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les campagnes, des serpens redressant au soleil leur tête engourdie par l'hiver, ou des loups affamés qui rôdent autour des bergeries. Mais j'ai pensé aussi qu'il existe des homines aux yeux desquels les études fondamentales ne sont pas un sujet de risée, et j'ai cru d'ailleurs qu'il serait possible de raviver les formes antiques, de rajeunir des images surannées, en les mettant en harmonie avec le langage et les habitudes de cette époque.

J'aurai mérité du moins quelque estime pour mes incroyables efforts. J'ai tout fait pour être sans reproche aux yeux du public et aux miens. C'est peu d'avoir consacré à ce travail de longues et pénibles études, d'avoir feuilleté et compulsé tous les traducteurs (*), tous les commentateurs et interprètes, depuis Servius, qui vivait sous l'empereur Théodose, jusqu'à M. Tissot, qui vit sous le roi Philippe; j'ai voulu de plus soumettre mon

(*) Voir la note qui suit la préface.

œuvre aux hommes de notre époque, chez qui le goût le plus exquis se mêle à la plus profonde érudition; je leur ai fait part de mes doutes, de mes scrupules; j'ai recueilli leurs conseils et leurs annotations; enfin j'ai tout tenté pour rendre mon œuvre la moins imparfaite que possible, et je le répète, tant de peines valent bien le salaire d'un encouragement. Je saurai bientôt si mes tentatives ont été infructueuses. Mais quand bien même le succès me serait acquis, tout en éprouvant quelque joie d'avoir surpassé mes devanciers, je ne m'abuserais pas sur la faiblesse de mon œuvre; l'aspect de Virgile me ramènerait à des idées d'humilité; je déclarerais toujours à haute voix qu'il n'est pas donné aux modernes d'égaler ce géant antique; je reconnaîtrais que je n'ai pu marcher après lui que comme le jeune Iule à côté d'Énée, et je garderais pour éternelle épigraphe celle qui convient à tout traducteur de Virgile : NON PASSIBUS ÆQUIS!

NOTE

DE LA PRÉFACE.

Les principales nations de l'Europe, les Russes mèmes, se glorifient d'une traduction de l'Énéide. J'ai cité celles de Voss et Neuffer chez les Allemands. Les Anglais estiment beaucoup celle de Dryden, qui n'a pas le mérite de la concision; et Annibal Caro est prodigieusement exalté par les Italiens; mais la France possède à elle seule plus de traductions que toutes ces nations réunies, ce qui prouve qu'il n'en existe aucune de bonne, ou du moins qu'il n'en existe qu'une seule. La plus ancienne de toutes que je connaisse, est celle de

Saint-Gelais, évêque d'Angoulême, que son auteur dédia à Louis XII vers l'an 1500. On sera peut-être bien aise de retrouver ici le style de ce prélat et celui de son siècle. Voici le début : Arma virum, etc., etc.

J'ay entrepris de coucher en mes vers
Le cas de Troye, qui fut mise à l'envers.
Les batailles et armes qui se firent
Pour les Grégeois qui jadis la défirent,
Et de traitter aussi par mes escrits
Qui fut celui après tels plaints et cris,
Qui premier vint de Troye démolie,
Prendre séjour au païs d'Italie,

Et il fuitif par le vouloir des Dieux
En Lavinie vint élire ses lieux :

Jaçoit pourtant qu'ennuy et forte guerre,

Lui fit fortune et par mer et par terre,

Et que Juno, qui de lui se douloit,

Fit empêcher d'aller où il vouloit, etc., etc., etc.

On ne peut remarquer dans cette étrange version qu'une grande richesse de rimes, qualité ou recherche commune aux poètes du xvi° siècle et du suivant.

Louis Desmazures, qui parut sous François I", marcha sur les traces de Saint-Gelais, mais avec plus de respect pour le texte. Aucun progrès ne se fait remarquer depuis, ni chez Pierre Tredehan, imprimé en 1575, ni chez les frères d'Agneaux, Robert et Antoine, qui dédièrent leur livre à Henri III en l'année 1582. Pour

s'en convaincre, il suffit d'opposer le début de ces

derniers à celui de Saint-Gelais déjà cité :

Mais dores-enavant effroyables de Mars,

Et les armes je chante, et l'homme qui de toute
La coste d'Ilion tint la première route;

Par destin vagabond en Italie aux bords

Du païs Lavinois il eut d'étranges sorts, etc., etc., etc.

Je ne parlerai ici ni de Joachim Dubelay, ni du cardinal Duperron, ni de la demoiselle de Gournay, ni de Bertaut, qui n'ont donné que des fragmens de l'Énéide.

Le premier qui, l'an 1665, en publia une traduction raisonnable et même lisible, est messire Perrin, qui a soin de mettre en titre : L'Énéide de Virgile, FIDÈLEMENT TRADUITE. En effet il a justifié cette prétention, et l'on trouve chez lui çà et là des vers rendus avec exactitude et bonheur d'expression.

On a beaucoup décrié la traduction de Segrais; on pouvait se contenter de le voler sans en médire. Je déclare que j'ai rencontré dans son Énéide plusieurs morceaux du plus haut talent, et une infinité de vers traduits avec autant d'élégance que de fidélité. Ses notes surtout, et sa préface, sont généralement remarquables

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