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la tête; et après avoir été quelque tems dans cette attitude, il regarda le jeune Anglais, et lui dit d'un ton mêlé de tendresse et de douleur: As-tu en père? Il vivait encore, dit le jeune homme, lorsque j'ai quitté ma patrie. Oh ! qu'il est malheureux! s'écrie le sauvage; et, après un moment de silence, il ajouta: Sais-tu que j'ai été père ?......Je ne le suis plus. J'ai vu mon fils tomber dans le combat, il était à mon côté, je l'ai vu mourir en homme: il était couvert de blessures quand il est tombé. Mais je l'ai vengé! Il prononça ces mots avec force. Tout son corps tremblait. Il était presque étouffé par des gémissemens qu'il ne voulait pas laisser échapper. Ses yeux étaient égarés, ses larmes ne coulaient pas. Il se calma peu-à-peu, et se tournant vers l'Orient où le soleil allait se lever, il dit au jeune Anglais : Vois-tu ce beau ciel resplendissant de lumière? As-tu du plaisir à le regarder? Oui, dit l'Anglais, j'ai du plaisir à regarder ce beau ciel. Eh bien!........Je n'en ai plus, dit le sauvage, en versant un torrent de larmes. Un moment. après, il montre au jeune homme un manglier qui était en fleurs. Vois-tu ce bel arbre, lui dit-il? as-tu du plaisir à le regarder? Oui, j'ai du plaisir à le regarder. Je n'en ai plus, reprit le sauvage avec précipitation; et il ajouta tout de suite: Pars, va dans ton pays, afin que ton père ait encore du plaisir à voir le soleil qui se lève, et les fleurs du printems.

LE PRESSENTIMENT.

LE baron de Marivet, écuyer d'une des filles de Louis XV, ne voulut point émigrer, parce qu'il était sur le retour de l'âge. Cependant la révolution marchait à grands pas. Retiré dans sa maison avec ses fleurs, ses livres et une compagne chérie, qui depuis peu venait de le rendre père, Mr. de Marivet ne se communiquait point, ne sortait pas et ne recevait que quelques amis, quelques visites rares. était travaillé d'un pressentiment funeste, d'un pressentiment de mort qui ne le quittait pas. Vainement sa femme cherchait à l'arracher à une si cruelle préoccupation. Je mourrai sur l'échafaud était sa seule réponse à ses soins.

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Pourtant il aimait à répéter que si le jour de sa naissance se passait sans qu'il fut arrêté, il serait délivré du poids qui l'étouffait et se croirait sauvé. Une fois que dans sa mélancolie, il regardait fixement son fils, à peine âgé de deux

ans, il dit aussi: Je ne vivrai pas assez pour voir cet enfant en pantalon. Toutes ces paroles étaient recueillies par sa femme.

Le règne de la terreur, monté au comble, touchait à sa fin, et le jour de naissance de Mr. de Marivet était arrivé. Ce jour-là, elle lui prépara dans son intérieur, une petite fête. Le moment du souper fut choisi pour la lui donner. Voulant surprendrea gréablement son mari, et faire mentir ses pressentimens, Mme. de Marivet, à onze heures du soir, comme on servait le dessert, sort de table, rentre un moment après avec son fils habillé en matelot, et, le mettant dans les bras de son mari qu'elle embrasse: Mon ami, lui dit-elle, tu vois ton fils en pantalon, et le jour de ta naissance est enfin passé. Pas encore, dit froidement Mr. de Marivet, minuit n'est pas sonné. Ces paroles glacèrent ses amis. On porte les yeux sur une pendule: on regarde en silence marcher l'aiguille; elle touchait au terme, quand le bruit du marteau fait retenir la porte de la maison. Mr. de Marivet pâlit, tout ce qui l'entoure est frappé de stupeur, on ouvre; c'était le comité révolutionnaire qui venait s'en

emparer.

Peu de jours après sa tête tomba sur l'échafaud.

LE SONGE.

