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selon son plaisir, sans autre motif ny considération que sa seule volonté? En sorte que, quand il prendroit tout, il n'useroit que de son droit; et s'il en laisse quelque chose, c'est vne grâce et vne aumosne qu'il fait, de laquelle on lui a obligation et à laquelle il n'estoit point obligé.

R. Nullement. Ce sont des maximes impies, damnables et abominables qui ne sçauroient estre approuuées ni authorisées parmi les peuples les plus barbares et les plus desnaturez, et qui n'ont esté inuentées que depuis quelques années par des sangsues populaires, par des hommes de gourmandise, de luxure et d'auarice pour seruir de prétexte aux vols et aux violences qu'ils ont faites à l'oppression de tout le monde, qui sont cause des troubles et des mouuemens que nous voyons à nostre grand regret, et dont les sentimens auroient esté tous contraires s'ils auoient esté en estat d'estre pressés, au lieu que, non pas leur mérite, mais la fortune ou le mauuais Génie de la France les auoit mis en celuy de mettre les autres au pressoir afin d'en exprimer le sang, comme ils ont fait presque iusqu'à la dernière goutte. Il faut donc raisonner sur les biens de la mesme sorte et par proportion que sur les vies et mettre en tout et partout les lois de Dieu, de l'Éuangile et de la Charité, comme vn flambeau pour seruir de conduite afin d'esuiter les escueils et les précipices qui se rencontrent dans les fonctions de la puissance Souueraine.

D. Eh quoy? le Roy n'a-t-il pas le pouuoir de mettre des impositions et des leuées sur ses Peuples?

R. Ouy. Aussi ne sçauroit on tirer le contraire de ce que nous venons de dire où nous n'auons respondu qu'à la folie des impies qui, voulant tout mettre en la liberté

du Roy, vie et biens, sans autre règle ni raison que sa seule volonté, iustifieroient les cruautez des plus barbares et rendroient les plus cruels tyrans impeccables dans leur conduite. Ils peuuent donc imposer des contributions; ils peuuent faire des leuées, mais tousiours dans l'ordre de la Iustice Chrestienne et dans les circonstances nécessaires pour faire qu'elles ne soient pas criminelles.

D. Enseignez nous quelles sont ces conditions; car c'est le point le plus important en cette matière et sans lequel, n'y estant pas instruits comme il faut, nous ne sçaurions à quoi nous résoudre dans les occurrences qui se peuuent présenter.

R. l'aduoue que cette question est de grande conséquence et bien nécessaire; mais aussy vous diray ie qu'elle en enueloppe et enferme tant d'autres auec elle que, pour lui donner tout le iour qu'elle demanderoit afin qu'il n'y restât rien à expliquer, il faudroit composer vn volume de plus de trente feuilles. Néanmoins pour vostre satisfaction présente, en attendant peut estre que ie le fasse plus à loisir, ie tascheray de l'esclaircir par quelques vérités que ie proposeray sans autre ordre que celuy auec lequel elles se présenteront à ma mémoire: 1. Que comme diuers royaumes peuuent estre régis par diuerses lois, ie ne traitte ces matières que pour la France et par les règles soubs lesquelles les François doiuent estre régis; 2. Que le royaume de France n'est pas vn Estat tyrannique où le Souuerain n'ait pour obiect de sa conduite que sa seule passion; 3. Que c'est vn royaume Chrestien et Catholique et qui depuis Clouis a fait gloire de se tenir ferme aux maximes de l'Éuangile par dessus tous les royaumes de la terre, ce qui a

donné à nos Roys le nom glorieux de Très Chrestiens; 4. Que nos Roys ont leur domaine séparé d'auec celuy de leurs subiects; 5. Que plusieurs prouinces de la France ne sont pas nées auec l'Estat et n'y ont point esté vnies par les conquestes de nos Princes, mais se sont volontairement soumises et données auec des conditions et des réserues tant pour leurs personnes que pour leurs biens, auec les contributions qu'elles deuroient faire, et la manière auec laquelle elles les feroient; ce que les Roys ont stipulé, accordé et promis et ont obligé tant eux que leurs successeurs à les entretenir; car si les contrats entre particuliers sont réciproquement obligatoires, il ne faut point douter qu'ils ne le soient dauantage lorsqu'ils regardent le public ou des communautez et qu'i n'y ait obligation en conscience de les obseruer de part et d'autre auec sincérité et bonne foy. De ces vérités qui sont notoires d'elles mesmes, il s'ensuit que le droict que le Roy a de faire des impositions et des leuées sur ses subiects, doit estre réduit dans les limites de la nécessité lorsque son domaine n'est pas suffisant pour y subuenir, et selon les concordats pour les Prouinces qui se sont données.

