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près des Intendans. On a veu les prisons pleines de misérables pour raison de la taille, où ils ont demeuré les deux et les trois années, cependant, que leurs enfans demandant l'aumosne ne trouuoient point de pain pour les nourrir. On a veu des brigands voler et assassiner les Marchands en pleine campagne et au milieu du Royaume, sous prétexte de traitte foraine, sans qu'on en ait peu auoir raison, mesme dans le Conseil Priué du Roy. On a veu, dans la plus grande fertilité des années, les pauures paysans manger l'herbe, et qui eussent creu d'estre à la nopce, ayant du pain que l'on donne aux chiens, parce qu'ils n'auoient pas vn sol pour en acheter. Et pour ne proposer point des exemples esloignez, combien de fois vostre Maiesté, Madame, a elle esté importunée des clameurs et des plaintes de toute sorte de personnes et de toutes conditions, dedans et dehors de Paris, sans qu'elles ayent receu aucun soulagement, parceque vostre Maiesté, obsédée, a tousiours esté diuertie de l'inclination naturelle qu'elle a à la compassion, sous des prétextes impies et cruels que l'on qualifie du nom de Politique.

Parmy tant de si rudes traittemens et durant tant d'années, qu'a on dit? qu'a on fait? L'Eglise et la Noblesse ont esté dans l'oppression comme les autres. Quelle émotion a on fait pour cela? A on fait ligue? s'est on souleué? a on pris les armes, encore qu'il y en eust iuste suiet, contre les sangsues humaines qui, de laquais et banqueroutiers, sont deuenus grands Seigneurs et possèdent des biens immenses qu'ils ont volé auec impunité, et ruiné l'Estat sous le nom du Roy et vostre authorité? Mais on les a prises? Ouy, mais quand? Lorsqu'on s'est veu assailly par le fer, le feu, le sang et la faim,

les plus extraordinaires et cruels ennemis de la vie des hommes; lorsqu'on s'est veu assiégé de tous costez par des démons, non par des hommes; lorsqu'on a veu les Allemans et les Polonois voler, violer et piller plus cruellement qu'en vn païs de conqueste; lorsqu'on a entendu publier les défenses d'apporter à Paris aucuns viures sur peine de la vie ; lorsqu'on a veu les villages pillez et désolez pour marque de ce que l'on préparoit aux Parisiens. Mais encore qu'a on fait auec ces armes? On a tasché à se conseruer de la surprise et d'vn pillage général, à se garantir des coureurs qui viennent voler iusques deuant les portes. Et si l'on s'est auancé plus auant, ç'a esté pour aller chercher du pain, afin que les pauures ne mourûssent pas de faim. Encore ne l'a on pu auoir qu'au prix de beaucoup de sang. Et voilà, Madame, ce que ces sçauans en la Théologie de Machiauel veulent faire passer dans l'esprit de vostre Maiesté pour rebellion, dont Dieu qui voit tout et qui pénètre les cœurs, sera enfin le Iuge et prendra le party de la Iustice, comme non seulement Paris, mais toute la France l'en supplie auec des larmes et des gémissemens.

Mais si le Parlement, si Paris est rebelle, qu'est-ce que les habitans de la campagne ont fait à vostre Maiesté? De quoy sont coulpables les pauures villageois que l'on a mis en chemise et à la besace, ne leur laissant pas seulement de la paille pour coucher, ny des portes à leurs maisons pour se défendre de la rigueur de l'Hyuer? Hé, l'oseray-ie dire à vostre Maiesté? et le pourra elle bien entendre sans mourir de chagrin? De quel crime estoient coulpables les femmes et les filles des villages conuoisins que pour que pour l'expier, il ait fallu les exposer à la barbarie des Soldats pour estre violées? qu'on les aye veu rauies d'entre les bras de leur Pasteur où elles s'es

toient réfugiées, traisnées dans l'Eglise, et là leur pudeur et leur virginité prostituées en la présence de Iésus Christ au S. Sacrement de l'Autel, afin de ioindre le sacrilége au rauissement, et faire voir qu'on n'est pas moins ennemy de Dieu que des hommes? Oseray ie encore faire vne demande? Quel tort auoit receu vostre Maiesté des Eglises pour en punition estre exposées au pillage, iusqu'aux nappes, aux Croix, aux Calices et au Ciboire où repose le corps de Iésus Christ? Sans parler des autres prophanations insolentes et sacriléges qui y ont esté commises. Et puis l'on dira que cela est iuste! et puis l'on asseurera vostre Maiesté qu'il n'y a point matière de péché véniel! Va, flatteuse mais abominable et sacrilége Théologie ! Allez, esprits de ténèbres, instrumens d'Enfer, démons déguisez, Athées exécrables! Si l'on va au ciel par cette voye, quel chemin faut-il tenir pour aller en Enfer? Si l'on opère son salut parmy les vols, les meurtres, les viols, les rauages, les sacriléges, quelles actions faut-il faire pour fabriquer sa torture et trauailler à sa damnation ? Si c'est la conduite qu'il faut tenir pour viure auec les Anges et les Bienheureux, enseignez-nous celle qui rend les hommes compagnons des Diables, afin que nous taschions de l'éuiter.

