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Je portais souvent mes pas vers une métairie située au bord d'un petit lac couronné de bois et de côteaux. J'étais charmé de ce paysage, et j'achetai la métairie.

Je ne tardai pas à m'occuper des productions de ces champs et de ces jardins qui avaient réjoui ma vue. Là, je fis planter des arbres qui devaient dans peu me donner des fruits savoureux. Ici, je fis semer des grains qui pouvaient me rendre cent fois la semence que je confiais à la terre. Au pied de ce côteau, je vis fleurir une vigne qui me promettait des vins dignes de la bouche du roi des rois. Dans le terrain le plus près de ma maison, des légumes croissaient pour ma table, et à ces légumes, d'autres devaient succéder.

Le Dieu du ciel n'ajoutait pas un jour à la chaîne de mes jours, il ne remplaçait pas une saison, par une saison, sans me faire jouir de quelques biens, et sans m'en promettre de

nouveaux.

Je retrouvai l'espérance; je la trouvai, cette source des pensées, cette âme de la vie, ce charme de tous les âges. Aux pieds de mes arbres, dans mes allées, je la rencontre tous les jours. Ces fruits que je cueille, me disent qu'elle ne m'a pas trompé. Ces fleurs qu'elle me présente ne me tromperont pas davantage.

Vivez, ô jeunesse, dans le sein des villes opulentes; elles sont le séjour de l'instruction et des plaisirs. Jouissez-y des délices de votre âge, instruisez-vous avec les hommes dans l'art de les servir un jour.

Vous qui parvenez à l'âge mûr, habitez les camps et les cours, remplissez les tribunaux, volez sur les mers, servez ou protégez la société qui vous fait jouir de ses biens.

Et vous dont la course s'est ralentie, et qui arrivez à la fin de votre carrière, ô vieillards, habitez les champs. Là, dans un repos interrompu par de douces occupations, vous jouirez du passé, vous saisirez le présent, et les illusions de l'espérance vous amuseront encore le jour même où le tems ouvrira pour vous les portes du tombeau.

L'ÉDUCATION D'UN PRINCE.

COSROÈS avait un ministre dont il était content, et dont il se croyait aimé. Un jour ce ministre vint lui demander à se retirer. Cosroès lui dit: Pourquoi veux-tu me quitter? je t'ai approché de mon cœur, ne t'en éloigne jamais.

Mitrâne, c'était le nom du ministre, répondit: Oroi! je t'ai servi avec zèle, et tu m'en as trop récompensé; mais la nature m'impose aujourd'hui des devoirs sacrés, laisse-les moi remplir: j'ai un fils, il n'a que moi pour lui apprendre à te servir un jour comme je t'ai servi.

Je te permets de te retirer, dit Cosroès, mais à une condition. Parmi les hommes de bien que tu m'as fait connaître, il n'en est aucun qui soit aussi digne que toi d'élever un jeune prince finis ta carrière par le plus grand service qu'un homme puisse rendre aux hommes: qu'ils te doivent un bon maître. Je connais la corruption de la cour; il ne faut pas qu'un jeune prince la respire: prends mon fils, et va l'instruire avec le tien dans la retraite, au sein de l'innocence et de la vertu.

Mitrâne partit avec les deux enfans, et après cinq ou six années, il revint avec eux auprès de Cosroès, qui fut charmé de revoir son fils, mais qui ne le trouva pas égal en mérite au fils de son ancien ministre. Il s'en plaignit à Mitrâne; qui lui répondit: O roi, mon fils a fait un meilleur usage que le tien des leçons que j'ai données à l'un et à l'autre. Mes soins ont été partagés également entre eux; mais mon fils savait qu'il aurait besoin des hommes, et je n'ai pu eacher au tien que les hommes auraient besoin de lui.

LE CRIME.

TROIS habitans de Balk voyageaient ensemble: ils rencontrèrent un trésor, et ils le partagèrent; ils continuèrent leur route, en s'entretenant de l'usage qu'ils feraient de leurs richesses. Les vivres qu'ils avaient portés étaient consommés; ils convinrent qu'un d'eux irait en acheter à la ville, et que le plus jeune se chargerait de cette commission; il partit.

