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Plaute 1; que Guillaume de Blois imite une pièce de Ménandre, nouvellement traduite en latin, et que Jofroy de Waterford met en français Darès et l'histoire romaine d'Eutrope 3. Grâce à cette influence, Philippe Gautier, dans son Alexandréide, mise en vers d'après Quinte Curce, s'efforce d'imiter Lucain; l'historien Rigord débute dans sa chronique par citer Horace et Virgile, et Guillaume le Breton, dans sa Philippide, prend pour modèle Ovide. Basingstoke fait le voyage d'Athènes pour apprendre le grec, et son compatriote Robert Grossetête, le célèbre évêque de Lincoln, fait venir des manuscrits grecs d'Athènes, pour s'en former une magnifique bibliothèque, qu'il donna plus tard aux Franciscains d'Oxford. Il nous légua, comme preuves de son savoir, ses traductions de Denis l'aréopagite, de Damascène et de Suidas.

Sans parler de Papias et de Guiot de Provins, qui, dans sa Bible, cite un certain nombre d'auteurs anciens, nous nommerons l'auteur anonyme des vocabula a poetis usurpatas et surtout Vincent de Beauvais, le grand encyclopédiste du xu siècle, qui connaissait presque tous les écrivains de l'antiquité 9.

Mais l'érudition de Vincent de Beauvais n'était pas commune alors, et les clercs ses contemporains n'avaient pas fait en général de si fortes études. Le fabliau intitulé le Département des livres, que nous allons citer, démontrera au contraire que les ouvrages des anciens étaient loin de former la majeure partie des livres classiques.

Chascuns enquiert et veut savoir

Que je ai fet de mon avoir,

Et comment je suis si despris
Que n'ai chape ne mantiau gris,
Cote, ne sorcot, ne tabart,

Tout est alé à male part.
Li tremeriaus 10 m'a abatu,

Par ma folie ai tout perdu,
Tout mon avoir et toz mes livres
Grant pieça que j'en sui delivres,
En duel ai torné mon revel,

Hist. litt. de la France, tom. XXII, p. 40.

2 Ibid., tom. XXII, p. 52.

3 lbid., tom. XVI, p. 141, et tom. XX, p. 216.

Ce poëme, qui a été imprimé plusieurs fois au XVIe siècle, obtint un grand succès au moyen âge. Voy. Hist. litt. de la France, tom. XVI, et Fabricius, Bibl. latin. media et infimæ ætatis, lib. III.

Voy. Rec. des histor. de France, tom. XVII, page 1. 6 Voy. Rec. des histor. de France, tom. XVII, page 117. 7 Voy. R. Bacon, De utilitate scientiarum, cap. XXXIX. Ms. de la Biblioth. impér., n° 7598 (anc. fonds latin).

Auteurs grecs (livres attribués à Mercure Trismégiste, à Esculape, à Musée, etc.): Hesiode, Homère, Alcman, Esope, Thalès, Anaximandre, Pythagore, Alcmæon, Héraclite, Parménide, Anaximène, Empedocle, Ocellus Lucanus, Eschyle, Anaxagoras, Protagoras, Gorgias, Archytas de Tarente, Hérodote, Sophocle, Euripide, Socrate, Démocrite, Hippocrate, Xénophon, Ctésias, Platon, Speusippe, Eudoxe, Pythéas, Aristote, Démosthène, Xénocrate, Ménandre, Théophraste, Métrodore, Epicure, Zénon, Dioclès, Praxagoras, Erasistrate, Heraclide, Euclide, Aratus, Eratosthène, Hipparque, Polybe, Panatius, Nicandre, Posidonius.

Auteurs latins: Plaute, Ennius), Cæcilius, Accius, Térence, Caton l'Ancien, Jules César, Cicéron, Nigidius, Cornelius-Nepos, Varron, Gallus, Tibulle, Virgile, Horace, Ovide, Manilius, Vitruve.

Quant aux auteurs grecs ou latins qui ont fleuri après l'ère vulgaire, la liste en serait trop longue, et nous renvoyons le lecteur au tom. XVIII de l'Hist. litt. de la France (p. 483), où nous avons puisé la liste des noms que nous venons de citer.

