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Il tira ensuite de sa poche une petite lame d'ivoire, écrivit sur cette lame avec une aiguille d'or, attacha la tablette d'ivoire, à l'arc, et présenta le tout à la princesse avec une grâce qui ravissait tous les assistans. Puis il alla modestement se remettre à sa place, entre son oiseau et son valet. Babylone entière était dans la surprise; les trois rois étaient confondus, et l'inconnu ne paraissait pas s'en apercevoir.

Cependant Bélus, ayant consulté ses mages, déclara qu'aucun des trois rois n'ayant pu bander l'arc de Nembrod, il n'en fallait pas moins marier sa fille, et qu'elle appartiendrait à celui qui viendrait à bout d'abattre le grand lion qu'on nourrissait exprès dans sa ménagerie. Le roi d'Egypte, qui avait été élevé dans toute la sagesse de son pays, trouva qu'il était fort ridicule d'exposer un roi aux bêtes pour le marier. Il avouait que la possession de Formosante était d'un grand prix; mais il prétendait que si le lion l'étranglait, il ne pourrait jamais épouser cette belle Babylonienne. Le roi des Indes entra dans les sentimens de l'Egyptien; tous deux conclurent que le roi de Babylone se moquait d'eux; qu'il fallait faire venir des armées pour le punir; qu'ils avaient assez de sujets qui se tiendraient fort honorés de mourir au service de leurs maîtres, sans qu'il en coûtât un cheveu à leurs têtes sacrées; qu'ils détrôneraient aisément le roi de Babylone, et qu'ensuite ils tireraient au sort la belle Formosante.

Cet accord étant fait, les deux rois dépêchèrent, chacun dans leur pays, un ordre exprès d'assembler une armée de trois cent mille hommes pour enlever Formosante.

Cependant le roi des Scythes descendit seul dans l'arène, le cimeterre à la main. Il n'était pas éperdument épris des charmes de Formosante; la gloire avait été jusque-là sa seule passion; elle l'avait conduit à Babylone. Il voulait faire voir que si les rois de l'Inde et de l'Egypte étaient assez prudens pour ne pas se compromettre avec des lions, il était assez courageux pour ne pas dédaigner ce combat, et qu'il réparerait l'honneur du diadème. Sa rare valeur ne lui permit pas seulement de se servir du secours de son tigre. Il s'avance seul, légèrement armé, couvert d'un casque d'acier garni d'or, ombragé de trois queues de cheval, blanches comme la neige.

On lâche contre lui le plus énorme lion qui ait jamais été nourri dans les montagnes de l'Anti-Liban. Ses terribles griffes semblaient capables de déchirer les trois rois à la fois, et sa vaste gueule de les dévorer. Ses affreux rugisse

mens fesaient retentir l'amphithéâtre. Les deux fiers champions se précipitent l'un contre l'autre d'une course rapide. Le courageux Scythe enfonce son épée dans le gosier du lion; mais la pointe rencontrant une de ces épaisses dents que rien ne peut percer, se brise en éclats, et le monstre des forêts, furieux de sa blessure, imprimait déjà ses ongles dans les flancs du monarque.

Le jeune inconnu, touché du péril d'un si brave prince se jette dans l'arène plus prompt qu'un éclair; il coupe la tête du lion avec la même dextérité qu'on a vu depuis dans nos carrousels de jeunes chevaliers adroits enlever les têtes de maures, ou des bagues.

Puis, tirant une petite boîte, il la présente au roi scythe, en lui disant: Votre majesté trouvera dans cette petite boîte le véritable dictame qui croît dans mon pays. Vos glorieuses blessures seront guéries en un moment. Le hasard seul vous a empêché de triompher du lion; votre valeur n'en est pas moins admirable.

Le roi scythe, plus sensible à la reconnaissance qu'à la jalousie, remercia son libérateur; et après l'avoir tendrement embrassé, rentra dans son quartier pour appliquer le dictame sur ses blessures.

L'inconnu donna la tête du lion à son valet: celui-ci, après l'avoir lavée à la grande fontaine qui était au-dessous de l'amphithéâtre, et en avoir fait écouler tout le sang, tira un fer de son petit sac, arracha les quarante dents du lion, et mit à leur place quarante diamans d'une égale grosseur.

