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économe, vigilant, juste et sévère; souviens-toi que tu es à tes sujets, et que tes sujets ne sont pas à toi; donne les emplois à ceux qui aiment ton peuple; punis les grands qui font hair ton autorité, récompense ceux qui la font aimer; aime la Perse, et ceux qui n'ont que l'esprit de leur état auront l'amour de la patrie.

LE FORGERON BAZIM.

LE calife Haroun-al-Raschid avait pour habitude de faire dans Bagdad des visites nocturnes, et de s'assurer par luimême si ses ordonnances sévères sur la police étaient bien exécutées. Un soir, il se trouva avec son visir Giafar le Barmecide, et Mezrour son chef de harem, devant une maison qui retentissait de chants joyeux. Le calife ordonna à Mezrour de frapper à la porte-Qui va là, demanda-t-on d'une voix brusque? Nous sommes, répondit Giafar, des étrangers qui se sont égarés: il est tard, et nous craignons que la police ne nous arrête: nous vous prions de nous ouvrir, et de nous permettre de passer cette nuit chez vous. Non pas, dit la voix du dedans; vous êtes de francs écornifleurs qui avez imaginé ce prétexte pour m'escamoter gratis une partie de mon souper. Le calife rit de cette idée, et Giafar fit tant d'instances, qu'à la fin le maître du logis ouvrit, à condition pourtant qu'ils n'iraient pas le lendemain raconter à leurs semblables l'accueil qu'ils auraient reçu. Ils entrèrent donc, et trouvèrent un homme tout seul à une table bien dressée, et couverte de plats et de bouteilles. II leur demanda qui ils étaient; à cette demande prévue, ils se dirent des marchands de Moussoul, arrivés à Bagdad pour des affaires de commerce: à son tour Giafar s'informa de son nom et de sa profession. Celui-ci leur fit d'abord jurer qu'ils n'abuseraient pas de sa franchise: puis il leur confia que son nom était Bazim, le forgeron ; qu'il gagnait tous les jours cinq dirhems; que le soir venu, il achetait pour deux dirhems de pain et de viande, pour un de fruits, pour un de chandelle, pour un de vin; qu'il était son propre cuisinier ; qu'il s'amusait à chanter, et qu'il avait mené régulièrement cette vie paresseuse, solitaire et joyeuse depuis vingt-ans, jour par jour, et nuit par nuit, sans que les cinq dirhems nécessaires aux frais de son ménage lui eussent jamais manqué. Mais, lui dit Giafar, si demain un édit du calife défendait aux forgerons d'ouvrir leur boutique, d'où prendriez

vous pain, viande, vin, fruits et chandelle ?-Eh bien! ne l'avais-je pas dit, répliqua Bazim, que vous étiez des espions? vous irez demain raconter à tout le monde la vie que je mène, vous me peindrez comme un homme sans conduite. Que je m'en veux de vous avoir laissé entrer! si mes craintes se réalisaient, j'irais vous chercher dans tout Bagdad, et sûrement je vous déterrerais, et vous ferais payer cher votre indiscrétion. Le calife eut bien de la peine à contenir l'envie de rire qui le pressait; il s'amusa beaucoup des alarmes et des menaces du forgeron; et la nuit était fort avancée lorsqu'ils se retirèrent.

Le lendemain, le calife ordonna à Giafar de faire publier un ordre qui défendait aux forgerons, sous les peines les plus sévères, d'ouvrir boutique durant trois jours. Quand Bazim arriva à la porte de son atelier, il la trouva fermée ; l'un des compagnons assis à la porte, lui apprit la défense du calife. Le forgeron se retira tout consterné et ne sachant que devenir. Il s'arrêta pour boire à la fontaine d'un bain public. Le maître baigneur, qui était une de ses anciennes connaissances, l'aperçut, et lui demanda ce qu'il fesait. Bazim lui raconta l'embarras dans lequel le mettait la défense du calife. N'est-ce que cela, répondit son ancien ami? reste ici les trois jours, et viens m'aider à recevoir mes pratiques: voici un peigne, un frottoir, du savon et un essuie-main. Bazim frotta son monde de son mieux, et avant le soir, il avait déjà gagné cinq dirhems.

