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nourri Paris contre les espérances de nos ennemys

mesmes.

Nonobstant tout cela, il faut que ces Messieurs raillent, et que par vne lasche ingratitude ils mettent en compromis l'honneur de ceux qui leur ont sauué et l'honneur et la vie. Ignorent ils que c'est à la modération de nos Généraux et du Parlement qu'ils doiuent leur salut? et que s'ils eussent eu le moindre désir de vengeance, tout estoit perdu pour eux? Mais il est temps de venir à nostre histoire; et faisons voir comme la bonté a encore vne fois triomphé de l'ingratitude, l'innocence de la calomnie, la modération de l'insolence et Paris de ses ennemys.

Monsieur de Beaufort ayant ouy dire que ces Messieurs faisoient quelques petits discours de raillerie des Frondeurs de Paris, comme ils les appellent, qu'ils les mettoient sur le tapis dans leurs festins, et aiguisoient leurs beaux esprits auec la chaleur du vin à inuenter des termes picquants et railleurs pour contenter en quelque façon le despit qu'ils ont d'auoir chié dans leur bonnet; Monsieur de Beaufort, sans s'esmouuoir beaucoup sur le champ, apprit, quelques iours après, qu'ils deuoient souper splendidement chez Renard'. Faisant semblant d'aller au Cours (car la maison de Renard est scituée sur le chemin), Monsieur de Beaufort demande : Qui soupe ceans? On luy dit qu'il y auoit Monsieur de Candale, Monsieur de Souuray, Monsieur de Gerzé, Monsieur du Frottoir, Monsieur de Saint Maigrin, le Commandeur du Iars, Monsieur Bautru et quelques autres

'La maison de Renard était au bout du jardin des Tuileries, à peu près à l'endroit où se termine aujourd'hui la terrasse des Feuillants.

qu'on ne pust nommer1. Monsieur de Beaufort ayant recognu que sa cabale estoit là, monte fort froidement accompagné de Monsieur le Duc de Retz, de Monsieur de La Motte Houdancourt et de quelques autres Seigneurs de marque. Entrez qu'ils furent dans la chambre, Monsieur de Beaufort et les autres saluèrent la compagnie du costé qu'estoit assis Monsieur de Candale; et à l'autre on remarqua que quatre ou cinq ne se mirent pas dans leur deuoir. Cela ne fit pas mal au dessein de Monsieur de Beaufort que la ciuilité auroit peut estre destourné. Il dit d'abord, iettant premièrement les yeux sur ces quatre Messieurs qui auoient peur d'engraisser leurs castors, et puis vers Monsieur de Candale et les autres : « Vous auez là quatre grands coquins à vostre table. » Ces paroles prononcées d'vn ton Martial et d'vn air menaçant, ietta la glace dans les entrailles de toute la compagnie, quoyqu'échauffez de la bonne chère et du vin puissant. Chascun tascha de se saisir de son espée; et ce qui fit rire Monsieur de Beaufort, fut l'empressement de du Frottoir qui se saisit d'vne espée, de mesme que s'il s'en pouuoit seruir. Monsieur de Beaufort l'enuisageant d'vn souris dédaigneux et mesprisant : « Ma foy, tu aurois meilleure grâce à tenir vn cornet et piper le dé, comme tu fais tous les iours, qu'à te saisir d'vne espée dont ie crois que tu aurois peine à te seruir. »

Monsieur de Beaufort à qui la présence d'esprit ne manque iamais, dit à Monsieur de La Motte Houdancourt: << Monsieur, ie vous prie, ayez soin de mon Cousin

'L'auteur de la Soupe frondée nomme, avec Gersay, Candale, SaintMégrin, Vigneul, Manicamp, du Frétoy et Boutteville.

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La Motte Houdancourt, Brissac, Fontrailles et Fiesque (la Soupe frondée).

