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La Lettre d'vn Sécrétaire de S. Innocent à Ivles Mazarin [1896] '.

(4 mars 1649.)

MONSIEUR, ie ne pense pas que vous trouuiez mauuais que ie n'employe point icy le nom de Monseigneur; ie m'en suis empesché par la rencontre de l'Arrest du huit ianuier dernier, que Nosseigneurs de Parlement ont donné contre vostre Eminence. C'est pourquoy ie me sers du terme dont nous traittons ceux qui écriuent comme nous; car aussi bien i'ay appris que vous estes le plus grand barbouilleur de papier qui soit au monde. Rećeuez donc, mon cher camarade, la lettre que ie vous escris.

Depuis que vous vous meslez du Gouuernement des affaires de France, i'ay tousiours ouy dire que vostre conduite ne valoit rien; et i'ay fait ce que i'ay pû pour désabuser les peuples de la créance qu'ils auoient en vostre politique. Ils se flattoient tellement en leur opinion que le cardinal de Richelieu vous auoit choisi pour luy succéder en cette administration, que iusques à ce qu'ils aient veu que vous auez perdu la tramontane et que vostre petite ceruelle se trouuoit au bout de ses finesses, il m'a esté impossible de leur persuader que vous estes le plus ridicule Ministre qui ait iamais esté. Ie vous assure qu'à présent ils le croyent; et quand vous vous estes engagé en cette dignité de fauory, vous n'auez pas sceu que nous auons des exemples dans nos histoires, de ceux qui ont possédé les Roys, qui ont fait des fins

'C'est une des bonnes pièces, au jugement de Naudé.

fort éloignées de celles qu'ils s'estoient proposées. Il y a eu véritablement de grands hommes; et les Roys qui les ont choisis pour estre soulagez dans le pesant fardeau de leur Royaume, nous font voir que celle de trouuer vn bon Ministre, c'est la peine la plus insuportable. Charles cinquième, surnommé le Sage, comme il estoit Prince de grand sens, n'ayma iamais que des seruiteurs bien sencez; ainsi il affectionna le Connétable du Guesclin à cause de ses rares vertus. Charles VII, pour le même suiet, admit au Gouuernement de son Estat Iean d'Orléans, appelé pour ses mérites le bon Comte de Dunois, auquel la France demeure encore redeuable auiourd'huy pour les continuels seruices qu'il a rendus à cette Couronne pendant le cours de sa vie; Louis XI choisit Tristan l'Ermitte; le Roy Francois I aima l'admiral de Bonniuet pour la gentillesse de sa personne; Henri II esleua Montmorency pour son courage; et Charles IX tint le Mareschal de Recz pour sa bonne conduitte. Heny III agrandit d'Espernon pour son esprit; Henri IV le Duc de Sully pour l'instrument de ses desseins. Louis XIII se trouua obligé, pour le bien de son royaume, de se confier au cardinal de Richelieu. Voilà, Monsieur, vn petit abrégé des fauoris, mais grands hommes, et s'il les faut considérer par les grandes et importantes affaires qu'ils ont adrettement et généreusement démeslées. Vous auoüerez auec moy que vous auez bien manqué en toute vostre conduite; et il vous estoit autant facile de vous maintenir en l'estat que vous vous estes trouué après la mort du grand Armand, qu'il est aisé à vn fils de famille de se conseruer le repos dans vne grande succession que son père luy auroit laissée.

Du temps de Charles VIII, François, duc de Bretagne,

se laissa posséder par vn Tailleur nommé Landais, auquel les Grands du païs firent faire le procez. l'ay grand peur que cet exemple ne vous touche; et l'historien qui en escrit, dit qu'il estoit fin Tailleur. On peut dire de vous que vous estes vn fin Lapidaire ou Tailleur de Diamans; et parmy les plus grandes affaires de l'Estat, importantes à faire, l'Abbé Mondin ou Lescot 'suruenant, vous les attiriez dans le plus secret de vostre cabinet, et laissiez-là le Courrier et l'Ambassadeur dans vostre anti-chambre se iouer auec vos singes, pendant que vous visitiez l'escrin de vos diamans. On sçait que l'an passé vous enuoyastes Lescot en Portugal auec des lettres de change pour plus de trois millions de liures, et des lettres de créance pour autant d'argent qu'il en faudroit pour achepter ce qu'il auroit trouué à Lisbonne. Mais ces bassesses ne nous arrestent pas. Il y a tousiours quelque chose en l'homme de foible; et les plus grands personnages ont tousiours eu quelque chose qui les ont fait remarquer pour n'auoir pas toutes les perfections de l'esprit. Vous estes venu en France la première fois en assez menu équipage, si vous vous souuenez qu'au voyage de Nancy, n'ayant pu trouuer de giste, vous fustes contraint de coucher dans le carosse du feu Mareschal de Schomberg; et le lendemain matin, les cochers le voulant mettre en estat de marcher, vous éueillèrent assez rudement. Ie vous dis cecy en passant, afin de vous faire voir que l'on vous connoist. Vostre condition est si releuée dans Rome qu'il me souuient qu'vn honneste homme écriuant de Rome à Paris, à vn sien amy, le querelloit de ce que de Paris il ne luy auoit pas mandé que vostre

Voir plus bas le Courrier du temps, etc.

mère estoit morte à Rome, où on ne la connoissoit presque point'.

