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besoin que des peuples viennent de si loin vers vous, si vostre pouuoir ne s'étend qu'à faire iustice entre Pierre et Iacques? Ils trouueront la mesme chose auprès d'eux en leurs Présidiaux et Sénéchaussées; et s'il n'y auoit que cela, l'on pourroit dire qu'il n'y auroit rien de si inutile que les cours du Parlement. Mais i'ay d'autres sentimens pour vos Compagnies; et vous mesmes deuez en auoir de bien plus grands, parceque vous en connoissez le mérite.

Tellement que si vous m'accordez que vous auez droict, comme il est vray, de vous opposer hautement à la vexation des peuples et de casser les faux arrests du Conseil d'en haut, quand ils choquent vostre liberté et celle des peuples, vous m'accorderez aussi que vous estes obligez de le faire généreusement, ou qu'il faut abandonner vos charges.

Charges des

Ce n'est pas en l'administration de la Iustice qu'il faut Conseillers, chercher à plaire aux Roys, si ce n'est en la rendant bonne; ce n'est pas là où il faut pallier la vérité. La Iustice est trop auguste d'elle mesme et donne trop d'aduantages à vn homme de cœur pour en estre trahie; et si la flatterie est pardonnable à des Courtisans, elle est criminelle dans des Iuges, qui ne sont iuges que pour la punir, puisqu'elle est la mère de l'iniustice. L'eschole de la Cour est bien différente de celle du Parlement; en celle là on apprend à plastrer adroitement et à chercher de quoy plaire aux Roys; et en celle cy toutes les pensées doiuent tendre à chastier les fourbes et à rendre la Iustice; tellement qu'estant impossible de seruir deux maistres si différens, sans haïr l'vn et aimer l'autre, l'on peut dire d'vn magistrat qui fait le courtisan par intérest ou par affection, qu'il quitte son office de Iuge pour

estre fourbe, à moins qu'il n'en vse comme faisoit Callisthène chez Alexandre. Ce grand Philosophe, voyant que son maistre se mesconnoissoit et qu'il se portoit à des excès de violence et de bouche, mal séans à la réputation qu'il acquéroit en ses conquestes, l'aduertissoit de ses défauts auec beaucoup de liberté; ce que le Roy auoit bien de la peine à souffrir; tellement qu'Aristote, craignant qu'il ne luy en prit mal, luy dit vn iour: «< Callisthène, ou il ne faut point approcher des Roys, ou il les faut vn peu flatter. » Au contraire, réplique Callisthène, << ou il ne les faut point approcher, ou il faut leur dire la vérité. » Ie pardonnerois à des Courtisans quand ils ne seroient pas si rigoureux; mais il n'est pas supportable de voir des luges s'accomoder au temps et feindre de s'opposer à l'iniustice quand ils la voyoient si manifeste.

Ouy, mais le mauuais traittement qu'on a fait à ceux qui ont cette fermeté que ie dis qu'il faut auoir, n'est il pas suffisant d'estonner les mieux intentionnez? Il est vray, Messieurs, que vous pouuez dire ce que disoit autrefois Cicéron en cas pareil: Tenebamur undique; neque quominus seruiremus, recusauimus; sed mortem et eiectionem quasi maiora timebamus, quæ multò fuere minora. En effect, la mort et le bannissement de vos frères estoient pour vous faire appréhender de dire vos sentimens auec liberté; mais vous auez enfin reconnu que les maux qu'ils ont soufferts, estoient bien moindres que ceux qu'on vous a fait souffrir depuis, s'il est vray qu'il n'y a point de tourment plus rigoureux à des hommes de cœur que de viure sans honneur, ou que de mourir lentement par des appréhensions continuelles. C'est vne chose faite; recueillez vos esprits maintenant; et ra

nimez vos courages. Toute la France vous tend les bras; ne la délaissez pas; elle fait ses efforts et fouille le reste de ses veines pour vous assister; vnissez vous estroitement; car l'vnion de vostre Compagnie est plus forte que toutes les armes que l'on vous sçauroit opposer; d'où vient que ce n'estoit pas sans raison que le Sénat Romain s'assembloit le plus souuent au temple de la Concorde, et que Q. Marcius estant censeur, fit mettre en toutes les Cours des statues de cette Déesse, auec des Autels, pour monstrer que le Sénat ne se deuoit iamais partager en opinions.

