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vos ennemis. L'on vous accuse de vouloir faire périr de faim la ville de Paris; mais est-il rien de plus ridicule? puisque c'estoit nostre corps qui s'en deuoit le premier sentir, et qui deuoit plutost tout seul satisfaire à vostre fureur, comme celuy qui a tousiours vescu dans le glorieux mépris des richesses, qu'il professe auec tous les Maistres des autres arts nobles et libéraux, qui ne gardent rien d'vn iour à l'autre. Tous les bourgeois estoient munis de tout ce qui leur pouuoit estre nécessaire pendant vn blocus de plus d'vn an. Nous n'auions ny argent ny viures; toutes fois graces à Dieu, et à vostre Éminence, Monsieur saint Iules nostre second patron, nous sommes auiourd'huy les mieux accommodez; et nous craignons plus de manquer d'ancre et de papier, que de pain et de vin, ny de viande.

C'est vne chose admirable aussi de quelle façon nous trauaillons. Vostre vie est vn suiet inépuisable pour les autheurs et infatigable pour les Imprimeurs. C'est le plus heureux métier de Paris; et le gain est auiourd'huy comparable à sa dignité. Il ne se passe point de iour que nos presses ne roulent sur plus d'vn volume de toutes sortes d'ouurages, tant de vers que de prose, de Latin que de François, tant en charactères Romains qu'en Italiques, comme gros canon, petit canon, parangon, gros romain, saint augustin, cicero etc. Vne moitié de Paris imprime ou vend des imprimez; l'autre en compose; le Parlement, les Prélats, les Docteurs, les Prestres, les Moines, les Hermites, les Religieuses, les Cheualiers, les Aduocats, les Procureurs, leurs Clercs, les Sécrétaires de Saint Innocent, les filles du Marais, enfin le Cheual de Bronze et la Samaritaine écriuent et parlent de vous. Pierre du Quignet ne sçauroit plus garder le silence qu'ont rompu

des statues, puisque les morts mesme ressuscitent pour venir dire leur sentiment de la conduite de V. E. Les Colporteurs courbent souz le poids de leurs imprimez au sortir de nos portes; ils ne font pas cent pas, qu'ils ne soient soulagez du plus pesant de leur fardeau; et ils reuiennent à la charge avec vne chaleur plus que martiale.

Nous nous réiouyssons de tant de renom que vous vous estes acquis. Vous estes le seul du monde en qui l'on ait tant trouué à dire et à redire ; vostre nom ne mourra iamais, non plus que celuy d'Hérostrate qui brusla le temple d'Éphèse, comme nous nous souuenons d'auoir plusieurs fois imprimé; aussi auez vous plus entrepris ; et c'est toute autre chose d'auoir voulu consommer vne ville comme Paris et saccager tout vn Royaume. Nous ne mourrons iamais de faim non plus; et la postérité ne pourra iamais ignorer, que nous n'ayons eu plus d'obligation à vostre Éminence, quoy qu'ignorante, qu'à tous les Doctes, et à tous leurs ouurages sacrez ou prophanes. Les armuriers ne témoignent pas moins de ressentiment du bonheur que vous leur auez causé. Le sieur de Benicourt, Maistre de la Chasse Royalle, vous en fera ses remerciemens au nom de tous les confrères; et vous deuez attendre la mesme reconnoissance de la plupart des autres corps de marchands. Ainsi, quoyque sans doctrine et sans valeur, V. E. s'est signalée par les lettres et par les armes.

Il nous reste vne chose à desirer, pour comble d'vne dernière fortune; c'est vn arrest de mort, qui sera celuy de vostre canonisation par nostre compagnie. Toutes les nations le feront traduire en leur langue; chaque pays, chaque ville, mais plustost chaque maison vous dres

sera vn Cenotaphe; et la France particulièrement comptera ses années par celle de vostre supplice, qui sera celle de sa liberté. Ce sera pour lors qu'il faudra s'employer nuit et iour à en faire des relations auec diuerses figures en taille de bois; l'on criera vostre descente aux enfers, vostre rencontre avec le Marquis d'Ancre, vostre entretien auec Iean Prochyte, qui sonna les Vespres Siciliennes, les reproches que Monsieur le Président Barillon vous fera du Sein d'Abraham, vostre testament de mort, les regrets de vos Niepces, les consolations à la Muti, la Martinozzi et la Manzini, vos sœurs, les iustes reproches de la Signora Portia Vrsina à Pietro Mazarini, vostre père, sur l'inégalité de leur Mariage, l'année Climatérique de la race Mazarine, contenant le progrez et la fin de la fortune des deux cardinaux auec leur apothéose, et autres galanteries qui se débiteront, bonnes ou mauuaises, pour les recueils que les curieux font de tout ce qui se publie.

