ページの画像
PDF
ePub

attendre en sûreté le retour de son messager; mais elle ne peut résister à son impatience: elle monte sur la hauteur, et découvre les tentes lointaines. En effet, en sortant de la ravine du torrent de Cédron, et marchant au nord, on devoit apercevoir, à main gauche, le camp des Chrétiens. Viennent alors ces stances admirables:

Era la notte, etc.

« La nuit régnoit encore: aucun nuage » n'obscurcissoit son front chargé d'étoiles: » la lune naissante répandoit sa douce clarté: » l'amoureuse beauté prend le ciel à témoin » de sa flamme; le silence et les champs sont » les confidens muets de sa peine.

» Elle porte ses regards sur les tentes des » Chrétiens: O camp des Latins, dit-elle, » objet cher à ma vue! Quel air on y res>> pire! Comme il ranime mes sens et les » récrée! Ah, si jamais le ciel donne un asile » à ma vie agitée, je ne le trouverai que » dans cette enceinte : non, ce n'est qu'au » milieu des armes que m'attend le repos!

» O camp des Chrétiens, reçois la triste » Herminie! Qu'elle obtienne, dans ton sein,

» cette pitié qu'amour lui promit; cette » pitié que jadis captive elle trouva dans »l'ame de son généreux vainqueur! Je ne >> redemande point mes Etats, je ne rede» mande point le sceptre qui m'a été ravi : » ô Chrétiens, je serai trop heureuse, si je puis seulement servir sous vos drapeaux!

[ocr errors]

» Ainsi parloit Herminie. Hélas, elle ne » prévoit pas les maux que lui apprête la » fortune! Des rayons de lumière réfléchis » sur ses armes vont au loin frapper les re» gards son habillement blanc, ce tigre » d'argent qui brille sur son casque, annon»cent Clorinde.

» Non loin de là est une garde avancée; » à la tête sont deux frères, Alcandre et >> Polipherne. »>

Alcandre et Polipherne devoient être placés, à peu près, vers les Sépulcres des Rois. On doit regretter que le Tasse n'ait pas décrit ces demeures souterraines; le caractère de son génie l'appeloit à la peinture d'un pareil

monument.

Il n'est pas aussi aisé de déterminer le lieu où la fugitive Herminie rencontre le pasteur au bord du fleuve: cependant, comme il n'y

a qu'un fleuve dans le pays, qu'Herminie est sortie de Jérusalem par la porte d'orient, il est probable que le Tasse a voulu placer cette scène charmante au bord du Jourdain. Il est inconcevable, j'en conviens, qu'il n'ait pas nommé ce fleuve; mais il est certain que ce grand poëte ne s'est pas assez attaché aux souvenirs de l'Ecriture, dont Milton a tiré tant de beautés.

Quant au lac et au château où la magicienne Armide enferme les chevaliers qu'elle a séduits, le Tasse déclare lui-même que ce lac est la mer Morte:

Alfin giungemmo al loco, ove già scese
Fiamma dal cielo, etc.

Un des plus beaux endroits du poëme, c'est l'attaque du camp des Chrétiens par Soliman. Le sultan marche la nuit au travers des plus épaisses ténèbres; car selon l'expression sublime du poëte:

Votò Pluton gli abissi, e la sua notte
Tutta yersò dalle Tartare e grotte.

Le camp est assailli du côté du couchant; Godefroy, qui occupe le centre de l'armée yers le nord, n'est averti qu'assez tard du

combat qui se livre à l'aile droite. Soliman n'a pas pu se jeter sur l'aile gauche, quoiqu'elle soit plus près du désert, parce qu'il y a des ravines profondes de ce côté. Les Arabes cachés pendant le jour dans la vallée de Térébinthe, en sont sortis avec les ombres pour tenter la délivrance de Solime.

,

Soliman vaincu prend seul le chemin de Gaza. Ismen le rencontre, et le fait monter sur un char qu'il environne d'un nuage. Ils traversent ensemble le camp des Chrétiens, et arrivent à la montagne de Solime. Cet épisode, admirable d'ailleurs, est conforme aux localités, jusqu'à l'extérieur du château de David près la porte de Jafa ou de Bethléem; mais il y a erreur dans le reste. Le poëte a confondu ou s'est plu à confondre la tour de David avec la tour Antonia: celle-ci étoit bâtie loin de là, au bas de la ville, à l'angle septentrional du Temple.

Quand on est sur les lieux, on croit voir les soldats de Godefroy partir de la porte d'Ephraïm, tourner à l'orient, descendre dans la vallée de Josaphat, et aller, comme de pieux et paisibles pélerins, prier l'Eternel sur la montagne des Oliviers. Remar

quons que cette procession chrétienne rappelle d'une manière sensible la pompe des Panathénées, conduite à Eleusis au milieu des soldats d'Alcibiade. Le Tasse qui avoit tout lu, qui imite sans cesse Virgile, Homère et les autres poëtes de l'antiquité, a mis ici en beaux vers une des plus belles scènes de l'histoire. Ajoutons que cette procession est d'ailleurs un fait historique raconté par l'Anonyme, Robert moine, et Guillaume de Tyr.

Nous venons au premier assaut. Les machines sont plantées devant les murs du septentrion. Le Tasse est exact ici jusqu'au scrupule :

Non era il fosso di palustre limo

(Che nol consente il loco) o d'acqua molle.

C'est la pure vérité. Le fossé au septentrion est un fossé sec, ou plutôt une ravine natu relle, comme les autres fossés de la ville.

Dans les circonstances de ce premier assaut, le poète a suivi son génie sans s'appuyer sur l'histoire; et comme il lui convenoit de ne pas marcher aussi vite que le chroniqueur, il suppose que la principale machine fut brû

« 前へ次へ »