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M. de Voltaire, doivent rendre les journalistes très-circonspects quand ils rendent compte des pièces nouvelles; car ils ne peuvent savoir si le public, à la longue, jugera comme eux.

Vous dites que le personnage d'Azémire est indécent d'un bout à l'autre, et que par là même il n'est pas digne de la tragédie. Si vous entendez que l'excès de sa passion lui fait oublier sa gloire, je crois que vous avez raison; mais on ne peut admettre ce que vous en voulez conclure; et c'est l'oubli de sa gloire même qui la rend un personnage tragique. Il faut sans doute des bornes à cet oubli; mais Azémire est bien loin de passer ces bornes. Voyez Ariane abandonnant pour Thésée sa patrie et sa famille; Didon se livrant à un étranger, trahissant pour lui la mémoire de son époux, sa renommée, la pudeur, comme elle le dit elle-même; Armide amoureuse d'un prisonnier chrétien, ne demandant qu'à le suivre au camp des chrétiens, lui servir d'esclave, sprezzata ancilla; Roxane, Hermione, Médée, commettant des crimes; Phèdre, bien plus tragique encore, s'oubliant elle-même jusqu'à faire une déclaration d'amour au fils de son époux. Qu'il me soit permis de le dire: ce qui rend la situation de Bérénice beaucoup moins tragique que toutes les autres du même genre, c'est que Bérénice n'est

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point du tout criminelle; c'est qu'elle demande des sacrifices, et qu'elle n'en fait point.

S'il y a de l'indécence dans les expressions dont se sert Azémire, c'est véritablement un grand défaut; mais vous n'en citez qu'un exemple, et vous allez juger s'il est bien choisi. Selon vous, Messieurs, une reine ne doit pas dire crûment qu'elle ne veut point cacher ses amours perfides, criminelles: je suis entièrement de votre avis; mais la manière dont vous présentez ceci pourrait induire en erreur ceux qui ne liront point la pièce. On prétend que votre cœur, dit Soliman à la Reine: Nourrit tranquillement de perfides amours;

Que vous avez trahi votre loi, votre gloire :
A ces feux criminels je n'ai point osé croire.

Azémire répond au discours de Soliman; et l'on trouve sa justification dans sa réponse.

Mais, quant à ces amours perfides, criminelles, etc., c'est-à-dire que vous nommez perfides, criminelles, c'est une ellipse très-usitée. Pouvez-vous l'ignorer, Messieurs?

Pour ce qui regarde le style de cette tragédie, je vous rendrai grâce d'avoir cité quelques morceaux que vous voulez bien trouver beaux, et je ne défendrai ni les vers que vous appelez faibles, ni les expressions qui vous semblent hasardées : ces sortes de discussions sont toujours inutiles. Il est possible que vous ayez raison; mais, les vers

que vous condamnez fussent-ils excellens, il serait impossible de vous démontrer qu'ils le sont.

Vous semblez me blâmer d'avoir choisi pour héroïne une reine qui n'a jamais existé; mais Zaïre, Alzire, Aménaïde, n'ont jamais existé. Vous parlez à ce sujet de la beauté et des vertus de Bérénice, qui, dites-vous, sont très-célèbres : il est assez peu important que Bérénice, il y a dix-huit siècles, ait été vertueuse ou non; mais enfin votre objection est encore sans fondement de trois reines qui ont porté le nom de Bérénice, aucune n'a joui d'une réputation de vertu. Celle dont il s'agit surtout est connue par des mœurs très-peu austères; et, sans entrer dans un plus long détail, elle passait pour avoir un commerce incestueux avec son frère Agrippa.

J'ai l'honneur d'être, etc.

CHARLES IX,

OU

LA SAINT-BARTHÉLEMI;

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,

REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, SUR LE THÉATRE-FRANÇAIS, LE 4 NOVEMBRE 1789.

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