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manque pas de personnes capables du Ministère, de se voir soumis à vn Estranger. C'est pourquoy, comme lorsque cette eslection vient du peuple, elle luy est désauantageuse, parceque c'est vne marque de sa lascheté et de son ingratitude, puisqu'il ayme mieux se soumettre à vn Estranger qu'à vn de ses Concitoyens ; de mesme lorsque le choix d'vn Estranger pour Ministre vient de la volonté du Prince, il est honteux à celui qui le fait, et au peuple qui le soufre, parceque c'est vne marque presqu'infaillible que dans tout l'Estat il n'y a point d'hommes assez intelligens pour s'en bien acquitter; ce qui est la plus misérable condition et du prince et du peuple dans laquelle ils se puissent trouuer. Et les Scythes, quoique barbares, l'ont si bien recognu que mesme ils ne s'en purent taire, estant en la puissance du grand Alexandre. Bien que tu sois, luy dirent ils, plus fort que tous les autres, toutefois souuiens toy que personne ne veut souffrir la domination des Estrangers, comme le remarque Hérodote en son liure VI.

L'anathéme et l'excommunication d'vn ministre

d'Estat estranger, tiré de l'Écriture sainte [81]'.

A LA REYNE.

(11 janvier 1649.)

MADAME, s'il est véritable, comme l'on n'en peut douter, que les Roys sont les images de Dieu, puisqu'ils

' Bonne pièce, dit Naudé, qui est composée avec adresse, et dont le raisonnement est ingénieusement aiguisé et proprement assaisonné.

portent l'auguste caractère de sa grandeur en la souueraineté de leur puissance, il faut de nécessité qu'ils l'imitent en son gouuernement, et qu'ils estudient sa Politique pour ne point pécher dans la conduite des peuples. On en a monstré les moyens et les voyes1 à Vostre Maiesté dans la nécessité que l'on luy a exposée d'exclure de son Royaume celuy qui ne s'y est introduit que pour le perdre; et comme c'en est vne agréable de donner vn libre consentement aux Oracles Sacrez, estant vray ce que dit la Vérité mesme : Qu'vn lien à trois nœuds ne peut estre rompu, on a estimé que pour entraisner vostre esprit, et le réduire à accorder à vos bons Suiets le bien qu'ils demandent, moins pour eux que pour vous mesme, il falloit y employer vn lien de cette nature. On l'a fait, MADAME; on a estably la Iustice de cette demande commune sur vn triple fondement. On a produit tout à la fois et l'expérience, et l'exemple, et la raison; mais en vain, puisque vous n'en auez point esté persuadée. Vous auez creu vous garantir de telles espreuues par les addresses d'vne prudence victorieuse : Que les exemples produits de tous les Empires et de tous les Royaumes ennemis de tels commerces vous estoient iniurieux, parceque vous soustenez vne authorité sans exemple, et que les raisons alléguées ne vous appartenoient point, vous estant facile de maintenir la concorde dans la différence des mœurs et du langage, d'accommoder la passion d'vn homme du dehors à celle du suiet naturel, et de le mettre en seureté contre la deffiance du peuple et la ialousie des grands par des moyens plus doux que ceux que nous remarquons ordinairement en

* Dans les raisons d'Estat contre le ministère estranger, qui précèdent. Funiculus triplex difficile rumpitur.

leur conduite. Vos résistances, MADAME, ont esté iustes, parce qu'on ne vous a rien produit de fort. Il faut tousiours prendre vn esprit par ce qu'il a de plus solide, et ne luy pas présenter de moindres lumières que celles dont il est esclairé. A vne âme Royale qui ne doit agir que par des motifs tous diuins, il ne faut point luy donner des raisons humaines. Il vaut mieux la battre par l'Escriture que par l'histoire, par les choses qui se font dans les Estats de Dieu, que par celles qui se sont pratiquées dans les Empires des hommes.

C'est par là, MADAME, que ie prends la liberté de vous faire voir la Iustice des vœux et des plaintes de tous vos Suiets, dans la requeste et la très humble supplication qu'ils vous présentent. Ie laisse toute sorte d'expérience sur cette matière; ie passe sous silence, quoyque très conuainquantes et très bonnes, toutes les raisons de l'exclusion que l'on demande à Vostre Maiesté; et au lieu des exemples que ie pourrois produire de Sparte, d'Athènes, de Lacédémone, de Parthe, de Thèbes, d'Égypte, de Rome, d'Alemagne, de Pologne, d'Escosse, et de tous les anciens pays de l'Europe, ie ne m'arreste seulement qu'à l'Empire de Dieu, qui doit estre l'idée et la règle du vostre.

