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geant de chevaux je prêtois l'oreille à l'entretien du maître de poste et d'un abbé qui raisonnoient sur une affaire laquelle occupoit dans ce moment-là tous les esprits: une justice présidiale avoit condamné deux accusés, l'un à la potence, l'autre aux galères: ils en appellèrent au parlement de Dijon; et ce tribunal suprême afin de ne pas copier trop servilement l'arrêt d'une cour inférieure, s'avisa de laisser toujours subsister les deux jugemens mais de faire changer de rôle aux deux acteurs: le pendu mourut comme vous le sentez bien, le forçat aussi: il s'est trouvé depuis, que tous les deux étoient innocens. Des amis de l'humanité se sont pourvus devant le conseil, qui vient de renvoyer l'affaire au même parlement de Dijon, et cette assemblée délibère actuellement s'il convient à sa gloire de réhabiliter la mémoire de ces deux infortunés qu'elle a assassinés du glaive de la justice.

J'ai traversé la mer par un calme assez ennuyeux, et à Londres, dans cette saison, je n'ai trouvé qu'une vaste solitude. Après avoir expédié les affaires les plus pressantes qui m'appelloient dans cette capitale, je me suis rendu au Château de mon ami Lord Sheffield, séjour du repos, et de l'amitié. Depuis trois ou quatre semaines j'y mène une vie des plus tranquilles: mon goût et mes forces ne s'accordent guères avec les exercices champêtres. Je souffre quelques visites du voisinage, sans les rendre trop exactement, et je ne me suis permis qu'une seule course aux eaux de Tunbridge à six lieues d'ici: l'endroit, très agréable par lui même, étoit rempli de fort bonne compagnie: Madame

Trevor,

Trevor et Lady Clarges venoient de le quitter. Chemin faisant j'y ai renouvellé beaucoup de connoissances, mais l'objet de cette course étoit mon ancien ami Lord North, avec qui j'ai passé la journée entière: je l'ai trouvé aveugle mais gai, et assez consolé de son malheur au milieu de sa famille. Le public, quoique partagé sur le mérite de ce ministre, se réunit pour aimer, et pour plaindre l'homme honnête et intéressant. Je pourrois vous parler, Madame, de nos affaires politiques et de la résolution unanime du ministère et de la nation de soutenir le Stathouder par les négociations ou par les armes mais j'aime mieux vous entretenir d'un jeune homme qui nous intéresse bien plus que toutes les puissances de l'Europe. J'espère que vous conservez toujours, Monsieur de Severy et vous, l'intention favorable de m'envoyer notre fils (si vous voulez bien me permettre de lui donner ce nom.)

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Plus j'y pense, (et j'y ai beaucoup pensé,) et plus je suis convaincu que ce voyage sera utile pour lui et sans danger, qu'il sera charmé d'avoir appris la langue et d'avoir vu le pays, qu'il se developpera en tout sens, qu'il formera des liaisons, et qu'il retournera à Lausanne plus propre aux grandes aventures, ou plus content de vivre tranquille au sein de son pays. Je me repens déjà de ne l'avoir pas emmené avec moi, et lorsque je songe au tems qu'il lui faudra pour acquérir une nouvelle langue, il me semble qu'il vaudroit mieux le faire partir sans délai, et lui accorder trois ou quatre mois de retraite à la campagne avant son début dans la capitale. En

