peut dire qu'il recueillit ainsi les premiers rayons. Cette admiration réciproque tourna tout entière à l'avantage de l'affaire en question. M. Colbert conçut pour M. Le Brun une considération et une amitié parfaites, et qu'il lui garda toujours depuis. M. Le Brun cultiva ces dispositions comme il le devoit; et, entrant plus avant sur ce qui regardoit la situation et les besoins de l'Académie, il convainquit M. Colbert de la nécessité d'une nouvelle et solide réformation. Ce ne fut pas tout: il lui prouva que, pour rendre cette réformation véritablement salutaire à l'Académie, il falloit qu'il l'appuyât lui-même en acceptant pour cet effet la place vacante de vice-protecteur. Après avoir bien pesé et discuté ce projet, il mit M. Colbert au point de lui promettre que, si elle lui étoit offerte, il ne la refuseroit pas. M. Le Brun ne s'ouvrit de tout ceci à qui que ce fût, hormis à son fidèle ami Testelin. Ils convinrent ensemble que, pour s'assurer l'entière réussite de cette affaire, il falloit continuer de la traiter dans le plus grand secret. Les députés nommés par l'Académie pour aller à M. le chancelier faire la politesse convenue au sujet du vice-protectorat avoient cependant donné avis de la chose à M. Ratabon, et l'avoient prié Ide vouloir bien leur marquer le où il se temps pourroit trouver à Fontainebleau, pour s'y mettre à la tête de la députation. M. Ratabon leur avoit donné son jour. Les uns l'y attendoient; les au- suffirent pour déterminer cet arrangement. M. le chancelier promit de l'annoncer à la députation comme une chose singulièrement convenable. M. Le Brun le pria de vouloir bien déclarer ce choix comme de lui-même et de son propre mouvement, ce qu'il promit encore. Les raisons qui devoient engager à adopter cette tournure étoient assez frappantes pour que l'on ne crût pas devoir s'y étendre ni appuyer trop dessus. Cette affaire ainsi arrangée, M. Le Brun et M. Testelin cherchèrent à rejoindre les autres députés, tant ceux avec lesquels ils étoient venus que ceux qui les attendoient à Fontainebleau. L'on rencontra ceux-ci dans les appartements; les autres ne se retrouvèrent qu'assez long-temps après. Ils arrivoient de l'hôtel de M. le chancelier, où ils avoient été d'office pour demander l'heure qu'il lui plairoit donner audience à la députation. M. le chancelier leur avoit fait dire que ce seroit à l'issue de son dîner; en sorte qu'ils n'étoient pas peu embarrassés, vu le peu de temps qu'il leur restoit. Comment faire pour rassembler tout leur monde, et surtout pour avertir et pour avoir M. Ratabon? Leur embarras étoit fondé. M. Ratabon étoit par la ville, et ne put être joint assez à temps pour pouvoir se rendre à l'audience indiquée; ainsi elle manqua. L'on en demanda et l'on en obtint une autre pour le jour suivant. Le lendemain donc à la même heure M. Ratabon se rendit avec la députation chez M. le chancelier. Après lui avoir présenté les députés, il se mit en devoir de lui exposer le sujet de leur commission. M. le chancelier l'interrompit tout court et presque à la première phrase, en lui disant : <«< Oui, ces messieurs demandent M. Colbert pour leur vice-protecteur. Je le veux fort, et le servirai volontiers en cela en tout ce que je pourrai. » Ces mots frappèrent tous les députés d'une surprise sans égale, surprise qui ne porta pas moins, quoique par des raisons fort différentes, sur les deux qui étoient au fait que sur les autres qui ne l'étoient pas. Mais ce fut surtout M. Ratabon qui en futdans un étrange saisissement. Pâle, déconcerté, hors d'état de proférer une seule parole, il se retira de la présence de M. le chancelier sans savoir à peine ce qu'il faisoit. Arrivé dans l'antichambre, il exhala avec beaucoup de vivacité son ressentiment et sa colère. Il traita d'action indigne la dissimulation dont on avoit usé avec lui dans un fait aussi important et aussi capital. M. Le Brun fit en vain tous ses efforts pour l'adoucir et pour donner un tour qui lui pût paroître moins choquant aux paroles de M. le chancelier. Rien ne put calmer son émotion et son dépit, et il ne put jamais se rendre assez le maître de soi pour vouloir conduire la députation chez M. Colbert, quelques prières qu'elle lui en pût faire. Il la quitta brusquement, en disant qu'elle pouvoit s'y aller présenter sans lui, et qu'il verroit M. Colbert en son particulier lorsqu'il le jugeroit convenable. Après l'avoir quittée, il continua de donner carrière à son déplaisir, et avec si peu de ménagement, qu'il fut cause du bruit qui se répandit dans le château qu'il étoit disgracié, et qu'on venoit de lui ôter avec beaucoup de désagrément la direction de l'Académie. M. Le Brun fut véritablement fâché de ce contretemps. Il ne savoit guère à quoi l'attribuer, après l'espérance que lui avait donnée M. le chancelier de s'expliquer devant la députation sur un ton tout différent. Celui qu'il avoit jugé à propos de prendre pouvoit après tout être l'effet de quelque raison intérieure et particulière. Peutêtre ce tendre père des arts et de l'Académie, sensible à la façon dont M. Ratabon en usoit avec elle, avoit-t-il jugé que c'étoit là le vrai moment et le meilleur moyen de l'en punir. Quoi qu'il en fût, les députés, revenus un peu de l'espèce de perplexité où les avoit jetés cet incident, s'en consolèrent sans beaucoup d'effort par les espérances qu'ils conçurent d'un choix si heureux, et dont, sur la belle réputation de M. Colbert, chacun s'appliquoit par avance une portion des avantages que notre compagnie en a recueillis depuis. |