Il se disait en chemin : me voila riche, mais je le serais bien davantage si j'avais été seul quand le trésor s'est présenté..... Ces deux hommes m'ont enlevé mes richesses.... Ne pourrais-je pas les reprendre....? Cela me serait facile. Je n'aurais qu'à empoisonner les vivres que je vais acheter à mon retour, je dirais que j'ai dîné à la ville: mes compagnons mangeraient sans défiance, et ils mourraient. Je n'ai que le tiers du trésor, et j'aurais le tout.

Cependant les deux autres voyageurs se disaient: Nous avions bien à faire que ce jeune homme vint s'associer à nous : nous avons été obligés de partager le trésor avec

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lui: sa part aurait augmenté les nôtres, et nous serions véritablement riches.... Il va revenir, nous avons de bons poignards....

Le jeune homme revint avec des vivres empoisonnés : ses compagnons l'assassinèrent: ils mangèrent, ils moururent, et le trésor n'appartint à personne.

LE TAILLEUR DEVENU GÉNÉRAL.

LE célèbre Dorfling, l'un des généraux du Grand Electeur, Frédéric-Guillaume de Brandebourg, était originairement tailleur. En sortant d'apprentissage à Tangermunde, il eut l'ambition de vouloir aller travailler à Berlin. Comme il fallait passer l'Elbe dans un bac, et qu'il n'avait pas de quoi payer, le passage lui fut refusé. Piqué de cet affront, il dédaigna un métier qu'il en crut la cause, jeta son havresac dans le fleuve et se fit soldat. Il marcha à pas de géant dans cette carrière. Il eut bientôt l'estime de ses camarades, ensuite de ses officiers et enfin de l'Electeur, son maître. Ce grand prince qui aimait la guerre, qui la savait, et qui était forcé de la faire, avança rapidement un homme qui joignait les vertus du citoyen à tous les talens du militaire. Dorfling fut fait feld-maréchal, et remplit l'idée qu'on doit se former d'un homme, qui de l'état de soldat parvient au généralat. Une fortune si considérable excita la jalousie des cœurs sans élévation. Il y eut des hommes assez bas pour dire que Dorfling pour être devenu grand seigneur, n'avait pas perdu l'air de son premier état. Oui, dit-il à ceux qui lui rapportèrent ce discours, j'ai été tailleur ; j'ai coupé du drap: mais maintenant, continua-t-il en portant la main sur la garde de son épée, voici l'instrument avec lequel je coupe les oreilles à ceux qui parlent mal de moi.

LES DEUX AMIS.

LES deux classes de l'école de Westminster ne sont séparées que par un rideau, qu'un écolier déchira un jour par hasard. Comme cet enfant était d'un naturel doux et timide, il tremblait de la tête aux pieds, dans la crainte du châtiment qui lui serait infligé par un maître connu pour être rigide. Un de ses camarades le tranquillisa, en lui

promettant de se charger de la faute et de subir la punition; ce que réellement il fit. Les deux amis, qui étaient deve nus hommes, lorsque la guerre civile d'Angleterre éclata, embrassèrent des intérêts opposés: l'un suivit le parti du Parlement, et l'autre le parti du Roi, avec cette différence, que celui qui avait déchiré le rideau tâcha de s'avancer dans les emplois civils, et celui qui en avait subi la peine, dans les militaires.

Après des succès et des malheurs variés, les républicains remportèrent un avantage décisif dans le nord de l'Angleterre, firent prisonniers tous les officiers considérables de l'armée de Charles, et nommèrent peu après des juges pour faire le procès à ces rebelles, ainsi qu'on les appelait alors. L'écolier timide, qui est un de ces magistrats, entend prononcer parmi les noms des criminels celui de son généreux ami, qu'il n'a pas vu depuis le collége; il le considère avec toute l'attention possible, croit le reconnaître, s'assure par des questions sages qu'il ne se trompe pas, et sans se découvrir lui-même, prend avec un grand empressement le chemin de Londres. Il y employa si heureusement son crédit auprès de Cromwell, qu'il préserva son ami du triste sort qu'éprouvèrent ses infortunés complices.

