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souverain; ces sages remontrances ne servirent qu'à faire périr leurs auteurs dans les tourmens. Un bramine, ou philosophe, dans le dessein de lui indiquer cette vérité, sans toutefois s'exposer au même péril, imagina le jeu des échecs, où le roi, quoique la plus importante de toutes les pièces, est impuissant pour attaquer et même pour se défendre contre ses ennemis, sans le secours de ses sujets et de ses soldats. Le monarque était né avec beaucoup d'esprit; il se fit lui-même l'application de cette leçon utile, changea de conduite, et par-là prévint les malheurs qui le menaçaient. La reconnaissance du jeune prince lui fit laisser au bramine le choix de la récompense. Celui-ci demanda autant de grains de blé qu'en pourrait produire le nombre des cases de l'échiquier, en doublant toujours, depuis la première jusqu'à la soixante-quatrième ; ce qui lui fut accordé sur-lechamp et sans examen, mais il se trouva, par le calcul, que tous les trésors et les vastes empires du prince ne suffiraient point pour remplir l'engagement qu'il venait de contracter: Alors, notre philosophe saisit cette occasion pour lui représenter combien il importe aux rois de se tenir en garde contre ceux qui les entourent, combien ils doivent craindre que l'on n'abuse de leurs meilleures intentions.

COURAGE DE LA FEMME D'UN CANONNIER.

AVANT que les deux armées Américaine et Anglaise eussent commencé l'action générale à Montmouth, deux batteries avancées fesaient l'une contre l'autre un feu trèsvif. Comme la chaleur était excessive, la femme d'un canonnier Américain courait continuellement pour lui apporter de l'eau qu'elle allait chercher à une source voisine. A l'instant où elle se dispose à passer au poste de son mari, elle le voit tomber et hâte sa marche pour le secourir, mais il était déjà mort. Dans le même moment, elle entend l'officier donner ordre d'ôter ce canon de sa place, se plaignant de ne pouvoir remplacer le brave homme qui venait d'être tué. Non, dit l'intrépide Molly, en regardant fixement l'officier, le canon ne sera pas ôté faute de quelqu'un pour le servir. Puisque mon brave mari ne vit plus, tant que j'existerai je ferai tout ce qui dépendra de moi pour le venger. L'activité et le courage avec lesquels elle remplit l'office de canonnier tout le tems de l'action, lui attirèrent l'attention de tous ceux qui en furent témoins, et enfin du

général Washington lui-même, qui lui donna le rang de lieutenant, et qui lui fit avoir la demi-paye sa vie durant. Elle porta l'épaulette, et tout le monde l'appelait capitaine Molly.

ABAUZIT.

ABAUZIT, célèbre écrivain protestant, passait pour ne s'être jamais mis en colère: quelques personnes s'adressèrent à sa servante pour s'asssurer și cela était vrai. Il y avait trente ans qu'elle était à son service; elle protesta que pendant tout ce tems, elle ne l'avait jamais vu en colère. On lui promit une somme d'argent si elle pouvait parvenir à le fâcher. Elle y consentit; et, sachant qu'il aimait à être bien couché, elle ne fit point son lit. M. Abauzit s'en aperçut, et le lendemain matin lui en fit l'observation; elle lui répondit qu'elle l'avait oublié. Il ne dit rien de plus ; le soir elle ne fit pas le lit davantage; même observation le lendemain; elle y répondit par une excuse en l'air encore plus mauvaise. Enfin, à la troisième fois, il lui dit : Vous n'avez pas encore fait mon lit: apparemment que vous avez pris votre parti là-dessus, et que cela vous paraît trop fatigant. Mais, après tout, il n'y a pas de mal; car je commence à m'y faire. Elle se jeta à ses pieds, et lui avoua Ce trait figurerait très-bien dans la vie de Socrate.

tout.

DUGOMMIER.

