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pour le décevoir : « Sire! le Roy vous mande que sans délay venez devers lui et qu'il a à parler à vous hastivement, et pour chose qui grandement touche à lui et à vous. » Lequel duc, oyant le mandement du Roy, icellui voulant acomplir, combien que le Roy riens n'en scavoit, tantost et incontinent monta dessus sa mule, et en sa compaignie deux escuiers sur ung cheval', et quatre ou six varlez devant et derrière, portans torches. Et ses gens, qui le devoient suivir, point ne se hastoient; et aussi il y estoit alé petitement acompaigné, non obstant que pour ce jour avoit dedens la ville de Paris, de sa retenue et à ses despens, bien six cens, que chevaliers que escuiers. Et quant il vint assez près de celle porte Barbète, les dix-huit hommes dessusdiz, qui estoient couvertement armez, l'actendoient auprès d'une maison. Si faisoit assez brun pour ceste nuit. Et lors incontinent, iceulx, meuz de hardie et oultrageuse voulenté, saillirent tous ensemble à l'encontre dudit duc, et en y eut ung qui s'escria : « A mort! à mort! » et le féry d'une hache, tellement qu'il lui coppa le poing tout jus. Et adonc, ledit duc, voiant celle cruelle entreprinse ainsi estre faicte contre lui, s'escria assez hault : « Je suis le duc d'Orléans! » Et aucuns d'iceulx respondirent, en férant sur lui : « C'est ce que nous demandons! » Entre lesquelles paroles la pluspart d'iceulx recouvrèrent et preste

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1. C'était une habitude du temps, non-seulement qu'un cavalier prit une dame en croupe, mais aussi que deux cavaliers montassent un même cheval. On sait que le sceau des Templiers représente deux chevaliers montés ainsi sur un seul cheval.

2. La pluspart d'iceulx recouvrèrent, se découvrirent: sortirent du lieu où ils s'étaient jusqu'alors tenus cachés.

ment par force et habondance de corps fut abatu jus de sa mule, et sa teste toute escartelée, en telle manière que la cervelle chey sur la chaussée; et là, le retournèrent et renversèrent, et si très terriblement le martelèrent, que là présentement fut mors et occis très piteusement. Et avecques lui fut tué ung jeune escuier, alemant de nacion, lequel autrefois avoit esté son page, et lequel, quant il vid son maistre abatu, il se coucha sur lui pour le cuider garantir, mais riens ne lui valut. Et le cheval qui devant lui aloit, à tout les deux escuiers' devantditz, quant il sentit ces saquemans armez emprès lui, commença à ronfler et avancer. Et quant il les eut passez, il se mist à courre, et fut grant espace que ceulx qui estoient sus ne le porent retenir. Et quant il fut arresté, ilz virent ladicte mule de leur seigneur qui toute seule couroit après eulx, si cuidèrent qu'il feust cheu jus; et pour ce, la reprindrent.ilz par le frain pour la ramener audit duc. Mais quant ilz vindrent près de ceulx qui l'avoient occis, ilz furent menacez, en disant que se ilz ne s'en aloient, ilz seroient mis en tel point comme leur maistre. Pour quoy, iceulx voians leur seigneur estre ainsi mis à mort, le laissèrent, et hastivement s'en alèrent à l'ostel de la Royne, crians le murdre! Et ceulx qui avoient occis ledit duc, commencèrent à crier à haulte voix : « Le feu ! le feu ! » Et avoient leur fait par telle voie ordonné, que l'un d'eulx, tandis que les autres faisoient l'omicide dessusdit, bouta le feu dedens icellui. Et puis, les ungs à cheval, les

1. Voy. la note de la page précédente.

2. Ici le ms. Suppl. fr. 93, ajoute, comme il est nécessaire par ce qui suit, les mots : en leur hostel.

le

à

autres à pié, s'en alèrent hastivement où ilz porent mieulx, en gectant après eulx chaussetrapes de fer1, afin qu'on ne les peust suivir ne aler après eulx. Et, comme la renommée et fame courut, aucuns d'iceulx alèrent à l'ostel d'Artois, par derrière, à leur maistre, le due Jehan de Bourgogne, qui ceste œuvre leur avoit [fait] faire et commandée, comme depuis publiquement il confessa, et lui racomptèrent ce qu'ilz avoient fait, et après, très hastivement, mirent leurs corps saulveté. Et fut le principal conducteur de ce cruel homicide, ung nommé Raoulet d'Actonville 3, de nacion normant, auquel paravant, le duc d'Orléans avoit fait oster l'office des généraulx, duquel le Roy l'avoit pourveu à la prière et requeste du duc Phelippe de Bourgongne defunct. Et pour ce desplaisir, advisa ledit Raoulet manière comment il se pourroit venger d'icellui duc d'Orléans. Ses autres complices avecques lui furent Guillaume Courteheuse et Thomas Courteheuse, devant nommez, nez de la conté de Guines, Jehan de La Mote, et plusieurs autres jusques au nombre dessusdit.

