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ternationale? pourquoi serait-il mis en quelque, sorte à son ban, et serait-il permis à chacun de lui courir sus? » Et montrant l'application à côté de la théorie, l'honorable M. Victor Foucher, alors avocat général à la cour de Rennes, formulait des propositions qui, non-seulement sur ce point, mais sur d'autres questions capitales encore, se rencontrent avec les propositions qui vous sont soumises.

Vers la inême époque un savant jurisconsulte américain, dont la voix est malheureusement restée sans écho jusqu'ici dans sa patrie, M. Lieber, dans sa lettre à M. Preston, sur la propriété littéraire internationale (international copyright), avait recommandé l'adoption des vrais principes sur la matière.

Au Danemark appartient l'honneur d'avoir le premier, par la loi du 7 mai 1828, établi l'assimilation des auteurs étrangers aux auteurs nationaux, sous la condition de réciprocité. Cet exemple est suivi par plusieurs Etats secondaires de l'Allemagne en 1829 et 1830, par la Grèce en 1833, par la Prusse, d'une manière conditionnelle et parfois illusoire à la vérité, en 1837, par la Bavière en 1810, par la Saxe et la Suède en 1844, par l'Autriche en 1846, par le Portugal en 1851. En 'Angleterre, le gouvernement, à la suite de la proposition de bill qui a rendu impérissable dans le souvenir et la reconnaissance des écrivains de ce pays le nom de sir Noon Talfourd, avait introduit et fait passer une loi conférant à la rcine, en son conseil, le droit d'accorder aux auteurs étrangers la même protection dont l'État étranger couvrirait les auteurs anglais.

En France, on avait cherché à faire pénétrer une disposition analogue dans le projet de loi qui fut voté en 1839 par la chambre des pairs, mais la tentative échoua, malgré les efforts de plusieurs membres considérables de cette assemblée. Permettez moi d'emprunter ici une citation au discours d'un moraliste éminent; vous vous raffermirez encore, messieurs, dans vos convictions, en vous sachant appuyés sur de telles autorités. « N'y a-t-il pas dans cette matière, dit M. le baron de Gérando, des vues d'un ordre plus élevé? Les droits des auteurs étrangers ne seront-ils rien à nos yeux, surtout quand ils appartiennent à des pays qui reconnaissent et respectent les droits des auteurs français ? Ceux d'entre vous qui, dans leur conviction, considèrent le droit de l'auteur comme une propriété véritable, ne déclarent-ils pas que, par là même, la justice protége les étrangérs comme les nationaux sur notre territoire, et approuveraient-ils qu'on dérobe aux premiers ce qu'on interdit de prendre aux seconds? Ceux d'entre vous qui ne reconnaissent pas ici une propriété véritable, admettent cependant des droits réels, quoique restreints, en faveur de l'auteur. Ces droits s'évanouissent-ils donc entièrement quand l'auteur est étranger, parce

qu'il publie à l'étranger? L'intérêt des lumières, les encouragements qui leur sont dus, commandent de respecter ces droits; ils le commandent de quelque part que les lumières naissent pour se propager parmi nous. Accordons cette hospitalité au génie étranger, ce ne sera pas une vaine et aveugle illusion de philanthropie, ce sera une noble confraternité, ce sera une transaction équitable dans le commerce des sciences et des lettres. »

L'action diplomatique intervint à son tour pour amener la reconnaissance et la garantie de la propriété internationale des écrivains et des artistes; c'est ainsi qu'avant de disparaître définitivement et complétement des lois et des usages de tous les peuples civilisés, les droits d'aubaine et de détraction ont d'abord été abolis, d'État à État, en vertu de conventions particulières. L'Autriche par son traité du 22 mai 1840 avec la Sardaigne, la France par son traité du 28 août 1843 avec le même État, l'Angleterre par son traité du 13 mai 1846 avec la Prusse, ouvrent chacune la série d'un grand nombre d'arrangements diplomatiques auxquels d'autres pays viennent se rattacher par groupes plus ou moins considérables.

Mais ces traités, fondés sur le principe de la réciprocité, tout en constituant un progrès dont il serait injuste de méconnaître l'importance, n'établissent cependant qu'un droit précaire, puisqu'il dépend d'actes dont la durée est limitée et parfois subordonnée à des convenances complétement étrangères à l'appréciation de la question de littérature et d'art. Ainsi, pour en donner un exemple, la convention relative à la propriété littéraire qui a été signée le 29 mars 1855, entre la France et les PaysBas, doit suivre le sort du traité de commerce intervenu le 25 juillet 1840 entre les mêmes États; de sorte que le jour où les négociants du Havre cesseront de pouvoir s'entendre avec les armateurs de Rotterdam, la contrefaçon littéraire sera libre d'installer de nouveau ses ateliers à la Haye.

