ページの画像
PDF
ePub

mais il ne pouvoit entrer dans ce détail. En dernier résultat, je vois que tous les poëtes épiques ont été des hommes très instruits; surtout ils étoient nourris des ouvrages de ceux qui les avoient précédés dans la carrière de l'épopée : Virgile traduit Homère; le Tasse imite à chaque stance quelque passage d'Homère, de Virgile, de Lucain, de Stace; Milton prend partout, et joint à ses propres trésors les trésors de ses devanciers.

Le seizième chant, qui renferme la peinture des jardins d'Armide, ne fournit rien à notre sujet. Au dix-septième chant nous trouvons la description de Gaza, et le dénombrement de l'armée égyptienne : sujet épique traité de main de maître, et où le Tasse montre une connoissance parfaite de la géographie et de l'histoire. Lorsque je passai de Jafa à Alexandrie, notre saïque descendit jusqu'en face de Gaza, dont la vue me rappela ces vers de la Jérusalem :

« Aux frontières de la Palestine, sur le » chemin qui conduit à Péluse, Gaza voit >> au pied de ses murs expirer la mer et son >> courroux: autour d'elle s'étendent d'im» menses solitudes et des sables arides. Le

» vent qui règne sur les flots exerce aussi » son empire sur cette mobile arène; et le » voyageur voit sa route incertaine flotter et » se perdre au gré des tempêtes. »

Le dernier assaut, au dix-neuvième chant, est absolument conforme à l'histoire. Godefroy fit attaquer la ville par trois endroits. Le vieux comte de Toulouse battit les murailles entre le couchant et le midi en face du château de la ville, près de la porte de Jafa. Godefroy força au nord la porte d'Ephraïm. Tancrède s'attacha à la tour angulaire, qui prit dans la suite le nom de Tour-de-Tancrède.

Le Tasse suit pareillement les chroniques dans les circonstances et le résultat de l'assaut. Ismen accompagné de deux sorcières est tué par une pierre lancée d'une machine: deux magiciennes furent en effet écrasées sur le mur à la prise de Jérusalem. Godefroy lève les yeux et voit les guerriers célestes qui combattent pour lui de toutes parts. C'est une belle imitation d'Homère et de Virgile, mais c'est encore une tradition du temps des Croisades: « Les morts y entrèrent avec les vivans, dit >> le père Nau; car plusieurs des illustres >> Croisés, qui étoient morts en diverses occa

>>sions devant que d'arriver, et entr'autres » Adémar, ce vertueux et zélé évêque du » Puy en Auvergne, y parurent sur les mu» railles, comme s'il eût manqué à la gloire » qu'ils possédoient dans la Jérusalem céleste, >> celle de visiter la terrestre, et d'adorer le » Fils de Dieu dans le trône de ses ignomi» nies et de ses souffrances, comme ils l'ado>> roient dans celui de sa majesté et de sa puis

»sance. »>

La ville fut prise, ainsi que le raconte le poëte, au moyen des ponts qui s'élançoient des machines et s'abattoient sur les remparts. Godefroy et Gaston de Foix avoient donné le plan de ces machines, construites par des matelots pisans et génois. Ainsi dans cet assaut où le Tasse a déployé l'ardeur de son génie chevaleresque, tout est vrai, hors ce qui regarde Renaud comme ce héros est de pure invention, ses actions doivent être imaginaires. Il n'y avoit point de guerrier appelé Renaud d'Est au siége de Jérusalem: le premier Chrétien qui s'élança sur les murs, ne fut point un chevalier du nom de Renaud, mais Létolde, gentilhomme flamand de la suite de Godefroy. Il fut suivi de Guicher, et de

Godefroy lui-même. La stance où le Tasse peint l'étendard de la Croix ombrageant les tours de Jérusalem délivrée, est sublime:

« L'étendard triomphant se déploie dans » les airs; les vents respectueux soufflent plus >> mollement; le soleil plus serein le dore de » ses rayons : les traits et les flèches se dé

- >> tournent ou reculent à son aspect. Sion et » la colline semblent s'incliner et lui offrir >> l'hommage de leur joie.

>>

Tous les historiens des Croisades parlent de la piété de Godefroy, de la générosité de Tancrède, de la justice et de la prudence du comte de Saint-Gilles; Anne Comnène ellemême fait l'éloge de ce dernier : le poëte nous a donc peint les héros que nous connoissons. Quand il invente des caractères, il est du moins fidèle aux mœurs. Argant est le véritable Mameluck :

L'altro è Circasso Argante, uom che straniero.....

L'autre, c'est Argar le Circassien: aven» turier inconnu à la cour d'Egypte, il s'y » est assis au rang des satrapes. Sa valeur l'a >> porté aux premiers honneurs de la guerre. » Impatient, inexorable, farouche, infati

gable, invincible dans les combats, con> tempteur de tous les dieux, son épée est sa >> raison et sa loi. >>

Soliman est un vrai sultan des premier temps de l'Empire turc. Le poëte, qui ne néglige aucun souvenir, fait du sultan de Nicée un des ancêtres du grand Saladin ; et l'on voit qu'il a eu l'intention de peindre Saladin luimême sous les traits de son aïeul. Si jamais l'ouvrage de Dom Berthereau voyoit le jour, on connoîtroit mieux les héros musulmans de la Jérusalem. Dom Berthereau avoit traduit les auteurs arabes qui se sont occupés de l'histoire des Croisés. Cette précieuse traduction devoit faire partie de la collection des his→ toriens de France.

Je ne saurois guère assigner le lieu où le féroce Argant est tué par le généreux Tancrède; mais il le faut chercher dans les vallées, entre le couchant et le septentrion. On ne le peut placer à l'orient de la tour angulaire qu'assiégeoit Tancrède; car alors Herminie n'eût pas rencontré le héros blessé, lorsqu'elle revenoit de Gaza avec Vafrin.

Quant à la dernière action du poëme, qui, selon la vérité, se passa près d'Ascalon, le

« 前へ次へ »