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Monsieur le Duc d'Orléans, lequel estant fils de France, Oncle du Roy et Lieutenant général de la Couronne, est infiniment esleué au dessus d'vn Prince du Sang et mérite partant des honneurs singuliers; et le Parlement a fait sans doute vne iniure très-sensible à son Altesse Royale de luy auoir esgalé vn homme qui ne luy parle que le chapeau à la main.

Mais quand ie fais réflexion sur les choses qui [se] sont passées depuis trois mois, quand ie me représente deuant les yeux les Images encore toutes fraisches des cruautez horribles que le Prince a fait exercer, quand ie me ressouuiens des récits funestes qu'on m'a faits des actes d'hostilité qu'il a commandées, de la désolation des Villes et des Villages, du violement des femmes et des filles de la profanation des Églises, sans respecter le Mystère adorable de nos Autels, quand ie trouue icy depuis tantost huict iours que i'y suis arriué, les marques des traitemens Barbares que le Prince a fait souffrir à tant de personnes innocentes; mais quand ie songe au dessein furieux qu'il auoit entrepris de faire périr par le fer et par le feu cette grande ville, la commune patrie de tous les François, ie ne puis supporter que le Parlement auquel il doit conte de ses actions et de sa vie, le soit allé trouuer pour luy faire, auec vne bassesse indigne, vne espèce de remerciment des maux horribles qu'il a causez. N'estoit ce pas [assez ] qu'il fust libre de reuenir à Paris et qu'on perdist le souuenir des mouuemens de haine et d'auersion qu'on auoit conceu si iustement contre luy? Falloit il encore le receuoir auec pompe dans nos murailles et qu'il y soit entré plus glorieux que s'il y fust entré par la bresche? Car qu'auroit-il fait autre chose dans vne victoire sanglante que de faire nager son

cheual, pour vser de ses termes, dans le sang des Parisiens et triompher ainsi de nos vies, de nos biens et de nos corps? Mais toutes ces choses estoient suiettes par leur condition à l'empire de la Fortune. Nous pouuons perdre auec courage les faux biens qui nous sont estrangers; et quand l'iniustice ou la violence nous les ostent, nous ne perdons rien qui soit à nous, selon les sentimens mesmes des Philosophes Payens.

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Il n'y a que l'amour de la Fatrie et de la liberté auquel il n'est pas permis aux gens de bien de pouuoir renoncer. C'est vn bien qui nous appartient proprement, que l'vsurpation des Tyrans ne peut nous rauir et que Nature et la raison, qui sont les deux puissances légitimes auxquelles nous deuons nos premiers respects, nous ont confirmé comme vn dépost sacré qu'elles nous obligent de garder et de deffendre iusques à la mort. Celui qui par foiblesse ou par intérest pert le désir de conseruer sa liberté, il manque en premier lieu par son pernicieux exemple contre le deuoir qui l'attache à la société ciuille; il se trahit soy mesme et efface en quelque sorte ce rayon d'indépendance que Dieu a graué dans nos âmes en nous formant à son Image, de ne recognoistre point de Souuerain sur la terre en la conduite de nostre raison et de nos pensées.

Mais quand ceux qui sont establis dans le Gouuernenement d'vn Estat, pour estre les protecteurs de la liberté publique, s'abandonnent tous les premiers aux tyrans qui les veulent opprimer, quelle espérance peutil rester de se pouuoir conseruer, si ceux qui en doiuent estre les plus fermes appuis, la vendent et la trahissent? Nous apprenons des Histoires que la puissance des Empereurs Romains ne seroit iamais montée au comble de

`l'insolence où elle a esté, si la lâcheté du Sénat n'eust fortifié par ses complimens infâmes les progrez de la Tyrannie. Et sur quoy il est important que les Officiers du Parlement fassent vne sérieuse réflexion. Ils doiuent prendre garde que leur institution estant aussi ancienne que la Monarchie, ils sont les dépositaires des Loix fondamentales de l'Estat et sont obligez en leurs consciences et par le deuoir de leurs Charges de s'opposer aux entreprises des Ministres et des Fauoris et de renoncer plus tost à leurs dignitez que de souffrir que les loix soient violées. Il n'appartient pas à la vérité à des personnes priuées d'examiner la conduite des Souuerains; mais pour ceux que la nécessité de leur employ engage de veiller à la seureté des peuples, qu'ils se souuiennent qu'ils répondront deuant Dieu de la négligence qu'ils y apportent, et que toutes les oppressions qui s'autorisent par leur tolérance criminelle, leur seront quelque iour imputées. Si le Parlement eust fait quelque reflexion sur ces deuoirs, il n'auroit pas sans doute député vers Monsieur le Prince; car puisque les marques d'honneur ne se rendent qu'à la qualité des personnes ou bien à leur vertu, il a esté désià obserué qu'il n'y auoit point d'exemple qui l'oblige à cette cérémonie, puisqu'on ne l'auoit iamais pratiquée enuers les Princes du Sang. D'ailleurs le traitement cruel que Paris a receu de ce Prince, ne luy auoit pas mérité cet honneur. Certes il n'estoit pas iuste qu'il receust des témoignages de nostre amour et de nostre estime pour auoir entrepris de perdre la Ville Capitale du Royaume, que l'Histoire marquera sans doute comme vn reproche éternel contre sa mémoire. Ouy, ce dessein furieux flestrit cette haute réputation qu'il auoit acquise; et comme la gloire des ba