Son maître, avec sa modestie ordinaire, se mit à sa place; il donna la tête du lion à son oiseau: Bel oiseau, dit-il, allez porter au pieds de Formosante ce faible hommage. L'oiseau part, tenant dans une de ses serres le terrible trophée; il le présente à la princesse en baissant humblement le cou, et en s'applatissant devant elle. Les quarante brillans éblouirent tous les yeux. On ne connaissait pas encore cette magnificence dans la superbe Babylone; l'émeraude, la topaze, le saphir, et le pyrope étaient regardés encore comme les plus précieux ornemens. Bélus et toute la cour étaient saisis d'admiration. L'oiseau qui offrait ce présent les surprit encore davantage. Il était de la taille d'un aigle, mais ses yeux étaient aussi doux et aussi tendres que ceux de l'aigle sont fiers et menaçans. Son bec était couleur de rose, et semblait tenir quelque chose de la belle bouche de Formosante. Son cou rassemblait toutes les couleurs de l'iris, mais plus vives et plus brillantes. L'or

en mille nuances éclatait sur son plumage. Ses pieds paraissaient un mélange d'argent et de pourpre; et la queue des beaux oiseaux, qu'on attela depuis au char de Junon n'approchait pas de la sienne.

seau.

L'attention, la curiosité, l'étonnement, l'extase de toute la cour se partageaient entre les quarante diamans et l'oiIl s'était perché sur la balustrade entre Bélus et sa fille Formosante; elle le flattait, le caressait, le baisait. Il semblait recevoir ses caresses avec un plaisir mêlé de resQuand la princesse lui donnait des baisers, il les rendait, et la regardait ensuite avec les yeux attendris. Il recevait d'elle des biscuits et des pistaches qu'il prenait de sa patte purpurine et argentée, et qu'il portait à son bec avec des grâces inexprimables.

Bélus qui avait considéré les diamans avec attention, jugeait qu'une de ses provinces pouvait à peine payer un présent si riche. Il ordonna qu'on préparât pour l'inconnu des dons encore plus magnifiques que ceux qui étaient destinés aux trois monarques. Ce jeune homme, disait-il, est sans doute le fils du roi de la Chine, ou de cette partie du monde que l'on nomme Europe, dont j'ai entendu parler, ou de l'Afrique, qui est, dit-on, voisine du royaume d'Egypte.

Il envoya sur-le-champ son grand écuyer complimenter l'inconnu, et lui demander s'il était souverain d'un de ces empires, et pourquoi, possédant de si étonnans trésors, il était venu avec un valet et une petit sac.

Tandis que le grand écuyer s'avançait vers l'amphithéâtre pour s'acquitter de sa commission, arriva un valet sur une licorne. Ce valet, adressant la parole au jeune homme, lui dit: Ormar votre père touche à l'extrémité de sa vie, et je suis venu vous en avertir. L'inconnu leva les yeux au ciel, versa des larmes, et ne répondit que par ce mot; partons.

DE LA POLITESSE.

La société est une sorte de bal masqué; quelque soit d'ailleurs le déguisement de chacun, il est expressément convenu qu'il n'y aura qu'un même masque pour tous: celui de la politesse.

La politesse s'apprend par l'usage du monde. Elle diffère en cela de la grâce, de l'esprit, du goût, du génie, de

certaines vertus sociales que nous apportons en naissant, et que le tems, les circonstances développent en nous. L'usage du monde fait sur notre langage, nos habitudes, sur nos manières, ce que le rabot et la lime font sur le bois et sur les métaux: il les polit. Aussi le mot politesse dérive-t-il du mot polir qui a un sens propre, et un sens figuré.

Agir et parler de manière à satisfaire l'amour-propre de tout le monde, avoir une prévenance affable pour ses égaux, n'être ni trop humble ni trop familier avec ses supérieurs, ne pas tenir ses inférieurs à une distance de soi trop marquée, en un mot, observer scrupuleusement les bienséances; voila en quoi consiste la politesse.

La politesse est un frein qui comprime nos défauts, un vernis qui fait ressortir nos bonnes qualités.