A peine avait-il cette somme en main, qu'il laissa là le bain et les baigneurs, et s'en alla au marché acheter sa provision ordinaire pour s'amuser chez lui, comme il avait fait depuis vingt ans, jour par jour et nuit par nuit, en mangeant, buvant et chantant à sa guise. La nuit venue, Haroun se rappela l'aventure de la veille, et dit à Giafar: allons voir notre forgeron! le pauvre diable n'aura rien à manger ce soir. Arrivés à la maison, quel fut leur étonnement d'entendre les mêmes chants que la veille! Giafar frappa à la porte, et Bazim, qui avait déjà bu quelques coups, mit la tête à la fenêtre, reconnut ses hôtes, et les fit entrer. Nous sommes venus, dirent les prétendus marchands pour voir comment vous vous trouvez de la défense du calife contre les forgerons. N'avais-je pas bien raison de vous dire, répondit Bazim, que vous étiez des oiseaux de mauvais augure? mais Dieu est grand! . . . . . J'ai ma viande, mon pain, mon vin, mes fruits, dont cependant, je vous le dis d'avance, vous ne tâterez pas plus aujourd'hui qu'hier, car depuis vingt

ans que je vis de même, je n'ai jamais eu de parasites à ma table.

Le calife et Giafar le rassurèrent, en lui disant qu'ils n'étaient pas venus pour son souper, mais seulement pour avoir le plaisir de sa compagnie. Il leur raconta ensuite son aventure du jour, et Giafar lui demanda encore ce qu'il ferait si le lendemain les bains étaient fermés. A ce propos, Bazim, irrité, exhala sa colère en injures contre le questionneur, et le calife étouffait de rire. Haroun et son visir rentrèrent fort tard par la porte secrète du palais.

Le lendemain, les crieurs publièrent l'ordre du calife de fermer tous les bains pendant trois jours, sous peine pour le maître de celui qui serait trouvé ouvert, d'être pendu devant sa porte.

Les trois grands bains de Bagdad, celui du calife, celui de la princesse Zobéide, et celui du visir Giafar furent fermés sur-le-champ, et les petits bains n'eurent garde de ne pas imiter cet exemple. Le peuple commença, à

murmurer.

Que Dieu bénisse le calife! hier il a fait fermer les ateliers de forgerons, aujourd'hui ce sont les bains, demain sans doute ce sera le tour des boulangeries et des boucheries; mais il faudra qu'en même tems il avise aux moyens de nous fermer la bouche.

Bazim, désespéré, ne savait plus quel parti prendre ; il rentra chez lui, se mit à réfléchir, et midi était sonné qu'aucun expédient ne s'était encore présenté à son imagination : enfin il lui revint en mémoire qu'il avait parmi ses hardes de famille, un vieil habit d'huissier; il l'endossa, et alla se mêler dans la foule, devant la mosquée, à l'endroit où ces sortes de gens ont pour ordinaire de se tenir. A peine étaitil arrivé qu'une femme, le prenant pour un véritable suppôt de justice, le requit de citer son mari contre lequel elle voulait plaider. Bazim se fit sur-le-champ donner deux dirhems, taxe ordinaire des citations; et quand il eut appelé le mari, il consentit qu'il se rachetât, pour ce jour-là, moyennant la modique somme de trois dirhems; ce qui fit justement les frais de son souper.

Le soir, le calife, Giafar et Mezrour allèrent voir ce qu'était devenu le forgeron ex-baigneur, et le trouvèrent comme les jours précédens, à manger, à chanter et à boire. Ils furent d'abord assez mal accueillis: c'étaient leurs visites qui lui avaient occasionné tous ces malheurs; et que leur avait-il fait pour le poursuivre avec cet acharnement?

Cependant, comme au fond il était bonhomme, il s'appaisa bientôt, et se réconcilia d'autant plus aisément avec eux, qu'ils ne touchaient point à son souper, et qu'il était tant soit peu babillard.

Il leur raconta donc la nouvelle du jour; comment il avait été une seconde fois trompé dans son attente; comment il avait trouvé un habit d'huissier, dont il s'était affublé; comment, à défaut de lame, il avait mis dans son fourreau un morceau de bois; comment, à la faveur de cet accoutrement, il avait gagné les frais de son souper; il ajouta qu'il comptait en faire autant le jour suivant. Le calife et ses deux compagnons applaudirent à ce projet. La singularité des expédiens auxquels le forgeron avait eu recours, leur avait fait passer une soirée fort amusante, et ils se retirèrent assez tard.