TRAIT DE JUSTICE.

L'EMPEREUR se promenant seul dans les rues de Vienne, vêtu comme un simple particulier, rencontra une jeune personne tout éplorée qui portait un paquet sous son bras. Qu'avez-vous, lui dit-il affectueusement? que portez-vous ? où allez-vous? ne pourrais-je calmer votre douleur ?—Je porte des hardes de ma malheureuse mère répondit la jeune personne au Prince qui lui était inconnu, je vais les vendre ; c'est, ajouta-t-elle d'une voix entrecoupée, notre dernière ressource. Ah! si mon père, qui versa tant de fois son sang pour la patrie, vivait encore, ou s'il avait obtenu la récompense due à ses services, vous ne me verriez pas dans cet état. Si l'empereur, lui répondit le monarque attendri, avait connu vos malheurs, il les aurait adoucis ; vous auriez dû lui présenter un mémoire, et employer quelqu'un qui lui eût exposé vos besoins.-Je l'ai fait, répliqua-t-elle, mais inutilement; le seigneur à qui je m'étais adressée m'a dit qu'il n'avait jamais pu rien obtenir.-On vous a déguisé la

vérité, ajouta le Prince, en dissimulant la peine qu'un tel aveu lui fesait; je puis vous assurer qu'on ne lui aura pas dit un mot de votre situation, et qu'il aime trop la justice pour laisser périr la veuve et la fille d'un officier qui l'a bien servi. Faites un mémoire, apportez-le-moi demain au château, en tel endroit, à telle heure; si tout ce que vous dites est vrai, je vous ferai parler à l'empereur, et vous en obtiendrez justice. La jeune personne, en essuyant ses pleurs, prodiguait des remercimens à l'inconnu, lorsqu'il ajouta: Il ne faut cependant pas vendre les hardes de votre mère. Combien comptiez-vous en avoir? Six ducats, ditelle.-Permettez que je vous en prête douze jusqu'à ce que nous ayons vu le succès de nos soins.

A ces mots, la jeune fille vole chez elle, remet à sa mère les douze ducats avec les hardes; lui fait part des espérances qu'un seigneur inconnu vient de lui donner : elle le dépeint, et ses parens qui l'écoutaient, reconnaissent l'empereur dans tout ce qu'elle en dit. Désespérée d'avoir parlé si librement, elle ne peut se résoudre à aller le lendemain au château; ses parens l'y entraînent: elle y arrive tremblante, voit son souverain dans son bienfaiteur, et s'évanouit. Cependant le Prince, qui avait demandé la veille le nom de son père et celui du régiment dans lequel il avait servi, avait pris des informations, et avait trouvé que tout ce qu'elle lui en avait dit était vrai. Lorsqu'elle eut repris ses sens, l'empereur la fit entrer avec ses parens dans son cabinet, et lui dit de la manière la plus obligeante: Voilà, mademoiselle, pour madame votre mère, le brevet d'une pension égale aux appointemens qu'avait monsieur votre père, dont la moitié sera reversible sur vous, si vous avez le malheur de la perdre; je suis fâché de n'avoir pas appris plus tôt votre situation, j'aurais adouci votre sort.

LE SOLDAT MAGNANIME.

LORSQUE le grand Condé commandait en Flandre l'armée espagnole, et fesait le siége d'une place française; un soldat ayant été maltraité par un officier-général, et ayant reçu plusieurs coups de canne pour quelques paroles peu respectueuses qui lui étaient échappées, répondit avec un grand sang-froid qu'il saurait bien l'en faire repentir.

Quinze jours après, ce même officier-général, chargea le colonel de tâcher de lui trouver dans son régiment un

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