C'est un malheur que de n'être pas humain, généreux, compatissant; c'est un tort que de n'être pas poli.

L'homme poli peut n'avoir aucune vertu, mais il a dumoins cet avantage, que la politesse lui donne l'éxtérieur de

toutes.

La politesse varie suivant les pays, suivant les coutumes, mais dans aucun pays il n'est permis d'être grossier.

La politesse attire et séduit; la grossièreté repousse et révolte.

Un homme poli fait ornement dans la société, un homme grossier y fait tache.

Réduit à passer ma soirée avec un sot, ou avec un grossier, je ne balancerais pas ; on peut s'amuser d'un sot, mais que faire d'un homme grossier?

Il faut qu'un homme ait un mérite bien transcendant pour pouvoir se passer de politesse. Encore est-il vrai de dire que si on l'a vu aujourd'hui, on ne sera pas tenté de le revoir demain.

Les lettres, dit-on, polissent les mœurs. S'il est ainsi, comment se peut-il que les littérateurs soient si peu polis entr'eux? C'est que la politesse s'apprend, comme je l'ai dit, et que tous les littérateurs ne l'apprennent pas. C'est que, chez eux, l'amour-propre est un sentiment dominant et exclusif. Tel ne veut pas souffrir un rival, et tel qui sait fort bien que l'on ne croit pas à son talent, serait très-fâché que l'on crût à celui d'un autre. De là, les épigrammes, les satires, les injures, les libelles, et trop souvent les tons et le langage des halles.

Il y a des hommes à qui les honneurs et les richesses tournent la tête, c'est le plus grand nombre. Polis, tant

qu'ils n'étaient rien, ou qu'ils n'avaient rien, ils deviennent impolis dès qu'ils ont fait fortune, ou qu'ils ont quelque chose. Est-ce que ces hommes-là ne savent pas, que lorsqu'on est généreux, il faut se conduire de manière à se faire pardonner son bonheur.

Il est une politesse affable et unie; il est une politesse froide et composée. La première se manifeste d'égal à égal; la seconde, de supérieur à inférieur.

On verra, si l'on observe la politesse dans toutes ses formes, dans toutes ses nuances, qu'il en est une insolemment protectrice, c'est celle de l'orgueil; et qu'il en est une obligeante, affectueuse, aimable, c'est celle de la bonté. J'appellerai volontiers celle-ci, la plus rare sans doute, la politesse du cœur.

On a établi une distinction entre la politesse et la civilité. C'est qu'en effet, un homme poli est toujours civil, et qu'un homme civil n'est pas toujours poli.

La politesse est dans l'esprit et dans le caractère ; elle est le fruit d'une bonne éducation, d'un commerce habituel avec des gens bien élevés : la civilité n'est que dans le maintien, dans le témoignage extérieur de certaine déférence, de certains égards que l'on croit devoir aux autres, et surtout à ceux que l'on regarde comme au dessus de soi. La politesse n'est pas cérémonieuse; la civilité, au contraire, l'est infiniment; la politesse a un langage fin, délicat, mesuré ; la civilité n'est pas sûre de ses expressions, ni du point où elle doit s'arrêter. La politesse est toujours simple, aisée, noble et franche dans ses manières; la civilité est toujours apprêtée, gauche, commune et fausse dans les siennes. Un homme poli nous met à notre aise; un homme civil nous gêne et nous fatigue. Un homme désintéressé est poli; un homme intéressé est civil. Un maître est poli avec ses domestiques, et ses domestiques sont civils avec lui.

Ne pas répondre à une lettre, ne pas rendre une visite, c'est manquer à la politesse et aux règles de la civilité.

Cliton, entre dans un salon, et le cercle est nombreux. Il ne prend garde à personne, ou aborde familièrement les gens même qu'il ne connaît pas; déchire en passant, la robe d'une femme, ou marche sur le pied de l'homme qui cause avec elle, et ne se croit pas obligé de leur faire la moindre excuse; se jette dans un fauteuil et s'y étend, s'y retourne comme dans son lit; élève la voix, interrompt la conversation et s'en empare; cause, baille et dort pendant qu'on lit ou que l'on fait de la musique; éternue et tousse sans précaution; crache sur le parquet; se mouche à faire trembler

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