Nous touchons à un nouveau progrès. Le décret français du 25 mars 1852 va l'accomplir. Désormais en France il n'y aura plus de distinction entre les auteurs nationaux ou étrangers toute condition de réciprocité disparaît. Le principe de la reconnaissance internationale de la propriété artistique et littéraire est formellement exprimé et définitivement admis dans la législation d'un grand peuple. « L'étranger, dit le ministre des affaires étrangères dans son rapport au président de la république, l'étranger, qui peut acquérir et possède, sous la protection de nos lois, des meubles et des immeubles, ne peut empêcher l'exploitation de ses œuvres au moyen de la contrefaçon sur le sol d'ailleurs si hospitalier de la France. C'est là un état de choses auquel on peut reprocher non-seulement de n'être pas en harmonie avec

les règles que notre droit positif tend sans cesse à généraliser, mais mème d'être contraire à la justice universelle. Vous aurez consacré l'application d'un principe salutaire, vous aurez assuré aux sciences, aux lettres et aux arts un encouragement sérieux si vous protégez leurs productions contre l'usurpation, en quelque lieu qu'elles aient vu le jour, à quelque nation que l'auteur appartienne »>

Ces vérités, ces principes, nous demandons, messieurs, qu'ils deviennent d'une pratique générale et universelle. Aucun pays n'en saurait contester la justesse, aucun pays n'en peut et n'en doit repousser l'application. Les frontières ne sont point faites pour les droits de la pensée : l'écrivain, l'artiste distribue au monde entier les fruits bienfaisants de son génie; il ne distingue pas entre qui doit les recueillir. Aucun de ceux qui en jouissent ne saurait équitablement lui en refuser la trop juste rémunération. Remontant au principe des devoirs réciproques des nations comme des particuliers, nous dirons avec Vattel : « Une nation est obligée envers une autre nation aux mêmes devoirs qu'un individu envers un autre individu. Un État doit à un autre État ce qu'il se doit à luimême. Voilà l'éternelle et immuable loi des nations. >>

La section n'hésite donc pas, messieurs, à résoudre affirmativement la première question et à déclarer, en apportant à la rédaction du comité un léger changement pour la rendre plus claire et plus complète, que la reconnaissance internationale de la propriété des œuvres littéraires et artistiques en faveur de leurs auteurs doit prendre place dans la législation de tous les peuples civilisés. Il est entendu que le terme d'œuvres littéraires comprend également les ouvrages scientifiques.

La solution de cette question première et fondamentale implique celle des questions qui suivent. Dès qu'il est reconnu que le droit de propriété littéraire a sa place indiquée dans le code des gens, toute condition de réciprocité doit nécessairement être écartée. Ce serait substituer l'utilité au droit, l'intérêt aux principes, que de prendre la réciprocité en considération. Par des raisons analogues l'assimilation doit être absolue et complète. Des conventions diplomatiques ont boiné l'assimilation à certaines catégories de productions et en ont exclu certaines autres; d'autres arrangements n'ont conféré aux écrivains étrangers qu'une partie des prérogatives que la loi du pays accorde aux nationaux. Ces limites, ces restrictions sont inconciliables avec le droit.

Convient-il d'astreindre les auteurs étrangers à des formalités particulières, ou doit-il suffire, pour que ce droit leur appartienne, qu'ils aient rempli les formalités requises par la loi du pays où la publication originale a vu le jour?

Une discussion s'est. établie sur ce point. Quelques membres ont émis l'opinion que l'on ne pouvait affranchir les étrangers d'une obligation imposée aux nationaux; que c'était excéder la mesure de la bienveillance internationale que d'admettre ipso jure et facto les premiers à la jouissance de droits dont l'acquisition est subordonnée pour les seconds à des devoirs et à des charges D'autres membres ont rappelé la maxime universellement reçue dans le droit civil comme dans le droit international: Locus regit actumn; ils ont fait remarquer que le principe de propriété intellectuelle étant acquis au droit des gens, il devait suffire que l'auteur se fût bien et dûment conformé aux lois de son pays, pour que sa qualité d'auteur et les droits qui en dérivent ne pussent lui être contestés nulle part. La section, à la presque unanimité, s'est rangée à cette dernière opinion.