Nous espérons que ce supplice sera pareil à celuy de Saint Iean de Latran, nostre principal patron. Il a esté le vostre, quand vous auez esté chanoine de son Église à Rome. La France qui vous donna sa voix pour cette dignité, que vous ne méritiez pas, vous condamne réciproquement à la peine qu'il n'auoit pas meritée. Consolez-vous, Monseigneur, de ce qu'elle sera extraordinaire, et que les Césars et la plus grande part des personnes illustres ont fait vne fin tragique; peut estre que les tour

1 Il y a en effet deux testaments du cardinal Mazarin; l'un, Testament solemnel du cardinal Mazarin, etc. [3766], est de 1649, mais du 19 janvier, et par conséquent antérieur au Remercíment; l'autre, Testament du cardinal Mazarin, qu'il a renouvelé à son départ [3764], est de 1651. 2 Les Soupirs et regrets des nièces de Mazarin, etc. [3708]?

mens vous seront plus doux que l'appréhension qui vous bourelle si cruellement dans vostre conscience. Nous sommes obligez de faire des vœux tous contraires à ce Romain, qui pria les Dieux que l'empereur Adrian, qui le faisoit tuer, ne pust pas mourir quand il voudroit. Vostre Éminence nous a fait viure; et nous ioignons nos intérests et nos prières auec ceux de toute la France, à ce que la mort vous déliure bien-tost des misères de la vie. C'est vn droict que vous deuez à la iustice diuine et humaine, et à la nature, contre qui vous auez peché, et que vous ne pouuez satisfaire que par vne généreuse résolution d'expier vos crimes en expirant. C'est ce que desirent très passionnément pour le salut de Vostre Éminence, Monseigneur, vos tres-obligez et tres-affectionnez seruiteurs.

L. I. D. P.

Advis à la Reyne sur la Conférence de Ruel [472]'.

( 4 mars 1649.)

MADAME, voicy le coup de partie qui doit décider de grandes affaires. Iusques icy, le Roy règne paisiblement ; vostre Maiesté est Régente; et Paris en estat et en volonté et mesme en impatience de reuoir bientost I'vn et l'autre. Il ne faut qu'vn seul moment et vne résolution mal prise pour changer toutes ces choses puisqu'elles sont en leur penchant et que la Monarchie de France est si

1 Naudé range ce pamphlet parmi les pièces soutenues et raisonnées. Il l'attribue à l'abbé de Chambon, frère de du Chatelet.

vieille, que le moindre accident peut la mettre à son dernier période. Iusques à cette heure, MADAME, le Conseil d'en haut a creu que le Parlement auoit tort; ie ne diray point maintenant ce qui en est; mais tous les peuples de France soustiennent le contraire; et ils sont bien résolus de maintenir que l'authorité du Roy ordinaire et l'extraordinaire mesme, estendue iusques où les nécessitez d'vne longue guerre la pouuoient raisonnablement porter, n'a point esté violée. Cet intérest public, ioint peut estre à celuy de quelques particuliers, produira, auec le temps, d'estranges monstres et qui pourroient aussi bien renuerser des Royaumes comme des maisons Bourgeoises et des chaumières de Paysans. Il semble, MADAME, que le Ciel, depuis trente ans, ait coniuré la ruine de toutes les Monarchies. C'est pourquoy il faut éuiter soigneusement ce qui peut donner lieu à des réuolutions si funestes. Quand le bon Pilote voit que la tempeste est trop forte, il abbaisse les voiles. Faites en de mesme, MADAME; ne risquez point le tout pour vne petite partie; et n'obligez point le Roy à conquérir des villes en France, comme il fait en Espagne. Cela arriuera néantmoins, MADAME, si vous continuez d'oster le pain et la paix aux Parisiens, puisqu'ils seront forcez de rechercher l'vn et l'autre par les armes. Et comme les affaires ne finissent iamais par où elles commencent, Dieu seul peut cognoistre les accidens qui en pourront suruenir; mais les hommes et les Roys mesmes les peuuent bien appréhender. Quoy qu'il en soit, qui ioue, hazarde; et qui fait la guerre, peut aussi tost perdre que gagner. Le subiect armé contre son Maistre deuient son esgal; et l'authorité d'vn Prince est bien heurtée plus furieusement par des Canons que par des remonstrances.

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