A la bataille de la montagne Noire, en 1794, un obus lancé par les Espagnols éclate sur la tête du général en chef Dugommier qui était demeuré stationnaire au centre de son armée. Ce général est renversé, sa tête est fracassée, son sang rejaillit sur ceux qui l'entourent. Ses officiers et deux de ses fils qui se trouvaient à ses côtés le relèvent; un reste de vie l'animait encore; et, général prudent jusque dans les bras de la mort, il dit aux officiers qui l'entourent: Faites en sorte de cacher ma mort à nos soldats afin qu'ils achèvent de remporter la victoire, seule consolation de mes derniers momens. Il expire en prononçant ces mots. Les Français gagnèrent en effet la bataille, et vengèrent sa mort par celle du général en chef ennemi, qui fut atteint de deux balles et tomba mort au milieu de la mêlée. Mais les

Français ressentirent plus vivement que les Espagnols la perte de leur illustre général. La douleur des soldats absorba dans leurs cœurs le sentiment qu'inspire la victoire. Ils gagnèrent leurs quartiers à pas lents et dans l'attitude du regret. On creusa, au milieu de la forteresse de Bellegarde, la tombe qui reçut le corps défiguré du vainqueur des Anglais et des Espagnols. L'armée entière accompagna cette pompe lugubre; généraux, officiers, soldats, citoyens, tous versaient des torrens de larmes éloge sublime, et qui prouvait mieux pour la gloire du défunt que l'oraison funèbre la plus éloquente. Dugommier avait cinquante-huit ans quand la mort vint le frapper sur le champ de bataille. Il était l'idole des troupes, qui avaient pour lui un dévouement sans bornes. Avare de leur sang, on le vit souvent s'exposer lui-même avec la plus rare intrépidité. Souvent il visitait les camps, et se plaisait à converser avec les soldats, qui se pressaient autour de lui pour recueillir ses paroles de bonté, d'encouragement ou d'espérance. A la première nouvelle de sa mort, un cri unanime se fit entendre dans tous les rangs, comme autrefois dans l'armée de Turenne : Nous avons perdu notre père !

FERMETÉ DE CARACTÈRE.

MADEMOISELLE AUGUSTE était une chanteuse d'une figure assez agréable, qui ne manquait pas de talent et qui avait surtout un caractère ferme et décidé. Elle fit un voyage en Pologne; passant par Berlin, à son retour, elle se trouva dans un bal auquel assistait Frédéric II. Il fut curieux de l'entendre, et envoya un chambellan la prier de chanter. Mademoiselle Auguste répondit qu'elle n'était pas venue dans cette intention et qu'elle ne le pouvait pas ce jour-là. Frédéric, contrarié dans ses désirs, oublia un moment qu'il était philosophe pour se souvenir qu'il était monarque; il renvoya le chambellan porteur de ces paroles: Mademoiselle, c'est le Roi qui vous prie de chanter; il n'est point accoutumé aux refus. Monsieur, répondit la jeune Française, dites au Roi, qu'il a mille moyens de me faire pleurer, mais de me faire chanter, pas un.

BEAU TRAIT DE DÉSINTÉRESSEMENT.

DANS la dernière guerre d'Allemagne, un capitaine de

cavalerie est commandé pour aller au fourrage. Il part à la tête de sa compagnie, et se rend dans le quartier qui lui était assigné. C'était un vallon solitaire, où l'on ne voyait guère que des bois. Il y aperçoit une pauvre cabane; il y frappe; il en sort un vieux Hernouten à barbe blanche. Mon père, lui dit l'officier, montrez-moi un champ où je puisse faire fourrager mes cavaliers. Tout à l'heure, reprit Ï'Hernouten.