Mais il semble, Madame, que ie voy vostre Maiesté rougir, et d'vn mouuement de colère respondre qu'elle ne participe point à tous les crimes auxquels elle ne voudroit pas mesme penser; qu'elle ne les a point commandez, au contraire, qu'elle les improuue et les déteste. Ie ne doute point qu'il ne soit ainsy; mais mon souhait seroit que cette excuse, quoy que véritable, fust légitime deuant Dieu pour le repos et la descharge de vostre conscience. Ouy, Madame! et plust à Dieu que ce fust assez

pour satisfaire à cette supresme Iustice deuant laquelle les Rois ne sont pas plus fauorablement traittez que les autres hommes.

Mais vostre Maiesté est mieux instruite que cela. Elle sçait trop bien, et ses Directeurs ne peuuent pas dire le contraire, que les fautes des seruiteurs sont imputées au Maistre lorsqu'il les peut corriger, qu'il le doit et ne le fait pas; qu'Eli, dans l'Escriture, mourut malheureusement pour auoir toléré les crimes de ses enfans; que les loix Diuines et humaines punissent les Capitaines pour les outrages causez par leurs Soldats, encore qu'ils ne soient pas commis en leur présence, qu'ils les défendent et qu'ils en ayent du déplaisir; que les Princes sont responsables de toutes les fautes de ceux qui agissent sous leur conduite; et encore qu'ils n'ayent point de Supérieur, de la Iustice duquel ils relèuent, et dont ils appréhendent les chastimens, leur condition en cela en est d'autant plus dangereuse, plus à craindre et plus à plaindre qu'ils ont pour Iuge de leurs actions celuy qui en est le témoin; que le mesme Dieu qui voit et lit iusqu'au centre de leur cœur, est le Souuerain incorruptible qui prononcera l'Arrest dont il n'y aura point d'appel. Ainsi, Madame, et suiuant la maxime que nous faisons nousmesmes ce que nous faisons par les mains d'autruy, ie le diray, mais auec larmes et le respect que ie dois à vostre Maiesté, que c'est elle qui fait tous les outrages et cause tous les maux. C'est elle qui pille, qui tue, qui meurtrit, qui assassine, et par vne inuention du Démon, contre la Nature et la possibilité de son sexe, qui rauit la pudeur aux femmes et aux filles la virginité. Et parmy tous ces désordres incroyables, il ne se trouuera pas vn péché véniel!

Hé quoy! piller les Eglises, prophaner les choses Sainctes, faire de la maison de Dieu non-seulement vne retraite de voleurs, mais vn lieu infâme pour la prostitution et le rauissement de la pudicité des Vierges Françoises par la rage des Polonois et des Allemans, passera pour vne action légitime? Si les vols, les viols, les sacriléges, les cruautez, les barbaries sont permises sous vn prétexte de guerre, pourquoy blasmons-nous les Turcs et les Hérétiques dans les ruines dont nous voyons encore fumer les vestiges? Les Sarrasins et les Barbares qui tiennent les Chrestiens à la chaisne, par l'auersion qu'ils ont à nostre Religion et au Sauueur que nous adorons, les traittent-ils auec la séuérité, pour ne dire la cruauté, auec laquelle vostre Maiesté souffre, mais que l'on dit qu'elle fait traitter les Suiets du Roy et les enfans de Iésus Christ, tout nuds, dans les plus aspres rigueurs de l'Hyuer, à Sainct Germain dans vn tripot1 ou au bois de Vincennes dans vne caue, où trois cens sans paille n'ont autre chaleur que celle de la puanteur des excrémens que la nature les contraint de se faire l'vn sur l'autre? Sont-ce les loix de la guerre, mesme entre les plus Barbares? Et tout cela est Chrestien? et tout cela d'vne Princesse qui entend tous les iours la Messe, qui Communie souuent, qui fréquente le Sacrement de Pénitence, et qui n'en est point touchée et ne s'en confesse point, parcequ'il n'y a pas mesme de péché véniel! Et si l'on

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༥ L'on a eu aduis de Sainct Germain en Laye que quelques Habitans des villages et autres particuliers que ceux des Troupes Mazarines auoient prins prisonniers, ont esté si mal traittez d'eux que mesme ils les ont dépouillez tous nuds comme Esclaues, et les ont laissez de la sorte pendant la rigueur du froid de cette saison, enfermez dans le Ieu de Paulme de Sainct Germain en Laye.

Le Courrier françois, etc. [830], 3o arrivée.

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