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tend se mêler ensemble les accens de la douleur et ceux de l'espérance: c'est un ami désolé qui pleure sur les cendres d'un ami; c'est un évêque résigné qui prie sur le mausolée d'un évêque. L'oraison funèbre du curé de Saint-André-des-Ars est d'un ton plus austère. L'évêque de Senez et beaucoup d'autres prélats de l'église de France avaient été formés par ce vieillard vénérable, qui fut, dit-on, le modèle du sage curé de Mélanie. Le pontife s'incline avec respect vers la tombe de l'humble pasteur, pour y recueillir les dernières leçons d'un maître chéri dont il veut rester le disciple. Tout est simple, mais tout est solennel dans ce discours ce n'est pas l'éloge d'un grand de la terre, ni même, ce qui est bien différent, l'éloge d'un grand homme; c'est le panégyrique d'un saint, présenté comme exemple aux pasteurs, et plutôt invoqué que loué. Si l'on vit un prélat rendre à d'obscures vertus des honneurs publics, longtemps réservés à la puissance, il faut bien en faire hommage à l'esprit du dernier siècle. Ce n'est pas que nous prétendions placer l'évêque de Senez au rang des philosophes modernes : il les attaque souvent, au contraire; mais il les attaque avec décence. Loin de se dissimuler leurs talens, leurs succès, leur force toujours croissante, il en paraît épouvanté. Comme eux, d'ailleurs, il prévoit, il annonce une révolution prochaine, dont les

symptômes ne pouvaient échapper qu'aux vues faibles, et que Louis XV entrevoyait lui-même, malgré les prestiges du trône; une révolution que tout rendait inévitable : le désordre des finances, le discrédit d'une cour sans gloire et même sans gloire militaire, les progrès de la nation, la décadence du gouvernement, et l'écroulement des préjugés que la raison renversait par l'examen. Celui qui s'était montré hardi dans la chaire de Versailles parut timide dans l'Assemblée constituante. Il en était membre durant la dernière année de sa vie; et ce fait, récent encore, est aujourd'hui presque ignoré. Sa voix n'y fut jamais entendue, soit qu'il faille plus d'audace pour haranguer des égaux qui vont vous répondre qu'un roi qui vient vous écouter; soit qu'il n'ait pas voulu soumettre à l'épreuve des opinions populaires une réputation de trente ans. Cette réputation se maintiendra. L'évêque de Senez est sage dans ses compositions, correct et simple dans son style, trop simple même en quelques endroits; mais ce défaut est bien préférable à la fausse élégance, à la finesse énigmatique des prédicateurs de son temps. Il approche quelquefois de l'élévation de Bossuet, dont il n'a jamais l'énergie et la profondeur; il atteint presque à la douceur de Massillon, sans connaître et distribuer comme lui toutes les richesses de l'art d'écrire ; il tombe dans

des redites fréquentes. On lui souhaiterait plus de couleur et plus de forme; mais il touche, il communique les émotions qu'il éprouve; et, depuis ces deux grands modèles, aucun orateur n'a mieux saisi le ton noble et persuasif qui convient à l'éloquence de la chaire.

Les sermons de M. le cardinal Maury ne sont point imprimés, et nous ne connaissons pas d'oraisons funèbres de cet orateur. Il n'a pas jugé à propos de donner encore au public son panégyrique de saint Vincent-de-Paule, discours qui jouit d'une haute réputation, et que l'on se souvient de lui avoir entendu prononcer plusieurs fois dans les églises de Paris. Mais deux morceaux d'un rare mérite, le panégyrique de saint Louis et celui de saint Augustin, sont publiés à la suite du livre sur l'Éloquence de la chaire. Ces deux sujets, traités par une foule d'orateurs, l'avaient été récemment par l'évêque de Senez; nous avons déja remarqué qu'il réussissait peu dans ce genre; et pour le mouvement, la couleur, la force, l'harmonie du style, l'écrivain dont nous parlons lui est de beaucoup supérieur. Dans le panégyrique de saint Louis, les croisades de ce prince sont justifiées par un noble motif: la délivrance des Français, des chrétiens en captivité. Ces émigrations armées causèrent de grands maux; mais elles eurent aussi quelque influence sur la

civilisation européenne. C'est en historien que Robertson avait exposé ces avantages ; le panégyriste les fait valoir en orateur. Il peint surtout de couleurs touchantes l'héroïsme du pieux monarque, cette probité magnanime qui le rendit l'arbitre. de ses voisins et même de ses ennemis, ses soins pour rendre la justice, ses travaux, ses établissemens, les pleurs versés sur sa tombe, des regrets prolongés pendant un siècle, et le cri des Français, durant les six règnes suivans, redemandant, à chaque vexation, les établissemens de saint Louis. Ce discours, prononcé devant l'Académie française, fixa sur l'orateur, jeune alors, les regards bienveillans de cette compagnie célèbre : elle lui donna des marques d'un intérêt spécial. Il s'en montra digne; et l'on sentit combien son talent se perfectionnait, lorsqu'il prononça devant le clergé de France le panégyrique de saint Augustin. Comme on y voit ce Bossuet du quatrième siècle illustrer, défendre et dominer l'église chrétienne! Malgré son zèle ardent contre l'hérésie, comme on aime à le trouver tolérant! Avant d'entrer en lice avec les évêques donatistes, l'évêque d'Hippone exigea que les soldats d'Honorius sortissent de Carthage : ainsi Fénélon ne voulut commencer ses missions en Saintonge qu'après avoir fait éloigner de la province les légions de Louis-le-Grand. Ce rapprochement heureux honore doublement l'ora

teur, homme trop éclairé pour faire cas des conversions opérées par les baïonnettes. Son discours est plein de traits de cette force; il est nerveux, rapide, éloquent; et, puisque Marc-Aurèle n'est point un saint, puisque son éloge est un discours profane, ce panégyrique de saint Augustin nous paraît mériter la première place dans un genre où Massillon s'est exercé.

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Nous chercherions en vain des orateurs du premier ordre, soit au barreau, soit au ministère public; et l'éloquence judiciaire n'a jamais été parmi nous ce qu'elle fut chez les deux peuples classiques de l'antiquité elle nous présente toutefois des noms honorables. Dans les premières années du règne de Louis XIV, Patru bannit du barreau français le mauvais goût et la barbarie; il avait fait de notre langue une étude profonde : c'est là son principal mérite; et son style n'a pour l'ordinaire d'autre qualité que la correction. Pélisson, dans ses Plaidoyers pour le surintendant Fouquet, s'éleva jusqu'à l'éloquence. La noblesse, l'harmonie, une élégance continue, mais peu animée, caractérisent les nombreux discours du célèbre

d'Aguesseau. Cochin, d'ailleurs si estimable pour la sagesse et la clarté, lui est inférieur comme écrivain, sans le surpasser comme orateur. La génération suivante eut plus d'énergie: c'est là ce qui domine dans les Mémoires, rédigés à la hâte,

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