Le lendemain, Bazim se leva de grand matin, tout satisfait de son nouveau métier, et jurant par son marteau et par son enclume qu'il serait huissier le reste de sa vie. Il endossa la jaquette noire, ceignit son fourreau à lame de bois, et prit le bâton d'amandier que ces officiers on tcoutume de porter.

Le calife était à peine éveillé, qu'il donna ordre d'appeler tous les huissiers du quartier de la ville où il savait que Bazim devait se tenir, pour leur faire une gratification considérable; du moins c'est ce qu'annonça le crieur public. Bazim ne put résister à cet appât, et se rendit avec les autres au palais du calife. Le prince ordonna au chef des huissiers de les appeler tous, chacun par son nom, pour leur assurer à l'avenir une augmentation de traitement. Bazim n'était pas fort curieux de l'honneur d'être ainsi appelé en présence du calife; mais il lui était impossible de s'esquiver, et il se vit obligé d'attendre le résultat. Le calife demanda à chaque huissier son nom, celui de son père, le tems de son service et le montant de son traitement. Bazim, très-embarrassé de savoir comment il répondrait aux questions du calife, perdait courage à mesure que ses compagnons étaient appelés. Le calife avait une telle envie de rire, qu'il était obligé de tenir un mouchoir devant sa bouche pour ne pas éclater.

Il n'y avait plus que Bazim à appeler, et l'huissier de nouvelle date tremblait de tous ses membres; il resta longtems le visage contre terre avant d'avoir le courage de lever les yeux. Enfin le calife lui demanda : es-tu huissier ?—Oui calife; mon père, mon grand-père, ma mère, ma grand'mère l'étaient aussi.-N'as-tu pas vingt dirhems par jour?

-Oui calife; mais je me contente de cinq.-Es-tu capable d'exercer les fonctions de ton état?-Oui calife; votre hautesse n'a qu'à ordonner.-Eh bien! dit le calife, qu'on amène un malfaiteur: je veux que tu lui coupes la tête en ma présence.

Le pauvre Bazim était sur les épines: le malfaiteur est amené; il se met à genoux, et n'attend plus que le coup fatal. Dis que tu es innocent, lui dit Bazim à l'oreille. Je suis innocent, s'écrie l'autre aussitôt. Oh! répliqua Bazim, nous allons bientôt en avoir la preuve. Puis se prosternant devant le calife: Commandeur des croyans, lui dit-il, l'épée que je porte est un héritage que je tiens de mes ancêtres ; c'est un talisman, et toutes les fois qu'elle doit frapper un coupable, elle tranche comme la foudre, mais lorsqu'elle doit frapper un innocent, elle se change en lame de bois.-Eh bien! fais-en l'expérience; allons, tire et frappe; je le veux. C'est donc avec la permission de votre hautesse, dit Bazim, en tirant son épée. Quand on vit qu'elle était de bois, des éclats de rire partirent de tous côtés.

Le calife satisfait du dénouement, pardonna au coupable, découvrit à Bazim quels étaient les marchands qui lui avaient rendu visite, et le fit chef des huissiers du palais, avec un traitement convenable,

Ainsi il était écrit sur la table de lumière, que le forgeron gagnerait ses cinq dirhems par jour, et plus

encore

DU BON EMPLOI DU TEMS.

LE bon emploi du tems, et la meilleure méthode pour bien diriger l'administration de la vie, offrent sans doute à la méditation l'une des questions philosophiques et morales qui intéressent le plus tous les hommes, dans toutes les conditions et dans tous les âges. Le tems est l'étoffe dont la vie est faite; et la vie elle-même est un bien fugitif et fragile qui nous échappe sans cesse. Bizarre inconséquence du cœur humain ! Nous nous plaignons de la courte durée de là vie, et nous contribuons nous-mêmes à l'abréger et à la perdre, par une dilapidation déplorable de tous nos instans. Combien peu de personnes savent apprécier la valeur des heures, et en régler les divers emplois avec une sage et sévère économie ! On parle souvent du prix du tems, et tuer le tems est la grande occupation d'un grand nombre d'hommes.

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