UN jour je me retirais chez moi, l'esprit rempli d'observations chagrines; et après avoir fait la satire de tous les états, de toutes les conditions et de moi-même, je tombai dans un sommeil profond: j'eus un songe. Je me crus transporté dans ma solitude, et loin des défauts qui m'avaient blessé je me promenais avec une joie tranquille dans la forêt qui protège ma cabane contre les vents d'Arabie, je me dérobais sous ses ombrages aux folies des hommes.

Le soleil venait de s'élever sur l'horizon, ses rayons doraient la verdure interposée entre lui et moi, et donnaient de la transparence au feuillage. J'entendais les chants d'une multitude d'oiseaux: j'étais attentif à tous leurs accens; j'en observais la diversité, ainsi que celle de leurs formes, de leurs vols et de leurs plumages. Le rossignol, le merle, le corbeau, la fauvette, le geai, l'alouette, l'aigle, la tourterelle, chantaient, sifflaient, croassaient, criaient, roucoulaient, sautaient, voltigeaient, volaient, ou planaient.

Le ciel me donna tout-à-coup l'intelligence de leurs différens langages; j'entendis l'aigle qui raillait le hibou sur la

vue : la tourterelle parlait fort mal des mœurs de l'épervier, qui n'avait que du mépris pour sa faiblesse : le merle fesait des plaisanteries sur le cri de l'aigle: le geai et la pie disaient des injures; ils reprochaient au corbeau sa mine triste, et trouvaient au moineau l'air commun.

Je vis descendre du ciel une figure fort extraordinaire : c'était un jeune homme dont le corps avait la couleur de la neige, sur laquelle on aurait jeté des feuilles de roses; il avait de grandes ailes bleues, dont les extrémités étaient dorées; ses cheveux étaient noirs comme l'ébène; ses yeux étaient de la couleur de ses cheveux, et si perçans que l'hypocrite n'aurait pu soutenir ses regards. Il se posa sur un platane qui s'élevait au-dessus des cèdres de la forêt: il appela par leurs noms les différentes espèces d'oiseaux, que je vis s'abattre autour de lui sur les rameaux des cèdres ; il leur ordonna le silence, et il leur dit: Ecoutez ce que j'ai à vous révéler de la part du Grand-Etre. Vous êtes tous égaux en mérite, vous êtes différens en qualité, parce que vous êtes destinés à des fonctions différentes.

L'aigle est né pour la guerre; son cri, expression de la force, ne peut avoir de l'harmonie; le hibou n'aurait point surpris dans les ténèbres les insectes et les reptiles, dont il doit purger la terre, si ses yeux avaient pu soutenir l'éclat du soleil; pour donner au rossignol et à la fauvette leur voix douce et légère, il a fallu leur donner des organes délicats; la tourterelle, née pour l'amour, se tient sous les ombrages, où rien n'interrompt en elle le plaisir d'aimer ; qu'ajouteraient à ce plaisir le bec et les griffes de l'épervier? Restez ce que vous êtes, sans regret et sans orgueil, cédez différemment aux impulsions de la nature, et voyez dans vos espèces des différences et non des défauts.

A ces mots, je vis les oiseaux se disperser dans la forêt, et le génie s'élever aux cieux, en jetant sur moi un regard plein d'expression. Je m'éveillai, et je me dis: M'arrivera-t-il encore d'exiger dans le cadi la douceur du courtisan, dans l'iman la franchise du guerrier, dans le marchand le désintéressement du sage, dans le sage l'activité de l'ambitieux! c'est moi que tu es venu instruire, ô céleste génie ! tes leçons seront à jamais gravées dans mon cœur, et mes lèvres les répéteront aux hommes.

O mes frères! nous partirons ensemble pour voyager, les uns au nord, les autres au midi : il ne nous faut ni les mêmes vêtemens, ni les mêmes provisions. Nous vivons dans une famille, dont le chef nous a donné des biens de différente

nature.

A quoi servent à celui qui taille les arbres du verger, les instrumens du labourage!

LE BONHEUR.