10 Jeu de hasard.

Quar je cuit que il n'aist chastel

En France que je n'i alaisse,
Et de mes livres n'i lessaisse.
A Gandelus lez La Ferté
La lessai-je mon A. B. C.,
Et ma patenostre à Soisson,
Et mon Credo à Monloon,
Et mes set siaumes à Tornai
Mes quinze siaumes à Cambrai,
Et mon sautier à Besençon,
Et mon kalendier à Dijon.
Puis m'en revint par Pontarlie;
Iluec vendi ma litanie,

Et si buí au vin mon messel,
A la ville où l'en fet le sel
Aus espices à Monpellier
Lessai-je mon antefinier;
Mes legendes et mon greel 1
Lessai-je à Dun le Chastel.
Mes livres de Divinité
Perdi à Paris la cité,

Et cels d'art et cels de fisique,
Et mes conduis 2 et ma musique,
Grant partie de mes auctors
Lessai à Saint-Martin à Tors;
Et mes doves est à Orliens,
Et mes chacones à Amiens :
A Chartres mes Théodeles 3
A Roen mes Aviones 4,
Mes Ovides est à Namur,
Ma philosophie à Saumur,
A Bouvines delez Dinant
La perdi-je Ovide le grant.
Mi regiment sont à Bruieres,
Et mes gloses sont à Maisieres.
Mon Lucan et mon Juvenal

Oubliai-je à Bonival.
Estace le grant et Virgile
Perdi aus dez à Abevile.
Mes Alixandres est à Goivre,
Et mon Grecime 5 est à Auçoirre,
Et mon Thobie est à Compiengne,
Ne cuit que je jamès le tiengne,
Et mon doctrinal est à Sens,
La perdi-je trestout mon sens.
Ainsi com je vous ai conté,
Jamès ne seront racheté
Mi livre en trestoute ma vie,
Toute ai perdu ma clergie
Se je ne truis aucune gent
Qui me doingnent de lor argent,
Autrement ne les puis ravoir!

1 Graduel.

2 Cantique.

3 Théodulus, moraliste, auteur d'un poëme latin sur la vérité et le mensonge. Avienus, fabuliste.

5 Ouvrage grammatical appelé Greeismus, d'Eberhard de Béthune

Or li doinst Diex sens et savoir,
Qui m'en donra par tel convent,
Se je revieng en mon couvent
Je ferai proier en chapitre

Que Diex set pechiez li acquite.

Cette insouciance à l'égard des livres, que possédait l'auteur de ce fabliau, nous la retrouvons plus répandue que jamais au xive siècle 1.

Le caractère de ce siècle est extrêmement difficile à définir. C'est une époque d'enfantement, de lutte, de fusion, d'oscillation, de retour, de compromis. En politique, la féodalité tombe, tandis que le tiers état commence à s'élever; en religion, le schisme et l'immoralité du clergé préparent la réforme. Les préoccupations politiques favorisent l'indifférence générale. Tout est enfance ou décadence.

Si on compare les productions de ce siècle à celles du précédent, on ne peut s'empêcher de remarquer une décadence sensible dans toutes les branches des connaissances humaines. Les théologiens les plus célèbres du xive siècle n'approchent pas de saint Bonaventure, de saint Thomas d'Aquin, de Guillaume de Saint-Amour, d'Hugues de Saint-Cher et de Robert Sorbon. Aucun érudit ne succède à Vincent de Beauvais ou à Brunetto Latini. La chaire n'est point déserte, mais les prédicateurs qui l'abordent n'ont pas les accents éloquents de saint François d'Assise, de saint Antoine de Padoue, de saint Hyacinthe et du crédule J. de Voragine. Les légistes ne possèdent dans leurs écrits ni la singulière originalité de P. de Beaumanoir et de Pierre des Fontaines, ni la science classique d'Accurse. Malgré les efforts de Bradwardin, de Dondi et de Walingford, les mathématiques, la chimie et l'astronomie, qui avaient fait quelques progrès, grâce R. Bacon, à Fibonacci et à Guillaume d'Auvergne, sont délaissées ou transformées en alchimie et en astrologie. La philosophie scolastique elle-même finit avec Occam, son dernier et brillant défenseur 2. La langue seule a fait de grands progrès, et Froissard couvre de sa réputation le triste siècle où il a vécu.