Ie ne sçaurois laisser passer vostre témérité. Quand vous auez voulu entreprendre sur la liberté de Messieurs du Parlement, vous auez bien manqué d'adresse en ce rencontre. Vous croyiez peut-estre que c'estoient des iuges de la rotte de Rome que la pourpre d'vn cardinal éblouit. Leur pourpre esclatte bien d'auantage; et vous deuez vous ressouuenir d'vn certain mot que vous dist vn iour Bautru; lorsque vous voyiez qu'il faisoit tant d'honneur à vn Conseiller des Enquestes et lui en demandiez la raison, il vous dit qu'il flattoit le chien qui le pourroit mordre quelque iour. Pensez-vous qu'il soit Prophette? Il y a bien des chiens dans la meutte qui le prendront bien-tost aux fesses; mais puisque nous sommes sur ce propos, que pensez-vous que le Parlement fasse de vos Conseillers qui vous ont si bien conduit? on peut bien dire que les oublieux vous ont conduit dans le précipice, quelque bonne lanterne qu'ils ayent pû auoir; mais ils se sauueront, ces matois; et vous, vous y périrez.

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Consultez maintenant vostre Conseil; vous en auez autant besoin que iamais. L'Arrest du Parlement du 8 Ianuier n'est pas grande chose, à ce que vous dites; cassez-le par vn Arrest du Conseil d'en haut. Certainement vn Guénégauden parchemin préuaudra sur vn Guyet; mais on dit que ce n'est pas à présent; ou du moins sera t'il aussi bien exécuté que celuy qu'on publia

1 Le Courrier du temps dit la sœur de Mazarin.

2 Tallemant des Réaux a recueilli cette anecdote dans ses Historiettes * Qui ordonne au cardinal Mazarin de sortir du royaume.

Secrétaire d'État.

" Greffier du parlement.

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à Poissy ces iours passez, portant défenses de vendre aucun bestial sur peine de la vie1. Il est vray qu'il fust obéy en ce point; mais les marchands débitèrent leurs marchandises à la Chaussée; et par ainsi, Paris n'a point manqué de son ordinaire; et vostre dessein de l'affamer n'a pas bien réussi. Sçauez-vous bien que i'ay désabusé beaucoup de personnes qui disoient que vous auiez plusieurs biens en France, et que la maison que vous auez derrière le Palais Cardinal, estoit de grand prix ? il est vray qu'il y a du trauail pour de grandes sommes; et il est très-aisé d'acquérir du bien à ce prix-là. Celuy qui l'acheta de M. le Président de Duret vous passa vn bail de six mil liures; et pour faire quelques accomodemens pour vous, il fit quelques auances dont il fit des parties; et comme l'appétit vient en mangeant, vous ordonnastes vne gallerie à Pasques; en sorte que de toute la despense qui a esté faite, vous la deuez toute entière. Plusieurs marchands de cette ville ont esté pipez par ceux qui se meslent de vos affaires. Vous me direz que la pluspart des grands Seigneurs font de mesme. Il est vray, si c'est par cette action que vous voulez faire voir votre Eminence; car ie ne voy en vous ny en vostre esprit rien d'éminent pour tout. On ne doute pas que quinze iours auant le despart du Roy, pour fauoriser la sortie de vos meubles hors de cette ville, vous fistes courir le

1 « Le mesme 10ur (8 janvier) les Bouchers estant à Poissy au marché, leur fut signifié vn Arrest rendu par le Chancelier, par lequel défenses leur estoient faites d'achepter aucun bestial pour mener à Paris,... nonobstant lesquelles défenses, la Ville ne laissa d'estre pourueue suffisamLe Courrier françois [830], 1re arrivée.

ment. >>

2 Duret de Chevry, président au parlement de Paris. Il y a là une erreur. La maison appartenait au président Tubeuf qui la vendit à Mazarin moyennant six cent mille livres. Voir Arrest de la cour de Parlement donné en faueur des créanciers du cardinal Mazarin, etc. [300]

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