La question de savoir s'il est désirable que tous les pays adoptent pour la propriété des ouvrages de littérature et d'art une législation fixée sur des bases uniformes, ne pouvait soulever de discussion sérieuse. Ainsi que l'a dit le comité: « Lorsque l'œuvre à laquelle le Congrès apporte son contingent d'efforts sera accomplie, qu'une protection universelle couvrira les produits de l'intelligence, en les confondant dans une seule nationalité, la nationalité du talent et du génie, toutes les lois particulières tendront d'elles-mêmes à se rapprocher, et leurs principes au moins deviendront communs. Le Congrès doit appeler ce résultat de ses vœux, non seulement comme un progrès moral, mais encore comme un avantage important pour la pratique du droit international des écrivains et des artistes. >>

En résumé, messieurs, j'ai l'honneur de vous proposer, au nom de la première section, les décisions suivantes :

« Le Congrès estime que le principe de la « reconnaissance internationale de la propriété « des œuvres littéraires et artistiques, en fa« veur de leurs auteurs, doit prendre place dans « la législation de tous les peuples civilisés.

« Il est d'avis que ce principe doit être admis « de pays à pays, même en l'absence de réci– «<procité.

« Il est d'avis que l'assimilation des auteurs «< étrangers aux nationaux doit être absolue et «< complète.

« Dans l'opinion du Congrès, il n'y a pas « lieu d'astreindre les auteurs étrangers à des « formalités particulières pour qu'ils soient « admis à invoquer et à poursuivre le droit de « propriété, et il doit suffire, pour que ce droit << leur appartienne, qu'ils aient rempli les for« malités requises par la loi du pays où la pu«blication originale a vu le jour.

« Il est désirable que tous les pays adoptent, « pour la propriété des ouvrages de littérature

« et d'art, une législation reposant sur des bases « uniformes. »

Ces cinq dispositions forment les assises du code international de la propriété littéraire et artistique. Nul ne connaît l'heure à laquelle un progrès depuis longtemps prévu et annoncé doit enfin prendre rang dans la succession des conquêtes de l'esprit humain et de la civilisation. Le Congrès n'a point d'accès dans les conseils des gouvernements, ni d'action directe sur leurs délibérations; mais il peut présager, avec une confiance entière et absolue, que les principes que j'ai l'honneur de soumettre à votre approbation seront un jour admis et défendus par toutes les nations civilisées.

ÉDOUARD ROMBERG.

Rapport de M. Victor Foucher, conseiller à la cour de cassation de France, au nom de la deuxième section, concernant la propriété des œuvres de littérature et d'art en général.

La deuxième section du Congrès était chargée de l'étude des questions suivantes :

1° Quelle durée convient-il d'assigner à la propriété des ouvrages de littérature et d'art?

2o Y a-t-il lieu de distinguer entre les diverses catégories de ces ouvrages (œuvres littéraires, compositions musicales, productions des arts et du dessin)?

3o Si cette durée doit s'étendre au delà de la vie de l'auteur, convient-il d'établir des distinctions pour la durée du droit pendant ce nouveau terme, d'après la qualité des ayants cause (conjoints survivants, enfants, autres héritiers, donataires ou cessionnaires)?

4o Quelle durée donner au droit de propriété sur un ouvrage posthume?

5o Même question pour un ouvrage anonyme ou pseudonyme ?

6o Des leçons orales, des conférences, des discours recueillis par la sténographie ou autrement, sont-ils susceptibles d'un droit de propriété?

7o Le droit de propriété sur le texte original emporte-t-il avec la même étendue et durant le même terme le privilége de traduction?

8° N'y a-t-il point lieu, dans tous les cas, de subordonner la conservation de ce dernier privilége à certaines conditions, comme, par exemple, l'obligation de faire paraître dans un temps déterminé une traduction de l'ouvrage original?

90 Y a-t-il lieu de soumettre les auteurs d'ouvrages de littérature ou d'art à l'accomplissement de certaines formalités à raison de leur droit? L'absence de ces formalités détruit-elle le droit?

Première Partie du Rapport (séance du mercredi 29 septembre). Messieurs, la première question dévolue à l'examen de votre deuxième section était de

déterminer la durée qu'il convenait d'assigner à la propriété des œuvres de littérature et d'art.

Cette question était peut-être, de toutes celles que le Congrès avait pour objet de résoudre, la plus ardue et la plus importante, parce qu'elle impliquait la consécration du principe de la nature du droit de l'auteur sur son ouvrage.