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En raisonnant avec Lord Sheffield sur le choix d'un endroit convenable, il s'en est présenté un tel que nous pourrions le désirer, à deux lieues seulement de son château: je pourrai voir très souvent notre élève, il y sera reçu avec plaisir par Lord Sheffield: je lui promets la chasse au renard, au lièvre et au fusil; s'il peut se passer de domestique en route il lui sera beaucoup plus avantageux de prendre un Anglois sur les lieux. Le grand chemin de Pontarlier à Calais est assez frayé, et les occasions en poste ou avec un voiturier doivent se, présenter très souvent, mais le pas d'un voiturier seroit bien lent pour notre impatience. A son arrivée à Londres Wilhelm s'adressera à Elmsley libraire, opposite to Southampton-street in the Strand, qui dirigera ses premières démarches, et le fera partir (si je ne suis pas en ville) pour le château de Sheffield, où tout est déjà prevenu en sa faveur. Mais je suis presque tenté de vous proposer une autre route qui n'a d'autre inconvénient qu'une plus longue traversée de mer, ce seroit de suivre par les voitures publiques le grand chemin de Genève, Lyon, Paris, (sans s'y arrêter,) et Dieppe, de passer dans le paquebot de Dieppe à Brighthelmstone, où il s'adresseroit à Monsieur S-, marchand très connu, qui le fera conduire tout de suite à Sheffield distant de six lieues seulement de ce port. Quelque parti que vous preniez, j'ose vous supplier de vouloir bien me le communiquer sur le champ: il me semble que nous n'avons point de tems à perdre; je ferai une petite course à Londres le mois prochain, mais je pourrai l'avancer ou la retarder de quelques jours

suivant

suivant vos arrangemens. Rappellez moi au souvenir du petit troupeau de Lausanne: j'attends avec impatience des nouvelles de Deyverdun. J'embrasse Monsieur de Severy et Wilhelm, sans oser prendre cette liberté avec Angletine. Adieu, Madame, le papier me manque pour les formules, mais je les crois assez superflues.

N° CCXV.

M. GIBBON à M. de SEVERY.

Sheffield-Place, ce 4 Novembre, 1787.

Je ne saurois, Monsieur, laisser partir les dépêches de notre fils sans vous dire avec combien de plaisir je l'ai embrassé et quelle joye j'ai ressentie à voir réaliser des projets que nous avions formés dans mon petit pavillon à Lausanne. Il est arrivé en parfaite santé, très content ce me semble des premiers pas qu'il a faits dans cette grande entreprise, et je me persuade de plus en plus qu'elle lui réussira à tous égards. Son début dans le petit cercle de Sheffield-Place a été très heureux. Il plait déjà à tout le monde, depuis Milord, jusqu'au petit chien de Milady; et si les premières politesses sont pour mon compte, les suivantes à l'infini seront pour lui: nous allons bientôt l'établir dans son village. Milord Sheffield le garderoit volontiers au château, mais s'il restoit avec nous il n'apprendroit jamais l'anglois, et il faut savoir sacrifier l'agréable à l'utile. Je lui annonce quelques semaines d'ennui et qu'il n'est pas possible de lui sauver: nous tâcherons

tâcherons de les adoucir par les petites ressources de la musique et de la chasse, mais il ne faut pas que le clavecin ni le chien parlent françois-il m'a montré la lettre que vous lui avez donnée pour votre banquier, lettre très bonne assurément, mais très inutile: permettez-moi de me charger uniquement de ce petit détail, et à mon retour à Lausanne les deux pères compteront ensemble. Il sera bon cependant, qu'il vous indique de tems en tems l'argent qu'il me demande, afin que vous puissiez rallentir son allure si elle se trouve un peu trop vive: je lui vois les dispositions les plus sages, et les plus modestes, mais dans la navigation périlleuse des grandes villes il y a bien des écueils. Jusqu'à présent j'ai mené la vie la plus tranquille, mais dans une quinzaine de jours, à la rentrée du parlement, j'irai passer quelques jours à Londres, et ensuite à Bath; je reviendrai ici avant les fêtes, et nous ne serons solidement établis en ville que vers le milieu du mois de Janvier. Soyez persuadé que non seulement dans les bois de Sheffield, mais au milieu de la dissipation de Londres je penserai toujours à Lausanne, et à mon retour. Pour vous,

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après avoir couru le bal et la comédie à R.. vous retournerez à Lausanne au mois de Décembre, très fiers d'avoir passé l'automne à la campagne.

Adieu, Monsieur, je n'ajoute rien pour Madame et Mademoiselle de Severy elles connoissent mes sentimens, et toute votre maison n'a qu'une ame et un esprit.

Να

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