C'est à quoy toute la France vous coniure; et moy particulièrement, qui finis par ces paroles de Cicéron : Magna vis, magnum numen est vnum et idem sentientis Senatús; c'est, Messieurs, vostre très humble, et très obéyssant seruiteur.

AU LECTEUR,

Il y a desià longtemps que cette lettre deuoit paroistre; mais quelques considérations en ont empes-ché. L'autheur a mandé qu'elle seroit suiuie en bref d'vne autre à la ville de Paris, où il doit monstrer l'intérest qu'elle a de se tenir vnie auec la cour du Parlement, et quelques auis sur le fait de la police où l'on manque. On l'attend à la première poste; car il est esloigné de cette Ville.

La Lettre d'vn Sécrétaire de S. Innocent à Ivles Mazarin [1896] '.

que

(4 mars 1649.)

MONSIEUR, ie ne pense pas que vous trouuiez mauuais

ie n'employe point icy le nom de Monseigneur; ie m'en suis empesché par la rencontre de l'Arrest du huit ianuier dernier, que Nosseigneurs de Parlement ont donné contre vostre Eminence. C'est pourquoy ie me sers du terme dont nous traittons ceux qui écriuent comme nous; car aussi bien i̇'ay appris que vous estes le plus grand barbouilleur de papier qui soit au monde. Receuez donc, mon cher camarade, la lettre que ie vous escris.

Depuis que vous vous meslez du Gouuernement des affaires de France, i'ay tousiours oüy dire que vostre conduite ne valoit rien; et i'ay fait ce que i'ay pû pour désabuser les peuples de la créance qu'ils auoient en vostre politique. Ils se flattoient tellement en leur opinion que le cardinal de Richelieu vous auoit choisi pour luy succéder en cette administration, que iusques à ce qu'ils aient veu que vous auez perdu la tramontane et que vostre petite ceruelle se trouuoit au bout de ses finesses, il m'a esté impossible de leur persuader que vous estes le plus ridicule Ministre qui ait iamais esté. Ie vous assure qu'à présent ils le croyent; et quand vous vous estes engagé en cette dignité de fauory, vous n'auez pas sceu que nous auons des exemples dans nos histoires, de ceux qui ont possédé les Roys, qui ont fait des fins

'C'est une des bonnes pièces, au jugement de Naudé.

fort éloignées de celles qu'ils s'estoient proposées, Il y a eu véritablement de grands hommes; et les Roys qui les ont choisis pour estre soulagez dans le pesant fardeau de leur Royaume, nous font voir que celle de trouuer vn bon Ministre, c'est la peine la plus insuportable. Charles cinquième, surnommé le Sage, comme il estoit Prince de grand sens, n'ayma iamais que des seruiteurs bien sencez; ainsi il affectionna le Connétable du Guesclin à cause de ses rares vertus. Charles VII, pour le même suiet, admit au Gouuernement de son Estat Iean d'Orléans, appelé pour ses mérites le bon Comte de Dunois, auquel la France demeure encore redeuable auiourd'huy pour les continuels seruices qu'il a rendus à cette Couronne pendant le cours de sa vie; Louis XI choisit Tristan l'Ermitte; le Roy Francois I aima l'admiral de Bonniuet pour la gentillesse de sa personne; Henri II esleua Montmorency pour son courage; et Charles IX tint le Mareschal de Reez pour sa bonne conduitte. Heny III agrandit d'Espernon pour son esprit; Henri IV le Duc de Sully pour l'instrument de ses desseins. Louis XIII se trouua obligé, pour le bien de son royaume, de se confier au cardinal de Richelieu. Voilà, Monsieur, vn petit abrégé des fauoris, mais grands hommes, et s'il les faut considérer par les grandes et importantes affaires qu'ils ont adrettement et généreusement démeslées. Vous auoüerez auec moy que vous auez bien manqué en toute vostre conduite; et il vous estoit autant facile de vous maintenir en l'estat que vous vous estes trouué après la mort du grand Armand, qu'il est aisé à vn fils de famille de se conseruer le repos dans vne grande succession que son père luy auroit laissée.

Du temps de Charles VIII, François, duc de Bretagne,

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