Il ne faut donc pas s'étonner, et encore moins regretter, que la discussion se soit prolongée pendant de longues séances; que seize orateurs aient pris successivement la parole, et que le débat ait eu une animation et une vivacité courtoise qui, en définitive, n'ont prouvé que le sérieux du principe engagé, la force des convictions, et ne donnent qu'une autorité plus grande aux solutions que nous avons l'honneur de vous soumettre au nom de la majorité de votre comité.

Le droit de l'auteur sur son ouvrage imprimé et livré à la circulation doit-il étre perpétuel ou temporaire? Tels sont les termes dans lesquels la question a été immédiatement posée.

Sous la bannière de la perpétuité se sont rangées les personnes qui attribuent au droit de l'auteur le caractère de la propriété, tel que le définit le droit civil de chaque nation.

La limitation de l'exercice du droit a eu pour adhérents les hommes qui ne peuvent trouver dans le droit de l'auteur sur la reproduction de son œuvre les conditions constitutives de la propriété privée et en font, soit un droit, soit une propriété sui generis, ayant ses caractères spéciaux en rapport avec son but et avec sa fin.

La propriété privée, exclusive, de l'auteur sur son ouvrage, au même titre que tout homme peut l'avoir sur le champ ou la maison que lui a transmis son père, ou qu'il a conquis par son travail, se présente avec des arguments de nature diverse, mais qui tous conduisent à la même solution du principe.

«La pensée, disent les uns, appartient essentiellement à celui qui la crée, elle est même la propriété la moins contestable, car elle est personnelle, indépendante, antérieure à toutes transactions; or l'invention est la propriété primitive, toutes les autres ne sont que conventions .... Le fondement de la propriété, c'est la possession. Si c'est parce que l'homme appose le premier, sur les choses qu'il possède, le cachet de sa personnalité que la société, pour récompenser son travail, le déclare propriétaire à perpétuité, ne doit-il pas en être de même des ouvrages littéraires 1? »

D'autres, creusant plus profondément les sources métaphysiques de la propriété, les trouvent dans la mise en produit ou, pour mieux dire, en valeur des choses de la nature données gratuitement à l'homme par la Divinité, et dans la garantie que chacun se donne de la posses1 Voir les rapports de de Boufflers et de Lakanal, sur les lois françaises de 1791 et de 1793.

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sion de son droit par les services respectifs rendus à la communauté 1.

Si donc, concluent les uns et les autres, le droit de l'homme sur son travail, sur son pro duit est incontestable, s'il constitue sa propriété, que ce travail féconde la terre ou que, dans un ordre plus relevé, il féconde le vaste champ de l'intelligence, son droit n'est-il pas identique et ne doit-il pas en trouver la même rémunération? Et alors que l'égalité parle si haut, la loi ne doit-elle pas consacrer le droit. Cette argumentation, messieurs, n'est pas nouvelle; elle a été émise, soutenue, développée dès l'instant où la découverte de l'imprimerie est venue donner au droit exclusif qu'un auteur pourrait avoir à reproduire son œuvre, un intérêt matériel et d'existence, et cependant ce n'est pas la chose la moins digne de remarque, jusqu'à ce jour elle n'a pu aboutir à l'assimilation demandée avec tant d'insistance, et ceux-là mêmes qui proclamaient en théorie le principe de la perpétuité, ont presque tous reculé devant ses conséquences logiques pour se réfugier dans le principe contraire de la limitation du droit de l'auteur.

En effet, messieurs, la question agitée en ce moment est née de la découverte de l'imprimerie, qui, d'une part, a donné à l'auteur la facilité de suivre la destinée de son œuvre dans les mains des éditeurs chargés de la reproduire, et, de l'autre, a répandu cette œuvre à la fois par milliers de copies ou d'exemplaires aussi loin que les limites du monde intellectuel lui permettaient de s'étendre; cette question, chacun de nous, par des voies diverses, cherche à la résoudre de manière à permettre au principe de la reconnaissance du droit de franchir les barrières que la forme constitutionnelle et le droit privé des Etats peuvent lui opposer, pour le condenser dans une disposition générale, internationale, qui l'inscrive à toujours dans le droit des gens moderne et le fasse sauvegarder par la législation de chaque nation.