Les gens du monde placent d'ordinaire le bonheur dans les richesses et dans la vie tumultueuse des villes; les sages, au contraire, se sont accordés dans tous les tems et dans tous les pays à ne trouver la véritable félicité que dans la médiocrité et le séjour de la campagne. Quels motifs assez puissans ont pu déterminer cette dernière opinion si souvent démentie par les propos de la société, et lui donner un crédit assez grand pour contrebalancer les préjugés de la mode ou les frivoles impressions du jeune âge? Je vois déjà l'observateur superficiel traiter ces motifs de chimère par la seule raison qu'ils échappent à ses regards distraits. Combien pourtant ils sont réels et dignes d'être appréciés par un cœur tendre et un esprit doué de quelque solidité! Âpprochez, incrédules, et pour revenir de vos futiles préventions, faites un moment la comparaison du riche citadin avec l'homme des champs qui borne ses vœux à la jouissance paisible de son modique héritage, tandis que tous les momens de l'opulence sont remplis par des occupations qui ne lui laissent ni repos ni vrais plaisirs. La médiocrité, exempte des embarras du luxe, à l'abri de l'envie, permet au cœur de se livrer à tous ses louables penchans, à l'esprit de cultiver toutes ses facultés. La bienfesance, qui s'exerce à si peu de frais, laisse au fond de l'ame des jouissances bien préférables à celles de la fortune. La flatterie ne dresse pas autour de la demeure de l'homme des champs les embûches dont elle environne les palais.

La médiocrité jouit surtout de ce rare privilége de pouvoir choisir le genre de vie le plus conforme à ses goûts, sans craindre les importuns ou les censeurs. Renfermée, par sa position, dans une carrière étroite et bornée, ses regards ne se portent pas vers un but imaginaire qui ne lui laisserait que des regrets, et la modération la préserve des écarts et des remords de tous genres qu'ils traînent à leur suite.

Malgré tous ces avantages, il est peu de personnes qui sachent jouir de la médiocrité ; le mérite seul peut s'y plaire; le vulgaire aime bien mieux dissiper dans les villes son pa

trimoine, ruiner sa santé, compromettre son avenir, et puiser à la source des plaisirs frivoles une satiété prématurée, que de se préparer des jouissances paisibles et impérissables, par l'étude et la réflexion. Quel étrange aveuglement! Comment ne cesse-t-il pas au seul aspect d'une riante campagne? Qui ne sent sous un beau ciel son cœur s'épanouir, son esprit s'élever, tout son être animé d'une vie nouvelle ? La jeunesse y trouve les objets en harmonie avec la naïveté de ses sentimens, et la vieillesse s'y repose des peines inséparables d'une longue carrière. Ce n'est enfin qu'à la campagne et au sein de la médiocrité, que l'on jouit du présent, et que l'on peut contempler l'avenir sans crainte, et le passé sans regret.

LE JEUNE TROMPETTE.

AFIN de soulager son pauvre père déjà avancé en âge et chargé de famille, un petit villageois des environs de Philisbourg, ayant à peine atteint sa onzième année, quitta la maison paternelle, et s'engagea en qualité de trompette dans le régiment de Furstemberg; il s'y fit généralement aimer par son intelligence, et par sa docilité envers ses chefs.

Une conduite régulière, jointe à une taille superbe, le fit avancer en peu de tems. Dès l'âge de seize ans il était le premier trompette de son corps.

Il y avait déjà huit années que le jeune Allemand était loin de sa famille, et il redisait sans cesse: Quand irai-je donc embrasser mon pauvre père! Oh! qu'il sera content de me revoir! Plein de cette bonne idée, le jeune militaire obtient un congé de deux mois; il part avec sa trompette chérie, et une ceinture garnie de cent pièces d'or, fruit honorable et précieux de ses économies.

Oh! quelle fête ! quel jour de gloire pour un bon fils! quelle satisfaction de retourner, après un si long-tems, dans les lieux témoins de son enfance ! quel triomphe surtout d'y reparaître en qualité de bienfaiteur, et d'y donner des preuves de sagesse dans un âge qui le plus souvent n'est encore marqué que par des écarts et des fautes!

Projets trop flatteurs! illusion vertueuse! consolante espérance! hélas! vous ne fûtes pas réalisés! Le jeune homme s'étant mis en marche vers la fin de l'hiver de 1709, le Rhin était gelé à la profondeur de plusieurs pieds.

Comme il traversait ce fleuve, le chemin le plus court,

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