Qui ne sçait, MADAME, que Dieu a tousiours eu en auersion les Estrangers (quoyque luy mesme l'ait paru à ses frères1), iusques là que d'ordonner de ne point prendre femme que de sa Tribu et de sa Nation', comme fit Abraham, donnant charge à Éliézer de chercher vne espouse à son fils Isaac. La loy en est couchée au liure des Nombres Qu'elles se marient, dit Dieu, à qui elles vou

1 Extraneus factus sum fratribus meis.

'Inde accipias vxorem filio meo. Gen., XXIV.

dront; mais que leurs alliances ne se fassent point hors
de leur terre, de peur que leurs héritages et leurs biens
ne soient meslez et confondus'. Ce fut le crime des Iuifs,
passant de Babylone en Iérusalem, d'auoir désobéy à ces
ordres, dont Esdras, qui les auoit pris sous sa conduite,
ayant esté instruit, il deschira ses vestements, confessa
leurs péchez et les pleura; et ayant appellé les infracteurs
du précepte, il commanda aux rebelles de répudier les
Estrangères, les engageant à le faire par des promesses
très solemnelles. Si Salomon, qui les viola, aymant celles
qui estoient éloignées de son pays, eust obéy à cette loy,
il eust esté plus innocent que malheureux; mais portant
son cœur hors de ses terres, il deuint pécheur. C'est
contracter vne espèce d'impureté que de se mesler et
confondre auec des Estrangers. Pour cela Dieu deffendoit
vn tel meslange'; et Esther haïssoit vn tel commerce.
Dans l'institution de l'Agneau Paschal, symbole de
liberté, gage
illustre d'vn double Sacrifice, non seulement
le passant et le mercenaire estoient priuez de sa mandu-
cation; mais encore l'Estranger ennemy du peuple de
Dieu, désolateur de ses fortunes et perturbateur de son
repos. Au lieu de ce mot Estranger, le Caldéen dit
Apostat; le Cardinal Cajetan dit vn méchant et vn im-
pie; quelques autres lisent vn impudique et vn volup-
tueux; S. Bernard l'entend d'vn superbe et d'vn inso-

Nubant quibus volunt, tamen vt suæ tribus hominibus ne commisceatur possessio. Num., xxvI.

2 Adamans mulieres alienigenas. III Reg., XI.

3 Vos transgressi estis et duxistis vxores alienigenas; nunc separamini. I Esdr. Mundavi eos ab alienigenis. II Esdr., XIII.

4 Alienigena non miscebitur. Num., xviii.

* Nosti Dominum quia detestet cubile omnis alienigenæ. Esther, XIV * Omnis alienigena non comedet ex eo. Exod., XII.

e

lent1; S. Grégoire l'entend de celuy qui sème la guerre et la diuision parmy les peuples'; Jansenius et Rodolphe sont de ce mesme sentiment; le Paraphraste Caldéen entend le calomniateur; et tout cela se réduit à ce terme d'Estranger, que Dieu, par sa loy, rebute des choses sainctes et priue de la participation des victimes, aussi bien que de la manducation des pains que l'on offroit en la consécration des Prestres, auxquels il estoit expressément deffendu d'en receuoir, ny toute autre chose de la main de l'Estranger pour l'offrir à Dieu, ces choses estant vitiées et corrompues, et par conséquent abominables et indignes et de la grandeur de Dieu et de l'excellence du Sacrifice.

Quel pensez-vous que fut le dessein de Dieu, MADAME, aduertissant Éléazar par son législateur Moyse de recueillir les encensoirs enueloppez dans les flâmes et les braziers qui venoient de réduire en cendres deux cens cinquante hommes, et de les pendre près de l'Autel à des lames de cuiure, sinon pour apprendre (comme dit le Texte) aux enfants d'Israël de ne permettre iamais qu'vne main estrangère, à moins de vouloir subir le mesme chastiment que Coré, fust si audacieuse que de fumer l'encens du Seigneur3.

Si l'expérience de tant de malheurs causez dans tous les Estats par l'ambition pernicieuse et fatale des Estrangers n'est point capable de nous faire comprendre iusques à quel point doiuent aller les horreurs que nous deuons auoir pour eux, escoutons celuy qui doit régler

' D. Bernard., Lib. de gradibus humanis.

o D. Greg., p. 3, Curæ pastoralis adj. xxiv.

* Ne quis accedet alienigena ad offerendum incensum Domino, ne, etc. Num., XVI.

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