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les règles qui les dirigent étant rompues, les plus grandes révolutions paroissent ne tenir qu'au caprice d'une multitude ivre, aux passions extravagantes de quelques individus, ou à des combinaisons fortuites de circonstances. Vos chapitres préliminaires sur l'état de l'Empire, sont des chefs-d'œuvre,; les folies atroces de Commode; la couronne à l'enchère après la mort de Pertinax; la grande révolution opérée par Constantin, sont des morceaux achevés. Les deux derniers chapitres, dont je te vis très scandalisé aussi si j'étois Docteur de Sorbonne ou Pape, m'expliquent parfaitement ce que je n'ai encore trouvé nulle part, l'ensemble des causes qui ont favorisé l'établissement et les progrès de notre vraiment merveilleuse religion. Tout cela est relevé par un stile toujours animé, toujours varié, noble et piquant. Voilà, Monsieur, sans aucune exagération ce que je pense de votre ouvrage. Jugez si j'aurois eu du plaisir à répondre à la confiance que vous me témoignez, et à essayer de le traduire. Il y a long tems que je me suis engagé à traduire l'histoire de l'Amérique que Monsieur Robertson fait imprimer actuellement, et dont on me remet les feuilles. Je me suis promis que ce seroit la dernière tâche de ce genre que je m'imposerois: si j'étois tenté de manquer à mon vœu ce seroit certainement pour vous, mais il n'y faut pas penser. Je sais avec certitude que la traduction de la première partie de votre ouvrage est actuellement sous presse à Paris, et qu'elle est faite par M. de Septchênes, jeune homme qui a vécu assez long tems en Angleterre et qui étoit fort lié avec Monsieur Garnier. Je ne connois

connois point ses talens; c'est le premier ouvrage qu'il compose; mais je sais qu'il est fort studieux, fort zélé, et estimé de gens de beaucoup de mérite. Si vous désirez de plus grands éclaircissemens, faites moi l'honneur de me le mander. Au reste, quelque médiocre que soit la traduction, je réponds du succès; mais il seroit complet si elle étoit écrite du stile de la lettre que vous m'avez adressée. Je l'ai communiquée à Madame Necker, qui a été fort étonnée que vous n'en ayez pas reçu une qu'elle vous a écrite, il y a trois à quatre mois.

Vous ne doutez pas du plaisir que vos amis ont éprouvé en voyant Monsieur Necker à portée d'exercer pour le bien de ce pays-ci les talens et les vertus que nous lui connoissons. Je fais bien des vœux avec vous pour que ses efforts ne soient point contrariés par un horrible fléau qui nous menace, et qu'il redoute autant que nous. Il n'y a certainement que l'habitude d'entendre parler de guerre et d'en voir qui puisse déterminer les princes à les entreprendre et les peuples à y consentir; car il n'y a jamais eu de fureur plus insensée.

On m'a dit qu'on alloit publier à Londres une petite vie de Monsieur Hume écrite par lui-même. Pourrois-je attendre de votre bonté, Monsieur, que vous voudrez bien vous le procurer pour moi dès qu'elle paroîtra, et l'adresser, sans aucun avis ni seconde enveloppe, à Monsieur De Vaines, Premier Commis des Finances, à Paris. Si je pouvois vous être de quelque utilité ici, disposez de moi

avec

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avec liberté et comptez, je vous prie, sur les sentimens très distingués avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant Serviteur,

N° XCVII.

SUARD.

EDWARD GIBBON, Esq. à Madame NECKER.
A Londres, ce 26 Novembre, 1776.