Lorsqu'on recherche, messieurs, les causes, je ne dirai pas de l'inconséquence, mais du défaut de rapports entre les principes posés par les hommes éminents qui, après avoir proclamé que le droit de l'auteur sur son ouvrage était la plus incontestable des propriétés, ont conclu comme de Boufflers, Lakanal, Lamartine, sir Talfourd, etc, à la limitation de ce droit, on les trouve dans le point de vue où ils se sont placés pour former leur théorie du droit de l'auteur et qui, considérée vis-à-vis de lui seul, avait sa raison d'être, mais qui perdait son caractère exclusif dès l'instant où l'auteur, par le fait de sa volonté, livrait à tous la jouissance de sa propriété.

1 Voir les ouvrages de MM. Bastiat et Breulier. Voir aussi les théories de Locke et de Reid, dont M. le premier président Troplong a si remarquablement fait ressortir les principes dans son excellent ouvrage de la Propriété.

C'est qu'alors, en présence du droit de l'auteur sur l'œuvre ainsi livrée par lui au public, se créait immédiatement le droit de la société sur la jouissance de l'ouvrage, et que la puissance publique a dû intervenir pour régler l'un et l'autre droit.

C'est aussi par cette raison péremptoire que les défenseurs de la limitation du droit de l'auteur sur son ouvrage publié refusent, d'accord avec l'immense majorité des droits civils des nations, de lui reconnaître les caractères de la propriété privée, et en font un droit ou une propriété (car alors les deux termes ont la même signification) d'une nature spéciale, et devant être régie par des dispositions en harmonie avec son essence 1.

Ouvrez, messieurs, la législation de chacun de ces peuples, suivez-y l'histoire même du droit des auteurs, et toutes les fois que la puissance publique est intervenue pour le réglementer (qu'il fût dénommé privilége de grâce ou propriété littéraire et artistique, comme en France, droit de copie ou de reproduction, comme en Angleterre, en Amérique et en Allemagne), vous verrez le législateur assigner au droit une limitation qui permette à la pensée même de s'émanciper, de se dégager des liens dans lesquels l'enchaîne le droit exclusif de reproduction au profit d'un seul, pour s'élancer, libre et acquise à l'humanité, dans le domaine public.

C'est que, messieurs, le domaine public forme un fonds commun où chacun s'inspire, puise, cherche sa voie, se la fraye, où chaque siècle, ajoutant à celui qu'il remplace, dépose son contingent d'action progressive et civilisatrice et ouvre des voies nouvelles, qu'il appartient aux générations à venir de féconder par ce labeur incessant qui est la condition innée de l'homme sur la terre, sous peine de manquer à sa mission providentielle 2.

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Que seraient les grands écrivains des temps

<< Pouvait-on étendre le droit de tous les héritiers

«< d'une manière indéfinie, c'est-à-dire assimiler entiè«<rement la propriété d'un ouvrage à celle d'un champ « ou d'un domaine? un tel privilége n'existe nulle part; il nuirait à l'instruction par un monopole trop prolongé; il deviendrait ou onéreux pour le public, «< ou illusoire pour les familles; il tromperait souvent les intentions de l'auteur lui-même, qui, en publiant ' « son ouvrage, a souhaité que les éditions s'en multiplient facilement après lui. » (Rapport de M. Villemain, au nom de la commission française de 1825, p. 326 des procès-verbaux.) Il est à remarquer que cette commission avait rejeté à l'unanimité le principe de la perpétuité du droit (proc.-verb., p. 107), et avait abandonné l'idée d'une indemnité à payer aux héritiers par les éditeurs, après avoir reconnu l'impossibilité d'en établir les bases et de suivre les ayants droit. (proc.-verb., p. 179 et 180).

2 « Certains auteurs, en parlant de leurs ouvrages, disent mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc., etc.; ils sentent leurs bourgcois qui ont pignon sur rue et toujours un chez moi à la bouche; ils feraient

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modernes s'ils n'avaient

les œuvres de ceux qui l

cette vaste arène ouverte au

où l'homme s'est mis en relation

blables, où la terre lui a été livré teurs, historiens et écrivains de toute Moïse, Solon, Platon, Aristote, Démost? Cicéron, Plutarque, Sophocle, Euripide, Pla Térence, Tacite, Horace, Virgile, etc., etc., et vous, auteurs divins de livres objet de notre culte comme de nos respects, votre nationalité ne s'est-elle pas effacée devant la grandeur même de vos œuvres, et n'êtes-vous pas encore les apôtres vivants de la pensée humaine?