D. Mais sans faire distinction de Prouinces, dites nous quelles sont ces nécessités.

R. Ces nécessités sont la conseruation de la personne du Roy; son rachapt s'il estoit en captiuité; la deffense de l'Estat contre les ennemis estrangers et domestiques; le repos et la tranquillité des peuples contre les factions, les rébellions, les vols, les iniustices, les violences des particuliers et toutes choses généralement quelconques qui causent la ruine ou dommage notable au bien public; car comme le Roy n'est pas moins obligé de protéger

son peuple et le deffendre de l'oppression qui lui est faite par les puissans dans son Royaume que de l'incursion et inuasion des ennemis estrangers, le peuple n'a pas moins d'obligation de contribuer pour sa deffense contre ceux là et sa déliurance de ses ennemis domestiques, que contre ceux qui combattent sous la liurée d'vn prince estranger. Ainsi il n'y a point de doute que le Roy peut imposer et que le peuple doit contribuer ce qui est nécessaire en telles occurrences....

D. Quelles impositions se peuuent et doiuent faire?

R. On ne sçauroit bien constamment ny auec vne détermination arrestée respondre à cette demande. Il y en a de plusieurs sortes. Les vnes se font par imposition pécuniaire sur les fonds ou sur les personnes ou sur tous les deux, qu'on nomme tailles réelles, personnelles et mixtes; les autres sur les denrées nécessaires à la vie et qui croissent dans le Royaume, comme sur le vin et le sel; les autres sur les choses qui entrent des Royaumes estrangers, qu'on appelle douanes ou traittes foraines. Pour celles qui regardent les tailles mixtes, il semble qu'elles soient les plus iustes et les plus équitables; car comme l'Estat contient et le sol et les hommes, il est bien raisonnable que l'vn et l'autre contribuent à sa conseruation dans vn ordre et proportion conuenable. Pour celles qui concernent les choses nécessaires à la vie et qui croissent dans le Royaume, ce sont les plus dures et les moins Chrestiennes; car quelle apparence de mettre de l'enchère sur ce dont les pauures ne se peuuent passer et que la nature nous donne pour notre entretien ou sans trauail ou auec vn peu de trauail? N'est ce pas assez que ie paye ou pour ma terre ou pour ma personne selon ma condition et mon trauail, sans payer pour le vin qui

vient sur ma terre, qui n'est que le fruict de mon fonds et de mon labeur? Il n'en est pas de mesme des douanes et traittes foraines, lesquelles estant des marques de l'authorité du Prince, tiennent en quelque sorte de la nature de son domaine; d'autant que le Roy estant le maistre de son Estat, il a droit par cette seule considération sans autre nécessité, d'empescher ou de permettre le commerce auec les estrangers, principallement pour les choses dont on peut se passer facilement et qui pour l'ordinaire ne seruent qu'au luxe et à la vanité; de façon qu'il peut tirer recognoissance de la permission qu'il donne du transport réciproque de ces marchandises dedans ou dehors son Royaume. Mais aussi cette taxe doit estre modérée, ne doit estre que dans les villes frontières pour les entrées ou sorties du Royaume, et non pas dans le Royaume pour ce qui passe d'vne prouince à l'autre; ce qui seroit rendre l'Estat estranger à soy mesme; ny pour toutes les entrées de villes lesquelles, quelque titre spécieux qu'on leur donne, sont tousiours des marques de diuision entre les frères dans vne mesme maison et sous vn mesine père.

D. Vous venez d'auancer vne parole qui m'estonne et qui en fera bien estonner d'autres : eh quoi! le Roy est il de moindre condition qu'vn particulier? Ne peut il pas disposer de son bien comme il lui plaist? Ne peut il pas le mettre en parti? Et ceux qui en traitent de cette sorte, sont ils pires que ceux qui font vn autre trafic pour l'auancement de leurs familles et l'éléuation de leurs enfans? Y a-t-il rien en cela qui ne soit licite?

R. Vous n'estes pas le premier qui auez proposé cette difficulté. C'est le manteau dont se couurent tous les

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