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N° CCXXXVI.

Madame NECKER à M. GIBBON.

Copet, 13 Octobre, 1791.

Je vous prie, Monsieur, d'observer que les époques sont sacrées pour un historien; les vendanges s'approchent, vous sçavez l'engagement que vous avez pris, et d'ailleurs nous voudrions nous conformer un peu au costume de nos chers compatriotes, et nous enivrer au moins des agrémens de votre conversation. J'ai prié Monsieur Levade de vous accompagner. Je voudrois que vous déterminassiez Monsieur le Chevalier de Boufflers à se réunir avec vous, et Madame de Biron, si j'osois m'en flatter, ainsi que toutes les personnes qui pourroient vous plaire, et leur être agréables. Vous jugez du prix que je mettrois à une société si rare et si chérie; mais enfin, seul ou environné de tant d'éclat, vous serez toujours en grand nombre, puisque vous me rappellez constamment, lorsque vous parlez, ces esprits connus des Hébreux, qui n'entrent jamais qu'en légion dans le corps d'un homme; grace pour la comparaison, elle m'auroit paru plus juste, si les anges alloient ainsi par troupe, et je m'en serois servie plus volontiers. Monsieur Necker, Monsieur, joint ses instances aux miennes. Agréez l'assurance de tous nos senti

mens.

N° CCXXXVII.

Madame NECKER à M. GIBBON.

A Genève, ce 30 Mars.

Je l'ai vu et je ne le crois pas, disoit Fontenelle d'un avare devenu libéral un moment; ne pourroisje pas m'exprimer de même en recevant cette jolie, cette touchante lettre? Mais elle ne m'a pas disposée à la plaisanterie; c'est une preuve d'absence, et la douce. habitude que j'avois formée ne peut se rompre sans tristesse. Vous avez fait, Monsieur, à toute notre société la même impression qu'à nous, mais pourquoi dirois-je la même ? tout est reçu, selon l'axiome, à la manière de celui qui reçoit et les ames les plus sensibles seront toujours celles qui vous admireront le plus. Je défie donc, même les deux belles veuves, de vous chérir comme nous; l'on vous juge en dehors; nous vous avons jugé dans le fond de notre cœur et nous vous y gardons.

Nous avons reçu en effet des nouvelles touchantes de l'infortunée victime dont les regards nous cherchent au moment du sacrifice; mais nous aurions voulu pouvoir vous en entretenir, car les yeux d'un ami sont le vrai télescope de la pensée; ils nous aident à traverser les plus grands espaces.

Je vous rends graces de m'avoir rassurée sur la santé de Monsieur de Severy; toute cette charmante famille m'intéresse, sous différents rapports; le mérite augmente bien de prix dans notre siècle ; c'est une eau salutaire au milieu d'un aride désert.

Si les nouvelles sont vraies, l'Assemblée fait à

présent

présent du ministère, le repas de l'évangile; mais il faut se taire, car s'irriter de ce qu'on fait, c'est souffrir, et s'en moquer, c'est ressembler aux barbares qui dansent et chantent autour des victimes.

La lettre de Berne a eu ici un plein succès; je vous rends grace de nous l'avoir envoyée. Les Allemans sont à présent beaucoup plus François que nous, et par leurs sentimens et même par leur langage. Je finis, Monsieur, en vous rappellant trois promesses; la lecture des Opinions Religieuses, car si elle ne change pas les vôtres, vous vivrez du moins encore plus intimément avec nous; vous jugerez du génie, de l'éloquence, et des sentimens de Monsieur Necker; et vous jugerez aussi de l'impression que j'en recevois. Je connois trop la supériorité et l'universalité de votre esprit, pour vous croire étranger aux plus grandes questions que les hommes se soient jamais proposées; ce n'est pas vous qui traiterez légèrement les profondeurs de nos destinées; ce n'est pas vous qui traiterez légèrement les affections les plus douces, les plus propres à consoler deux ames étroitement unies, qui ne peuvent plus retenir le tems prêt à s'échapper pour elles, et qui le suivent, et se suivent jusques dans les abîmes de l'éternité, et vous donnerez quelques larmes au passage qui exprime ce sentiment avec des couleurs inimitables. Je vous rappelle un autre projet qui me tient fort à cœur, et que je ne veux pas même désigner. Enfin votre troisième promesse est pour nous un bonheur présent; nous vous attendrons à Copet, et les charmes de votre société nous feront oublier encore

une

une fois les peines de la vie. Nous nous réunissons, Monsieur Necker et moi, pour vous offrir l'hommage d'une tendre amitié, et il me semble qu'en me doublant ainsi, je répare auprès de vous tout ce que le tems m'a fait perdre.

N° CCXXXVIII.

Madame NECKER à M. GIBBON.

A Copet, ce Samedi matin.

J'ALLOIS vous écrire, Monsieur, quand j'ai reçu par M. Favre une marque de souvenir que je désirois vivement, et que mon impatience ne me permettoit plus d'attendre: malgré votre silence volontaire, malgré le silence involontaire que j'ai gardé avec vous, vouz n'avez jamais cessé un instant d'être l'objet de mon admiration, et de cette tendre et pure affection sur laquelle le tems ne peut avoir d'empire. Vos ouvrages ont fait mes délassemens les plus doux; je ne vous ai pas peint l'impression, que j'en avois reçue; car dans les deux ans du ministère orageux de M. Necker, je n'ai pas eu une heure de calme, ou de liberté: d'ailleurs l'on n'aime pas toujours entretenir un muet, sûre de l'importuner, ne fut-ce que par les remords. A présent, Monsieur, vous nous ôtez la crainte d'être indiscrets, et nous vous demandons avec instances, M. Necker et moi, de nous faire l'honneur de passer quelques jours à Copet. Adieu, Monsieur, vous me répondrez à Copet, et vous ferez un bien grand plaisir à d'anciens et fidèles amis, qui mal

gré

gré tous les discours sont plus que jamais dignes de votre intérêt, et de votre estime.

vous.

N° CCXXXIX.

The Same to the Same.

A Rolle, le 3 Avril.

Je réponds à votre silence, Monsieur; c'est tou jours du moins une manière de me rapprocher de J'en cherchois une aujourd'hui, car mon cœur se serre un peu en quittant un lieu plus voisin de celui que vous habitez, et où nous avons reçu des marques ineffaçables de votre amitié, de cette amitié dirigée par l'esprit le plus délicat, et par un instinct de bonté qui donneroit même du charme à l'indifférence. Voulez-vous bien, Monsieur, témoigner à Madame de Severy toute notre reconnoissance? J'avois le désir de lui écrire; j'ai craint de me rendre importune. Mademoiselle Geffroy m'assure que M. Monad est content de l'état où nous laissons la maison. Ce M. Monad me paroît fort honnête homme, et fort utile à ceux dont il a la confiance. Je présume que je ne tarderai pas à profiter de votre aimable invitation. Nous irons passer quelques jours dans votre palais des fées, ou plutot de génies, par une exception inouie pour moi; et que j'offre à celui qui fait aussi une exception dans notre cœur à tant d'autres égards; mais les nouvelles nous empêchent de céder en core à notre impatience par l'incertitude où elles nous jettent; les Croisés semblent avoir l'avantage; et le résultat de cette combinaison, ou de toute autre,

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