Et environ demie heure après, ceulz de la famille

1. Les chauce-trappes étaient des espèces d'étoiles de fer, écartées et disposées de manière à ce que l'une d'elles conservant toujours la perpendiculaire, estropiait nécessairement les hommes ou les chevaux qui la rencontraient.

2. Situé rue Mauconseil, comme nous l'avons déjà dit,

3. Raoul d'Auquetonville. On le trouve écrit de cette manière dans une liste de chevaliers et d'écuyers qui reçurent le 1er mai 1400 des houppelandes à la livrée du roi. On remarque dans la même pièce le nom d'un Jean d'Auquetonville, sans doute son frère. Tous deux étaient écuyers. Vov. nos Pièces justificatives.

dudit duc d'Orléans', quant ils oyrent nouvelles de la mort et occision de leur seigneur, tant piteuse, tous pleurèrent, et griefment au cuer courroucez, tant les nobles comme non nobles, accoururent à lui, et là, le trouvèrent mort sur les quarreaulx. Auquel lieu y eut grandes lamentacions et regrets des chevaliers et escuiers de son hostel, et généralement de tous ses serviteurs, quant ils virent son corps ainsi navré, mort et détranché. Et lors, comme dit est, en très grande tristesse et gémissement le levèrent et le portèrent en l'ostel du seigneur de Rieux', mareschal de France, qui près de là estoit. Et tost après icellui corps, couvert d'un blanc linseul, fut porté près d'ilec en l'église de Saint-Guillaume, assez honnorablement, car c'estoit la plus prouchaine église du lieu où il avait été occis. Et tantost après, le roy de Cécile, lors estant à Paris, et plusieurs autres princes, chevaliers et escuiers, oyans la nouvelle de si cruelle mort comme du seul frère du Roy, en telle manière, en la ville et cité de Paris perpétrée, en grans pleurs le vindrent veoir en ladicte église. Si fut mis ledit corps en ung sarcus de plonb, et le veillèrent les religieux de ladicte église toute la nuit en disant vigiles et psaultiers; avecques lesquels demourèrent ceulx de sa famille. Et lende

1. Ses gens, ses serviteurs, amis et clients (Familia).

2. L'hôtel de Rieux était situé dans la Vieille rue du Temple, à peu près devant le marché actuel de Sainte-Catherine, et aboutissait par derrière à la rue des Singes. Voy. le Mém. de Bonamy.

3. C'est l'église des Blancs-Manteaux. A l'époque qui nous occupe c'était un prieuré de Guillemites, religieux suivant la règle de saint Benoît et qui s'étaient d'abord établis à Montrouge. On les appelait Blancs-Manteaux, à cause de la couleur de leur habit.

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main, bien matin, fut par ses gens trouvée la main dudit duc et partie de sa cervelle, sur les quarreaulx, laquelle fut recueillie et mise ou sarcus avecques le corps. Et tost après, tous les princes estans oudit lieu de Paris, excepté le Roy et ses enfans, c'estassavoir le roy Loys de Cécile, le duc de Berry, le duc de Bourgongne, le duc de Bourbon, le marquis de Pont, le conte de Nevers, le conte de Clermont, le conte de Vendosme, le conte de Saint-Paul, le conte de Dampmartin, le connestable de France, et plusieurs autres, tant gens d'église comme nobles, avecques grant multitude du peuple de Paris, vindrent tous ensemble à ladicte église de Saint-Guillaume. Et là, les principaulx de la famille dudit duc d'Orléans prindrent son corps avecques le sarcus, et le mirent hors de ladicte église, et avec grand nombre de torches allumées, lesquelles portoient les escuiers dudit duc defunct. Et a chascun côté du corps, estoient par ordre, faisans pleurs et grans gémiscements, c'estassavoir, le roy Loys, le duc de Berry, le duc de Bourgongne et le duc de Bourbon, chascun d'eulx tenant la main au drap qui estoit sur le sarcus. Et après eulx, estoient par ordonnance, chascun selon son estat, les princes, le clergé, les barons, tous recommandans son âme à Dieu son créateur, et le portèrent en celle manière jusques à l'église des Célestins. Et là, après son service fait très solennellement, fut enterré très honorablement en une chapelle très excellente, laquelle il avoit fait faire et fonder. Et après icellui service fait et accompli, les princes dessusdiz et tous les autres, s'en retournèrent chascun en son hostel. Si estoient en grant souspecon de savoir la vérité du dessusdit homicide ainsi fait sur

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