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tailles gagnées se partage auec la conduite des Chefs, valeur des Soldats et auec la Fortune qui y préside le plus souuent, la Postérité iugera sans doute des moyens et des qualitez de ce Prince par l'action la plus remarquable de sa vie. Et quand elle verra que pendant la minorité de son Roy il a voulu ruiner Paris, qui est non seulement l'ornement, mais l'abrégé de tout le Royaume, elle lira auec horreur vne entreprise si détestable et considérera ce Prince comme vn Monstre né pour la ruine et la désolation de son Païs.

Mais quelle honte sera ce au Parlement dont on sçait que le soing se doit employer à punir les violences publiques, d'auoir non seulement dissimulé par leur silence, ce qui seroit encor tolérable pour le bien de la Paix, mais d'auoir honoré l'Autheur de tant de maux d'vne Députation qui ne luy estoit point deue, quand il seroit mesme reuenu tout couuert de Lauriers gaignez sur les anciens Ennemis de cette Couronne? N'est-ce pas décerner le Triomphe à celuy qui n'a pas esté le vainqueur mais le flambeau fatal d'vne guerre Ciuille qu'il avoit allumée ? Et cette prostitution ne marque-t-elle pas la foiblesse d'vn corps qu'il falloit par prudence cacher à ceux qui ne cherchent que l'occasion d'abattre ce qui luy reste d'authorité?

Les peuples voisins louoient autres fois le gouuernement de la France parceque la puissance Royalle, disoient ils, y est tempérée par l'authorité des Parlemens, lesquels encor bien qu'ils tirent leur pouuoir de celuy que le Roy leur communique, tout ainsi que les Astres empruntent leur lumière de celle du Soleil, néantmoins on peut dire que comme les Philosophes nous enseignent que les Astres ont vne lumière qui leur est propre, d'au

tant que la lumière est vne qualité du Ciel, les Parlemens aussi, et entre autres celuy de Paris a vne authorité non participée, selon les loix fondamentales de la Monarchie, soit parcequ'il a vn establissement aussi ancien que celuy de la Royauté, ainsi qu'il a esté desià obserué, soit enfin que les Roys luy ayent confié comme vn dépost le soin et la conseruation des loix, auxquelles ils ont bien voulu eux mesmes s'assuiettir à l'exemple de Dieu qui, dans la conduite de l'Vnivers, selon la pensée d'vn Père de l'Église, a commandé vne seule fois pour obéyr

tousiours.

Que si le Parlement doit apporter le tempérament si nécessaire aux entreprises continuelles des Ministres et des Fauoris qui abusent de la puissance Royalle, ne luy peut on pas faire à présent vn iuste reproche qu'il pert par sa faute vn aduantage si vtile au public et si glorieux à luy mesme? Car encor qu'on ne doiue pas, peut estre, approuuer tout ce qu'il a fait depuis vn an, puisque l'on en reçoit si peu de fruit, et qu'il soit assez manifeste par l'événement et la lascheté honteuse de quelques vns que ceux qui ont fait le plus d'esclat dans la Compagnie, n'ont esté animez que par des intérests de Famille et par des mouuemens de caprice, sans aucun dessein du bien public, ceux qui estoient bien intentionnez, deuoient songer qu'il falloit tousiours faire vne retraite honorable et laisser la terreur et la crainte à ceux qui les auoient attaquez, que le Parlement n'auoit pas fait ses derniers efforts, afin de retenir et d'empescher les ministres de ne rien entreprendre de nouueau à l'aduenir.

Et tout au contraire, n'a-t-on pas veu des Conseillers de la Cour dans l'anti-chambre du Cardinal Mazarin se

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