(c'estoit le Duc de Candale). Ie suis marry qu'il s'est rencontré en si mauuaise Compagnie. Ce n'est pas à luy que nous en voulons. » Cela dit, il prit le coing de la nappe qu'il ne renuersa qu'à demy, soit qu'elle fust trop bien couuerte, ou que le Prince se contenta de témoigner médiocrement son mespris selon sa modération ordinaire. Pour moy, ie veux croire qu'ils doiuent beaucoup d'obligation à la présence de Monsieur de Candale. D'autres disent que Monsieur de Beaufort les railla assez plaisamment et qu'il dit à Monsieur de Candale et aux autres du party ciuil : « Messieurs, ie m'estonne que vous n'ayez pas icy les vingt-quatre violons. Vostre chère n'est pas complète; mais en voilà quatre ou cinq qui les valent bien. » Ie crois que ces Messieurs se fussent souhaité bien loin de là et qu'ils eussent voulu n'auoir jamais raillé les Frondeurs.

Monsieur de Beaufort se contenta de leur auoir fait l'affront et leur dit en se retirant : « Messieurs, vous apprendrez vne autre fois à mieux parler. » Cela leur fit perdre l'appétit. Toutes les viandes leur semblèrent mal assaisonnées; et ils deschargèrent toute leur mauuaise humeur sur le cuisinier, à qui ils auoient donné des louanges au premier seruice. Il y en eut vn de la Compagnie qui dit qu'il n'y auoit pas de quoy rire et que ce n'estoit pas vn temps de s'ammuser à manger, que le procédé de Monsieur de Beaufort ne leur promettoit rien de bon, que le peuple qui estudie ses sentimens et qui espouse si ardemment ses intérests, pourroit changer la farce dans vne tragédie, si cela venoit à leurs oreilles et que Renard y pourroit bien perdre sa vaisselle d'argent et eux leurs oreilles. On approuua ce conseil; et ces Messieurs, sans plus tarder, se retirèrent doucement chez

eux et partirent le lendemain, quelques vns disent le soir mesme, pour la Cour, pour leur faire sçauoir que quoy que les vingt-quatre violons ne soient pas à Paris, on ne laisse pas d'y faire très bien danser la courante qu'on appelle la Mazarine.

Monsieur de Beaufort alla coucher chez les Preud'hommes pour estaindre dans le bain la noble chaleur que toute sa vertu auoit eu peine de contenir à la présence de ses ennemys. Toute la nuit, trois Mareschaux de France firent la patrouille par Paris, crainte qu'il n'arriuast quelque désordre; et le lendemain le Préuost des Marchands et quelques Escheuins furent chez Monsieur le Chancelier pour lui témoigner que les Bourgeois ne faisoient que se rire de cela, que là où Monsieur de Beaufort auroit de l'aduantage, il ne faut rien craindre, mais qu'ils le prient de faire en sorte qu'on recommande bien à la Cour de ne point esueiller cette grosse beste qui commence désià à s'assoupir, en remonstrant que le moyen de la gagner, c'est de la caresser et non pas la picquoter à tous momens.

Le Courrier du temps apportant ce qui se passe de plus secret en la cour des princes de l'Europe [825]'.

(17 juillet 1649.)

De Dantzic du 23 iuillet 1649.

Nicolas Canasille, consul de la nation françoise en ceste ville, a receu plusieurs ballots de draperies de laines et de soyes, castors et toilles fines qui lui ont esté enuoyées par le Cardinal Mazarini sous l'adresse du Comte de Bregi Flexelles, Ambassadeur près de sa Maiesté Polonnoise, afin d'esuiter par l'adueu que cet Ambassadeur en fait, le payement des droits de Tole. Elles ont esté bien vendues à des marchands de Varsau, Crakau et Léopol. Ledit Nicolas Canasille a employé la plus grande partie de l'argent qui en est prouenu, en Martres Zibellines, Renards noirs et autres fourrures exquises et en vn seruice tout entier d'ambre blanc qu'il renvoye audit sieur cardinal auec quelques autres raretez de ce pays, sur lesquelles il fera vn profit notable. L'Évesque de Varmie, cydeuant Ambassadeur extraordinaire en France, en ayant esté aduerty, les a voulu faire saisir pour se rembourser de la somme de dix mille tallers (thalers) dont il fust trompé par le Cardinal Mazarini

1 Il est de Fouquet de Croissy, conseiller au parlement de Paris, l'un des plénipotentiaires français à Munster, grand frondeur et partisan du prince de Condé jusque chez l'Espagnol. Guy Patin avait un goût particulier pour ce pamphlet dont il parle en plusieurs endroits, de ses Lettres.

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