QUE vous avez bien raison, Madame, de célébrer l'art perfectionné de l'exagération! Vous le faites briller dans chaque ligne de cette lettre charmante que j'ai relue cent fois avec la plus vive satisfaction. Par le magique de cet art séducteur vous avez su placer un écrivain inconnu à côté de Tacite et des plus grands hommes. J'embrasse avec ardeur l'illusion flatteuse que vous avez substituée à la triste vérité, et je me persuade sans peine que tous vos arrêts seront confirmés par le public, et par la posterité.. Ne croyez cependant pas que par une affectation orgueilleuse et déplacée je veuille rejetter tous ces lauriers dont vous m'avez couronnés. Je sais que le séjour de Paris, en faisant éclater sur un plus grand théâtre votre goût et vos talens, n'a pas étouffé votre franchise Helvétique. Le fonds de ce que vous dites de plus obligeant vous le pensez véritablement; et quand votre partialité pour l'auteur vous auroit trompé sur le prix de son ouvrage, je ne perdrois rien au change. Votre amitié vaut bien la réputation la mieux méritée.

Vous me refusez cependant les qualités d'un preux chevalier toujours prêt à rompre une lance pour l'honneur de Dieu et des dames. Je pourrois me justifier par l'austère devoir qui ne permet pas à un historien de dissimuler les défauts des objets les plus sacrés ou les plus chéris. Mais étoitce à moi de maltraiter les femmes et de représenter toutes leurs vertus comme factices? Il me semble que ce n'est que sur leur courage que j'ai osé jetter ce soupçon. Votre sexe est destiné à consoler le genre humain, à lui plaire toujours, quelquefois à l'instruire, jamais à le faire trembler. Vous connoissez d'ailleurs le pays où je vis: quand on veut peindre les siècles les plus reculés on les dessine, sans s'en appercevoir, d'après les modèles qu'on a devant les yeux. Nos Angloises ne savent étaler que leurs désordres et leurs ridicules; les graces, les talens, les vertus même sont ensèvelies sous des glaces éternelles. Daignez vous rappeller que depuis douze ans je n'ai passé que six semaines dans la société de Madame Necker. En réitérant une invitation dont je sens tout le prix, vous augmentez mon regret de ne pouvoir pas en profiter sitôt que je le voudrois. Mon voyage étoit decidé: cependant l'année va s'écouler sans que j'aie pu exécuter ce dessein, et je me trouve dans la nécessité de renvoyer mes espérances à l'été prochain. Vous ne désapprouverez pas les motifs de mon délai. Je sacrifie le plaisir au devoir. Un ami intime m'avoit nommé son exécuteur testamentaire. Il a laissé des affaires à débrouiller, un procès très important à suivre dans les tribunaux, et des fonc

tions essentielles à remplir qui ne seroient que trop negligées si je m'éloignois de Londres. Mon cœur anticipe avec la plus vive impatience le moment où je pourrois me dégager de mes liens, me rendre auprès de vous et vous contempler dans la situation élevée et brillante où vous êtes placée. Autrefois j'ai étudié votre ame dans l'humble simplicité de la vie la plus domestique. Vous avez soutenue l'adversité. La modération de votre caractère n'a point été corrompue par le luxe et les applaudissemens de Paris. La fortune vous prépare une autre épreuve; et par la justice qu'elle vient de rendre au mérite de Monsieur Necker, elle vous fournit une nouvelle occasion de l'apprécier et de la mépriser. J'espère que votre ami trouvera les moyens de concilier l'intérêt général de l'humanité avec les intérêts exclusifs de la monarchie dont il administre les finances. C'est peut-être le problême le plus difficile de la politique, mais dont la difficulté ne se fait sentir aux hommes d'états qui sont en même tems des philosophes vertueux. Si je n'avois pas craint de le détourner de ses occupations importantes, je l'aurois remercié de ses bontés. J'ignore cependant si c'est une lettre de félicitation ou de condoléance qu'on doit addresser à un nouveau ministre. Je sais seulement qu'on s'empresse toujours à leur demander des grâces; et pour me conformer à l'usage j'aurois presque envie de le solliciter en faveur du pauvre le Texier qui m'en a conjuré les larmes aux yeux. Mais on peut se reposer sur M. Necker et sur vous même du soin d'encourager les talens et de relever les malheureux.

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