L'étude de l'antiquité ne se soutient que faiblement au milieu d'un tel chaos; quelques écrivains cependant s'efforcent, comme Pétrarque et Richard de Bury, de la propager. C'est ainsi que Pierre Bercheur traduit par ordre du roi Jean les décades de Tite Live 3, que Philippe de Vitri, évêque de Meaux, donne la traduction des Métamorphoses d'Ovide, et que Simon de Hesdin popularise les œuvres de Valère Maxime.

Ces traductions, alors toutes nouvelles, qui servirent à propager un peu l'histoire et la littérature des temps anciens, étaient dues à l'influence du roman de la Rose et des Specula, ces deux encyclopédies d'an genre si différent, l'une à l'usage des gens du monde, l'autre à l'usage des érudits, toutes les deux fruits jumeaux et non mûris de la renaissance du XIIe siècle,

Si des hommes tels que saint Thomas d'Aquin et Vincent de Peauvais n'avaient point été frères prêcheurs, nous aurions attribué à leur ordre l'indifférence très-sensible qui se manifeste au xiv siècle à l'égard des études classiques.

Le règlement des Dominicains s'opposait en effet à ce qu'ils étudiassent

1 Voy. Méon, Nouv. rec., tom. I, page 404, et Hist. litt. de la France, tom. XXI, p. 99 (art. de M. Leclerc).

2 Voy. Haureau, De la philosophie scolastique, t. II, p. 41, et suiv.

3 A la même époque, les décades de Tite Live furent traduites pour la première fois en espagnol, par P. Lopez d'Ayala, qui les avait rapportées d'Italie.

Le Speculum historiale fut traduit pour l'usage de Jeanne de Bourgogne, première emme de Philippe de Valois.

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les livres païens « In libris gentilium philosophorum non studeat, et.si ad horam suscipiat seculares scientias non addiscat, nec artes quas liberales vocant. » Cet article très-explicite est suivi d'un autre, qui les invite à ne lire que les écrits théologiques : « sed tantum libros theologicos tam juvenes quam alii legant. » Enfin, un troisième leur indique la Bible, les histoires scolastiques et les sentences comme les seuls ouvrages sur lesquels ils doivent apporter toute leur attention : « Statuimus ut quælibet provincia fratribus suis missis ad studium, ad minus in tribus libris tenentur providere videlicet in biblia, historiis scholasticis et sententiis et ipsi in his tam in textu quam in glosis studeant et intendant1. »

Un tel règlement à l'usage d'hommes qui devenaient professeurs ou écrivains a dû, s'il fut exécuté, avoir une influence médiate excessivement fâcheuse, et il n'y aurait rien que de très-vraisemblable à ce que Vincent de Beauvais et saint Thomas d'Aquin l'eussent suivi, avant que d'acquérir la science qui les a rendus si célèbres.

Mais la question que nous soulevons ici est, il faut l'avouer, fort difficile à approfondir, et de celles que l'on ne peut discuter et résoudre en quelques pages. Le fait certain, incontestable, est que cette décadence existe et qu'elle a été signalée même par les contemporains.

« Nous voyons dans ces tristes temps, s'écrie R. de Bury, le palladium de Paris renversé, Paris où languit et même se glace presque entièrement l'ardeur si noble de l'école, et d'où jadis la lumière répandait ses rayons sur tous les points de l'univers. Toutes les plumes des scribes sont déjà en repos, la race des livres ne se propage plus, il n'y a personne qui cherche à passer pour un nouvel auteur: « Nec est qui incipiat novus auctor haberi2. »

Si la lecture du Philobiblion est instructive au point de vue de l'histoire littéraire du siècle où il a été composé, elle ne l'est pas moins aux yeux des bibliographes. En effet, dans le chapitre xix, intitulé « de ordinatione provida qualiter libri extraneis concedantur 3», l'auteur établit une règle pour faciliter la communication des livres aux étrangers. La question du prêt des livres, qui fait encore le désespoir des administrations des bibliothèques, est résolue par le système du cautionnement.

«Si on vous demande un livre, dit Bury, prêtez-le, mais exigez un gage en échange, et que ce gage ait une valeur réelle, plus grande que celle du livre. >>

Où Bury avait-il pris ce règlement encore en usage à Oxford? Était-ce le résultat de ses méditations? Etait-ce une réminiscence de ce qu'il avait pu voir pratiquer ailleurs?

