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autre, fait aussi de notre fortune un problême insoluble pour le présent; cependant avant de voir des maisons, il faudroit que nos plans furent arrêtés. Vous jugez, Monsieur, par ma comparaison, que j'écris à présent de Jérusalem; vos paroles sont pour moi ces fleuves de lait et de miel de la terre promise; et je crois entendre leur doux murmure; cependant je regrette encore le plaisir que j'avois à vous entretenir pendant le jour, de mes pensées de la veille. Je vivois ainsi deux fois avec vous, dans le temps passé et dans le temps présent; et ces temps s'embellissoient l'un par l'autre; puis-je me flatter de retrouver ce bonheur dans nos allées de Copet? Prévenez-nous cependant, quand vous aurez l'intention de nous voir. Nous tâcherons de réunir quelques personnes qui veulent venir à Copet, et nous vous devrons leurs plaisirs et les nôtres. Mille tendres amitiés.

N° CCXL.

Madame NECKER à M. GIBBON.

JE voyois arriver, Monsieur, avec un sentiment délicieux, le jour que je devois passer avec vous; le spectacle d'une habitation qui vous rend heureux auroit certainement ajouté à mon bonheur, ou diminué mes peines, pour employer un langage convenable aux circonstances. Je sens que j'aurois réuni à vous pour toujours, dans ma pensée, l'image de votre jardin, de votre bibliothèque, de tous ces sages qui vous environnent, et qui seroient restés dans la poussière des siècles, si votre bel ouvrage

ne

ne les avoit fait revivre. C'est donc absolument contre mon vou, que j'ai différé une visite dont je me faisois une véritable fête. Vous m'avez toujours été cher; mais l'amitié que vous montrez à M. Necker ajoute encore à celle que vous m'inspiriez à tant de titres ; et je vous aime à présent d'une double affection. Cependant je suis très en colère contre M. Necker, il a cédé à quelques raisons dont il vous rendra compte. Il n'appartient

pas à tout le monde d'avoir, comme M. Gibbon,' les avantages du génie, sans en avoir les inconvéniens. Les projets de M. Necker sont toujours environnés d'un cortège de troupes légères, qui ne cessent de se battre sur la route; et l'on ne sçait jamais quel sera le résultat du combat: cette fois il a fallu consentir à un délai, et M. Necker, qui s'en affligeoit lui-même, a voulu vous écrire le premier; mais il ne vous a point dit assez à mon gré, avec quel attendrissement, avec quelle reconnoissance nous avons reçu vos soins incomparables dans cette terrible époque de notre vie. Je ne tarderai pas, j'espère, à vaincre les obstacles qui contrarient un projet cher à mon cœur. Dans ce moment le danger éminent de M. Tronchin ne nous auroit pas permis de nous éloigner. M. Cramer doit être transporté à Genève. Mille et mille tendres hommages, Monsieur.

N*

N° CCXLI.

Madame NECKER à M. GIBBON.

Rolle, ce Jeudi.

MONSIEUR de Châteauneuf, Monsieur, a envoyé une addresse aux citoyens de Genève, dans laquelle, avec beaucoup de protestations pour la sureté des propriétés et des personnes, il assure qu'on se restreindra seulement à la punition des magistrats, qui ont osé solliciter le secours des Suisses. L'indignation a été à son comble, comme vous devez bien le penser; et mon cœur en est encore agité. Les magistrats, par une conduite aussi noble que celle du résident étoit basse et odieuse, ont rassemblé en armes trois mille Genevois, et leur ont lu cette addresse et une courageuse réponse. Ils ont demandé que ceux qui n'approuvoient pas la conduite des magistrats, eussent à se retirer; trois seulement sont sortis des rangs. M. le Sindic Michely a parlé comme Démosthène; et un citoyen nommé M. Chambrier, a répondu au nom du peuple avec tant de vertu et de sensibilité, que cette scène touchante, peut être comparée aux plus belles de l'histoire. L'on ne nous mande pas d'ailleurs que les troupes soient augmentées. Dieu seul sçait à présent quel sera le résultat de toutes ces démarches extraordinaires. Nous attendons incessamment Monsieur Gibbon, et nous l'aimons, en attendant, de tout notre cœur, et pour jamais.

C. N.

NR

N° CCXLII.

Madame NECKER à M. GIBBON.

A Copet, ce 15 Juin, 1792.

NË craignez rién, Monsieur; ce n'est pas un reproche que je viens vous faire: je sçais depuis Alcibiade, que les hommes distingués doivent toujours avoir quelques légères bisarreries: M. de Severy m'écrit ingénieusement que vous me tenez compte en amitié du silence que vous gardez avec moi'; car vos affections ne sont pas comme votre génie, une corne d'abondance, qui s'accroit en se répandant. Penseriez-vous, Monsieur, que ce préambule tend à vous demander une lettre? M. Pictet m'apprend que M. de Severy recevra chez lui' pendant quinze jours le Prince de Hesse, et ses deux gouverneurs. Nous avions déterminé M. et Madame Pictet à admettre ces étrangers dans leur intérieur, si l'on le désiroit; et rien ne paroissoit plus convenable pour le jeune prince que le spectacle de cette vie pure et simple, dont l'esprit et le sentiment font la seule élégance; et d'ailleurs nous croyons voir dans cet arrangement, des avantages réciproques. Cependant une introduction de confiance demande l'exemption entière de certains défauts; par exemple, si vous apperceviez de légers Germanisines, comme des libations libérales à Bacchus, je vous demanderois d'avoir la bonté de me l'insinuer sans craindre aucunes tracasseries. Il se roit aisé de trouver des prétextes pour revenir à l'ancien plan de simple locataire.

VOL. II.

G G

Nous

Nous pensons souvent, Monsieur, aux jours pleins de charmes que nous avons passés avec vous à Genève. J'ai éprouvé pendant cette époque un sentiment nouveau pour moi, et peut-être pour beaucoup de gens. Je réunissois dans un même lieu, et par une faveur bien rare de la Providence, une des douces et pures affections de ma jeunesse, avec celle qui fait mon sort sur la terre, et qui le rend si digne d'envie. Cette singularité, jointe aux agrémens d'une conversation sans modèle, composoit pour moi une sorte d'enchantement; et la connection du passé et du présent rendoit mes jours semblables à un songe sorti par la porte. d'ivoire pour consoler les mortels. Ne voudriezvous pas nous le faire continuer encore? Copet est dans toute sa beauté; mais je ne sçais, si je dois trop insister, car nous y menons une vie assez solitaire; les circonstances retiennent les Genevois dans leurs foyers, et leurs campagnes sont désertes; M. de Germani même a jugé à-propos de se remarier; et il a bien fallu céder une grande part de ses soins. Gardez-vous, Monsieur, de former un de ces liens tardifs: le mariage qui rend heureux dans l'age mûr, c'est celui qui fut contracté dans la jeunesse. Alors seulement la réunion est parfaite, les goûts se communiquent, les sentimens se répandent, les idées deviennent communes, les facultés intellectuelles se modèlent mutuellement. Toute la vie est double, et toute la vie est une prolongation de la jeunesse; car les impressions de l'ame commandent aux yeux, et la beauté qui n'est

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