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air de grandeur, & que l'affaire des Thermopiles, traitée par un auteur médiocre, ne formera qu'un tableau languiffant.

Pourquoi voit-on mille chef-d'œu vres de productions méchaniques, tandis qu'il eft fi rare de trouver un bon ouvrage d'efprit? C'eft que, dans le premier genre, les mains de différentes perfonnes concourent à la perfection de l'ouvrage; chacun travaille à fa partie; au lieu que, dans les ouvrages d'efprit, le talent d'un feul ofe exécuter la totalité ; on croiroit s'abaiffer, fi l'on demandoit du fecours à quelqu'un. Suppofez le génie philofophique de l'Abbé Conti uni au génie poëtique de Metaftafio, l'Italie n'aura point à envier à la France fa Tragédie.

Reprocher ouvertement à quelqu'un fes défauts ou fes vices, ce n'eft point une fatyre, c'eft une injure, & une injure groffière. La fatyre délicate doit être couverte d'un voile; elle doit fe faire entendre au lecteur par une induction tacite tirée de la nature de la chofe même. Je crois en voir un bon modèle dans ces vers de Racine con

tre deux personnages qui critiquoienė fa Tragédie d'Andromaque :

Le vraisemblable et peu dans cette pièce,

Si l'on en croit & d'Olonne & Créqui : Créqui dit que Pyrrhus aime trop fa mai

treffe:

D'Olonne qu'Andromaque aime trop fon

mari.

Ceux qui connoiffoient ces deux Meffieurs trouvèrent beaucoup de fineffe dans cette fatyre.

Il eft des gens qui, fans examiner le mérite réel d'un ouvrage, décident de fa bonté par la grandeur du volume, par la multiplicité des tomes, par la langue morte dans laquelle il eft écrit, par le nom & la réputation de l'auteur, par la beauté de l'édition. Je les à ceux qui ayant compare la vue trèsbaffe font de grandes révérences à un caroffe bien accompagné de domeftiques, & dans lequel il n'y a perfonne.

Une Dame Italienne, qui étudioit la langue Françoife, fe plaignoit à moi de la différence qu'elle y trouvoit entre l'orthographe & la prononciation.

Je lui répondis que les François étoient bien mieux fondés à fe plaindre des Italiens, qui parlent d'une façon, & le plus fouvent écrivent d'une autre. La différence, continuai-je, qu'il y a dans la langue Françoife entre la prononciation & l'orthographe, n'est qu'une affaire de méchanifme; mais, dans l'Italienne, parler différemment de ce qu'on écrit répugne à la nature de la chofe même, puifque l'écriture n'eft que l'image du difcours. Seriez vous contente, Madame, de ne pouvoir vous regarder que dans un miroir fait de façon qu'il vous repréfentât différente de ce que vous êtes? Assurément vous n'y gagneriez pas. Pour moi, tant que j'aurai le bonheur d'être auprès de vous, je ne perdrai jamais de vue bus vos charmes; mais, fi j'étois oigé de m'en éloigner, je voudrois portrait qui vous reffemblât parfaiten ent, où l'on n'eût point cherché à vousnbellir. En avez vous befoin?

Leombre des Dictionnaires s'eft fi prod eufement multiplié, qu'ils fuffiroit pour compofer une grande othèque. Mais, felon moi, il en manque un bien important. Il nous

faudroit un Dictionnaire de précifion, je veux dire un Dictionnaire qui nous fit connoître la fignification propre des mots, leurs différences les plus délicates, les vraies antithèfes, ce qui eft fynonime & ce qui ne l'eft point, les épithères véritablement juftes. L'Abbé Girard en a donné un effai; mais ce n'eft qu'un effai.

Les hommes abufent des meilleurs établifemens; ils les portent à l'excès. Les mots nous fervent à exprimer nos idées; mais le nombre trop confidérable des mots nous rend inintelligibles. Chaque fcience, chaque profeffion a fon vocabulaire à part; ainfi, loin de fe prêter un fecours réciproque, chaque art devient un pays inacceffible à qui ne le profeffe pas.

Pour bien écrire, le plus important des préceptes eft de ne s'affujettir à aucun. Anne Comnène, dans la vie de fon père l'Empereur Alexis, relève judicieufement l'abus de tant de méthodes pour étudier l'arr d'écrire. » Ces exercices, dit elle, font bas & puériles. Ils éloignent de la lecture & de l'imitation » des maîtres de l'art. Que je regrette, » continue-t-elle, que je fuis indignée

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» d'avoir perdu tant de temps à ces baga» telles ! Lorfque i en ai reconnu le ridicule, » je me fuis appliquée à former mon style fur celui des anciens. « Bien écrire, eft une affaire de goût; ainfi le jugement des femmes n'eft pas le moins für.

Dans mes voyages, je fus préfent à une converfation entre un François & un Anglois. En voici l'occafion. Le premier annonçoit à l'autre une traduction Françoife des Loix de la République. de Platon, que préparoit un de fes compatriotes. Ce travail, difoit-il, étoit d'autant plus précieux, qu'il fortoit de la plume d'un homme qui avoit déja donné au public des ouvrages originaux où il avoit montré un génie créateur. L'Anglois, d'un air plus vain qu'orgueilleux s'échappa jufqu'à dire que les fciences & les lettres étoient perdues en France, grace aux traductions des auteurs claffiques qu'on y voyoit paroître chaque jour, & qui, felon lui, éroient la fource de l'abandon où tomboient dans cette nation les langues Grecque & Latine.

Pourquoi, reprit en fouriant le François, ne vous plaignez vous pas auffi de l'oubli dans lequel on laiffe

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