C'est là une question assez importante à résoudre, au point de vue de l'histoire de la bibliographie, et que nous devions naturellement nous poser.

Si, comme éditeur du Philobiblion, nous regrettons de retirer à R. de Bury l'honneur d'avoir établi le premier un règlement de bibliothèque, nous sommes heureux, comme Français, de rendre à notre plus belle institution littéraire l'Université de Paris ce qui lui appartient en propre.

C'est en effet à la Sorbonne que nous devons le premier règlement sur l'organisation d'une bibliothèque.

Ce règlement, intitulé De libris et de librariis, fut mis en vigueur en 1321,

1 Voy. Philobiblion, traduct., p. 57 et 58, Note. Philobiblion, traduct. page 100. Texte, page 248.

3 Ibid. traduct. page 155. Texte, p. 276.

↳ Ce précieux document se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale (fonds de Sorbonne, no 1280, o 9). Il nous a été indiqué par notre confrère et ami M. Vallet de Viriville.

quelques années avant que Richard de Bury ne vint à Paris. Il est peut-être plus étendu que celui de l'évêque de Durham, mais il y a peu de différence entre eux. Le premier article établit le système du cautionnement, et le second ordonne l'élection des gardiens ou bibliothécaires par les socii. Ces deux articles fondamentaux se retrouvent dans le règlement de R. de Bury et en forment les points essentiels; aussi est-il impossible de ne point reconnaître là une imitation.

Il est d'ailleurs aisé d'expliquer cet emprunt fait par notre bibliophile à la Sorbonne. Son goût pour les lettres et la haute position qu'il occupait dans le monde politique lui facilitaient l'entrée de cet établissement, où, une fois admis, il ne devait pas manquer de visiter la bibliothèque et de s'informer auprès des conservateurs de l'organisation qui la régissait.

Le règlement avait été du reste composé par plusieurs professeurs parmi lesquels se trouvait l'un de ses compatriotes, Thomas d'Angleterre (Thomas de Anglia), et Bury n'eût pas visité la Sorbonne, qu'il n'en aurait pas moins obtenu la communication.

Le chapitre qui renferme ce règlement aurait dû terminer le Philobiblion, mais l'auteur a pensé que les futurs écoliers, qui, grâce à lui, pouvaient vivre dans son collége et se servir de ses livres, lui devaient au moins une prière.

Malgré le soin qu'il prend de la leur composer, nous doutons, vu sa longueur, qu'elle ait été souvent récitée. Moins ingrat que ceux à qui il s'adressait, nous espérons que le bibliophile, qui n'a hérité que de son ouvrage, voudra bien se souvenir de l'écrivain honnête et libéral auquel il doit le seul traité qui ait jamais été fait sur l'amour des livres et qu'il est assez singulier de voir paraître à une époque où on les aimait si peu.

H. COCHERIS.

1 Voici le texte de cet article: Ut nullus liber prestetur extra domum alicui nec socio nec extraneo sub juramento, nisi super vadium, amplius valens et in re que servari potest. puta, auro, argento vel libro; et hec vadia serventur in cista ad hoc deputata. >

C'est même probablement en parlant de la bibliothèque de la Sorbonne, qu'il s'écrie: ibi bibliotheca jucunda super cellas aromatum redolentes. Philobiblion, cap.VIII, p. 239. L'auteur anonyme d'un factum de l'Université, publié en 1678, contre le chantre de l'église cathédrale, sur le droit qu'il prétendait avoir d'ériger des écoles de grammaire (deuxième partie, p.84) rappelle les visites faites par R. de Bury à la Sorbonne. « R. de Bury,> dit-il, autrefois ambassadeur du roy d'Angleterre en France, prenait un plaisir singulier de visiter l'Université. » Quantus impetus voluptatis lætificavit cor nostrum quoties paradysum mundi Parisiis visilare vacavimus etc. Mais dans le chapitre Ix, il déplore l'abus qui s'y glissa dans la profession des lettres humaines et de la grammaire, que l'on ne cultivait pas assez, afin de venir plus tost aux degrez, et par le moyen des degrez obtenir des bénéfices. Prisciani regulas et Donati statim de cunis erepti, et sic celeriter ablactati pertingunt categorias et perihermenias, etc.

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