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M. ORGON.

Pas encore, ma fœur, mais je l'aurai par le courier d'aujourd'hui ou par celui de demain au plus tard, & je fouhaite d'avance que le premier lot foit à vous.

Mde. D A MON.

Vous me fouhaitez plus que je ne demande. Je ne defire point d'être riche, vous le fçavez. Mais vous n'igno. rez pas auffi que mon mari eft un peu plus qu'économe, & qu'il ne me laiffe guères les moyens de rendre fervice. Si je pouvois feulement gagner une centaine d'écus, je lui en donnerois la moitié, afin qu'il m'accordât la permiffion de faire préfent de l'autre à Caroline ma nièce, qui eft la plus aimable enfant du monde.

M. ORGON.

Je crois en effet qu'elle eft d'un fort bon caractère & fi j'étois maître de mon bien, je lui en donnerois moi-même une partie. Mais, ma chère fœur, nos deux ménages font bien différens. Chez vous c'est le mari, & chez moi c'est la femme qui difpose de l'argent.

Mde. D A MON.

Mais pourquoi le fouffrir & vous ôter ainfi la liberté de faire du bien à vos parens & à vos amis ?

Cette demande amène l'expofition du caractère d'Orgon. C'eft une efpèce de M. Douillet qui ne fe trouve heureux qu'autant qu'il ne fonge à rien, & même qu'il ne veut rien.» Mes rentes, dit-il, me » viennent fans que j'y penfe, & quand » elles me font venues, je n'y penfe "pas davantage; car je les abandonne » à ma femme. Quand elle m'avertit qu'il faut manger, je mange; quand elle me dit de prendre du » caffé, j'en prends, pourvû qu'elle m'en verfe. En un mot, ma femme gouverne mon ame, mes defirs & "mon argent comme il lui plaît, & je trouve cela affez commode. Je m'épargne de cette façon la plupart des peines qui, fi elles n'abrègent point la vie, la rendent du moins très-défagréable. »

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Madame Damon lui dit avec efprit qu'il n'eft dans fa maifon qu'un chariot d'enfant qui ne peut aller que lorfqu'on le met en mouvement.

Entre fur la scène Mde. Orgon, femme médifante, tracaffière, envieufe. Mde. Damon, après l'avoir reçue, fort pour aller chercher M. Damon.

Mde. Orgon reftée feule avec fon mari fe récrie fur la parure de fa belle- fœur, & demande quel étoit le fujet de leur entretien. Damon l'a oublié, & il lui en coûteroit trop de peine à fe le rappeller. La femme infifte, & le mari, après avoir fait un effort de mémoire, lui dit qu'il s'agiffoit d'un billet que Mde. Damon a mis à la Loterie de Berlin, & dont elle lui demandoit des nouvelles en arrière de fon mari qui n'en fçait rien.

Son mari l'ignore donc, reprend Mde. Orgon! C'est ce qui m'en plaît. Voilà donc cette femme raifonnable & fage dont tout le monde fait fonner fi haut la vertu! Elle vole fon mari pour mettre à la loterie, & Dieu fçait pourquoi! C'est pour s'habiller plus magnifiquement. Et puis elle ne cherche point des adorateurs! Justifiez-la donc à préfent, & dites que j'en penfe mal..

Je pourrois peut-être la juftifier, replique Orgon, mais c'est une peine que n'ai point envie de prendre.

Mde. ORGON.

N'est-ce pas là me donner un démenti formel: Car il faut de deux chofes l'une: ou notre fœur eft ce que je dis, ou je fuis une médifante. Quel parti prenez vous?

M. ORGON.

Ni l'un, ni l'autre.

Mde. ORGON.

Et moi je vous foutiens que j'ai raifon. Qui aimez vous mieux de moi ou de notre fœur ? Qui eft-ce qui a foin de vous ?

;

M. ORGON. Oui, mon enfant, vous avez raison & elle auffi; en un mot, nous avons tous raison. Mais, fi vous l'aimez mieux, vous aurez raifon toute feule. Laissez moi feulement en repos, & venez m'embraffer.

Mde. ORGON.

Vous ne méritez pas trop cette récompense; mais, pour vous faire voir que je ne fuis pas opiniâtre, je... (Elle l'embraffe) N'eft-ce, pas mon cher ami, que vous aviez tort?

M. ORGON.

Oui, oui, mon enfant.

il

Mde. OR GON.

(En l'embraffant de nouveau). N'estpas vrai que Madame Damon n'eft pas à beaucoup près fi belle qu'on la fait ?

M. ORGON. ·

Oui, ma chère amie, vous êtes beaucoup plus belle.

Mde. ORGON.

(En l'embraffant encore) Tout le monde a la fureur de la prôner, pour moi je trouve qu'il y en a beaucoup à ra

battre.

M. ORGON.

Vous la furpaffez en tout. Mais ne me faites pas tant parler.

Madame Orgon qui voit venir M. Damon, à qui elle brûle d'apprendre que fa femme a mis à la loterie à fon infçu, éloigne fon mari en l'envoyant lui chercher de l'argent. Comme la fcène fe paffe le jour où Damon entre dans fa cinquante & unième année, Mde. Orgon lui fouhaite que le Ciel lui faffe achever l'autre moitié du fiècle.

Je fens

M. DAMON.

pas

trop bien que je n'irai là. Les foucis minent le corps, & vous

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