Ce bon homme se met à leur tête, et remonte avec eux le vallon. Après un quart-d'heure de marche, ils trouvent un beau champ d'orge: Voilà ce qu'il nous faut, dit le capitaine. Attendez un moment, lui dit son conducteur, vous serez content. Ils continuent à marcher, et ils arrivent à un quart-de-lieue plus loin, à un autre champ d'orge. La troupe aussitôt met pied à terre, fauche le grain, le met en trousse, et remonte à cheval. L'officier de cavalerie dit alors à son guide: Mon père, vous nous avez fait aller trop loin sans nécessité; le premier champ valait mieux que celui-ci. Cela est vrai, monsieur, reprit le bon vieillard, mais il n'était pas à moi.

LE BON MINISTRE.

LE puissant Aaron Raschild commençait à soupçonner que son visir Giafar ne méritait pas la confiance qu'il lui avait donnée : les femmes d'Aaron, les habitans de Bagdad, les courtisans, les derviches censuraient le visir avec amertume. Le calife aimait Giafar; il ne voulut point le condamner sur les clameurs de la ville et de la cour: il visita son empire; il vit partout la terre bien cultivée, la campagne riante, les hameaux opulens, les arts utiles en honneur, et la jeunesse dans la joie. Il visita ses places de guerre et ses ports de mer: il vit de nombreux vaisseaux qui menaçaient les côtes de l'Afrique et de l'Asie; il vit des guerriers disciplinés et contens; ces guerriers, les matelots et les peuples des campagnes s'écriaient: O Dieu! bénissez les fidèles, en prolongeant les jours d'Aaron Raschild et de son visir Giafar; ils maintiennent dans l'empire, la paix, la justice et l'abondance: tu manifestes, grand Dieu! ton amour pour les fidèles, en leur donnant un calife, comme Aaron, et un visir comme Giafar. Le calife, touché de ces acclamations, entre dans une mosquée, s'y précipite à genoux,

et s'écrie: Grand Dieu! je te rends grâces, tu m'as donné un visir dont mes courtisans me disent du mal, et dont mes peuples me disent du bien.

LE TOURMENT DES ROIS.

UN roi mourut sans laisser d'héritier; et par son testament il donna la couronne à celui qui, après sa mort, entrerait le premier dans la ville. Un pauvre laboureur parut aux portes lorsque le roi venait d'expirer, et il fut couronné. Il eut à soutenir des guerres intestines et étrangères, à ranimer le commerce, à diminuer les impôts, à faire fleurir les arts, et à pourvoir à la subsistance de son peuple. Il s'instruisit en peu de tems, parce qu'il avait le sens commun; il réussit à tout, parce qu'il voulait le bien; mais il était rempli de soins, et dévoré d'inquiétudes. Un habitant de son village vint le voir, et lui dit: Grâces soient rendues au Dieu incomparable et tout puissant, qui vous a élevé à un si haut degré de gloire et de puissance! Ah! mon ami, dit le roi, au lieu de rendre grâces à Dieu, demande-lui pour moi le courage et la patience; plains-moi au lieu de me féliciter: dans mon premier état, je ne souffrais que de mes besoins, et je souffre aujourd'hui des besoins de chacun de mes sujets.

LA RETRAITE.

Le ministre d'un roi fut disgracié, et se retira dans une vallée fertile, qu'il fit cultiver avec soin: comme il n'avait pas mérité sa disgrace, il s'en consola aisément, et il prit du goût pour le nouveau genre de vie qu'il avait embrassé. Le roi, qui estimait ses talens, sentit la perte qu'il avait faite, et l'alla trouver pour le prier de revenir à la cour; mais le ministre refusa le roi, et lui dit : Tu m'avais élevé aux premières dignités, j'ai soutenu avec fermeté l'agitation des grandeurs; tu m'as forcé à la retraite, je goûte le repos, laisse-m'en jouir. Se retirer du monde, c'est arracher les dents aux animaux dévorans : c'est ôter au méchant l'usage de son poignard, à la calomnie ses poisons, et ses serpens à l'envie. Le roi insista, et dit: J'aurais besoin d'un esprit éclairé et d'un cœur droit et bon qui voulût supporter avec

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