la conduite de V. E. Les Colporteurs courbent souz le poids de leurs imprimez au sortir de nos portes; ils ne font pas cent pas, qu'ils ne soient soulagez du plus pesant de leur fardeau; et ils reuiennent à la charge avec vne chaleur plus que martiale.

Nous nous réiouyssons de tant de renom que vous vous estes acquis. Vous estes le seul du monde en qui l'on ait tant trouué à dire et à redire ; vostre nom ne mourra iamais, non plus que celuy d'Hérostrate qui brusla le temple d'Éphèse, comme nous nous souuenons d'auoir plusieurs fois imprimé; aussi auez vous plus entrepris; et c'est toute autre chose d'auoir voulu consommer vne ville comme Paris et saccager tout vn Royaume. Nous ne mourrons iamais de faim non plus; et la postérité ne pourra iamais ignorer, que nous n'ayons eu plus d'obligation à vostre Eminence, quoy qu'ignorante, qu'à tous les Doctes, et à tous leurs ouurages sacrez ou prophanes. Les armuriers ne témoignent pas moins de ressentiment du bonheur que vous leur auez causé. Le sieur de Benicourt, Maistre de la Chasse Royalle, vous en fera ses remerciemens au nom de tous les confrères; et vous deuez attendre la mesme reconnoissance de la plupart des autres corps de marchands. Ainsi, quoyque sans doctrine et sans valeur, V. E. s'est signalée par les lettres et par les armes.

Il nous reste vne chose à desirer, pour comble d'vne dernière fortune; c'est vn arrest de mort, qui sera celuy de vostre canonisation par nostre compagnie. Toutes les nations le feront traduire en leur langue; chaque pays, chaque ville, mais plustost chaque maison vous dres

sera vn Cenotaphe; et la France particulièrement comptera ses années par celle de vostre supplice, qui sera celle de sa liberté. Ce sera pour lors qu'il faudra s'employer nuit et iour à en faire des relations auec diuerses figures en taille de bois; l'on criera vostre descente aux enfers, vostre rencontre avec le Marquis d'Ancre, vostre entretien auec Iean Prochyte, qui sonna les Vespres Siciliennes, les reproches que Monsieur le Président Barillon vous fera du Sein d'Abraham, vostre testament de mort', les regrets de vos Niepces, les consolations à la Muti, la Martinozzi et la Manzini, vos sœurs, les iustes reproches de la Signora Portia Vrsina à Pietro Mazarini, vostre père, sur l'inégalité de leur Mariage, l'année Climatérique de la race Mazarine, contenant le progrez et la fin de la fortune des deux cardinaux auec leur apothéose, et autres galanteries qui se débiteront, bonnes ou mauuaises, pour les recueils que les curieux font de tout ce qui se publie.

Nous espérons que ce supplice sera pareil à celuy de Saint Iean de Latran, nostre principal patron. Il a esté le vostre, quand vous auez esté chanoine de son Église à Rome. La France qui vous donna sa voix pour cette dignité, que vous ne méritiez pas, vous condamne réciproquement à la peine qu'il n'auoit pas meritée. Consolez-vous, Monseigneur, de ce qu'elle sera extraordinaire, et que les Césars et la plus grande part des personnes illustres ont fait vne fin tragique; peut estre que les tour

1

Il y a en effet deux testaments du cardinal Mazarin; l'un, Testament solemnel du cardinal Mazarin, etc. [3766], est de 1649, mais du 19 janvier, et par conséquent antérieur au Remerciment; l'autre, Testament du cardinal Mazarin, qu'il a renouvelé à son départ [3764], est de 1651. 2 Les Soupirs et regrets des nièces de Mazarin, etc. [3708]?

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