Voici, messieurs, ce que, bien faible écho d'éloquentes paroles échangées au sein de votre deuxième comité, son rapporteur avait à vous dire du principe même du droit de l'auteur sur la reproduction de ses ouvrages! Mais là ne pouvait s'arrêter l'examen du comité sur la question prise dans son ensemble et envisagée avec les conséquences que devait avoir chaque système, dans l'intérêt des auteurs et de leurs représentants.

La propriété, messieurs, est un beau droit et répond au sentiment que l'homme tient de sa nature pour l'appropriation; mais la propriété, qui veut et doit être garantie par la loi sociale, trouve elle-même sa réglementation dans le droit privé de chaque peuple: conditions de jouissance, conditions de transmission, impôts, droit de mutation, déshérence, expropriation pour cause d'utilité publique, toutes ces obligations de la propriété sont le corollaire du droit garanti, et pour être logique il faut bien les appliquer à la propriété littéraire. C'est ce qu'ont reconnu quelques-uns des orateurs qui ont pris la parole en faveur de la perpétuité du droit de l'auteur; mais c'est ce que ne veulent pas admettre certains autres qui, en raison de l'essence éminemment civilisatrice et profitable à la société de cette nature de propriété, réclament pour elle le privilége d'être exempte de tous droits d'enregistrement, de succession, de mutation et même de tous autres droits.

Messieurs, quelque profitable et civilisatrice. que soit une production littéraire ou artistique, comme ce n'est pas l'œuvre elle-même, la pensée du maître, mais sa forme extérieure, matérielle, qui tombe aux mains de ceux qui représentent l'auteur, ce produit ne devrait pas plus que toute autre propriété privée, être exempt des charges et des obligations qui lui sont inhérentes, autrement ce qu'on réclame en faveur de la propriété littéraire et artistique devrait être accordé pour bien d'autres espèces

mieux de dire notre livre, notre commentaire, notre histoire, vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur.» (Pascal.)

Voltaire a également dit : « Les écrits, c'est du feu que l'on emprunte et que l'on prête à son voisin. »

qui, comme celles de la vapeur, de

té et de l'application de leur principe,

l'homme du travail abrutissant, effa

distances et font autant pour le rapprochement intellectuel des nations que peuvent y contribuer les grands écrivains et les grands. artistes.

Laissons donc de côté ces priviléges exorbitants sollicités en faveur de la propriété litté raire, et dès l'instant où elle entend se constituer propriété privée prenons-la dans les conditions légales de toute propriété civile. Or comprenez-vous comment pourra se régler à chaque génération, avec l'État ou le fisc, la valeur réelle d'une propriété littéraire ou artistique, payant d'autant plus que l'opinion lui accorderait plus de valeur, mais aussi pouvant rester, sans autre raison que son infériorité ou la volonté des possesseurs, inerte et infertile aux mains des héritiers? Ne voyez-vous pas de suite la difficulté pratique d'asseoir une base sérieuse et respective de la valeur d'une propriété dont les possesseurs ne voudraient pas faire usage ou que trop souvent, hélas, il faudra porter au rôle des non-valeurs et des cotes irrecouvrables?

Puis, messieurs, la succession ouverte, que deviendra la propriété à travers les héritiers successifs appelés à la recueillir 1?

N'est-ce pas se faire une étrange illusion que de croire que ce patrimoine sera conservé et administré comme le serait le champ ou la maison toujours debout, se fertilisant et continuant de produire par le travail de l'héritier comme l'avait fait son auteur: on vous l'a dit, messieurs, avec autant de justesse que d'esprit, ce droit sera promptement aliéné, et loin que les héritiers et le public en profitent vous aurez créé des fiefs en faveur des enfants et des arrière-petits-fils de quelques puissants industriels.

1 Lors de la discussion au conseil d'Etat de France du décret impérial du 5 février 1810, portant règlement sur l'imprimerie et la librairie, l'empereur Napoléon 1er dit « que la perpétuité de la propriété dans les familles des auteurs aurait des inconvénients. Une propriété littéraire est une propriété incorporelle qui, se trouvant dans la suite des temps et par le cours des successions, divisée en une multitude d'individus, finirait, en quelque sorte, par ne plus exister pour personne; car comment un grand nombre de propriétaires, souvent éloignés les uns des autres et qui, après plusieurs générations, se connaissent à peine, pourraient-ils s'entendre et contribuer pour réimprimer l'ouvrage de leur auteur commnun? Cependant, s'ils n'y parviennent as et qu'eux seuls aient le droit de le publier, les meilleurs livres disparaîtront insensiblement de la circulation. »

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