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Mais les moyens les plus louables dans leur principe et pour leur objet peuvent dégénérer et tourner en abus. C'est ce qui arriva à l'occasion de ces brevets de nos rois. A force d'être prodigués, ils perdirent leur véritable prix, qui consistoit en cette idée de distinction qui les relevoit dans leur origine, et qui seule pouvoit flatter un homme qui exerçoit son art avec honneur et avec sentiment. En effet, il ne falloit plus ni capacité ni mérite pour les obtenir; il suffisoit, pour en être pourvu, d'avoir accès auprès de quelque favori ou de quelque ministre, ou seulement d'être un peu bien voulu de quelque officier des bâtiments. Les uns et les autres en gratifioient, sans choix et sans discernement, les maîtres les plus médiocres et jusqu'aux plus vils artisans. Ainsi en peu de temps cette troupe nombreuse de privilégiés ne devint, aux yeux des véritables gens d'art, guère moins méprisable que leur étoit celle des maîtres et des jurés.

En cet état la peinture et la sculpture se divisèrent comme d'elles-mêmes, et formèrent trois classes distinctes et séparées. L'une de ces classes étoit composée de la communauté des maîtres et des jurés, cabale basse et avide, uniquement occupée à étendre l'autorité que depuis plus de deux siècles elle exerçoit, pour le malheur et la désolation des arts. L'autre étoit formée par cette multitude de privilégiés qui, à l'abri de leurs brevets de faveur,

ou de quelque logement dans les maisons royales, cherchoient à s'assurer une indépendance que les jurés depuis long-temps méditoient de leur enlever. La troisième réunissoit en soi un nombre peu considérable d'hommes supérieurs, véritables gens d'art par la beauté et l'élévation de leur génie, la richesse de leurs talents, la noblesse de leurs sentiments, et par leur amour sincère pour l'accroissement des belles connoissances et la gloire du nom françois. Ils étoient trop jaloux de l'honneur de leur profession pour vouloir qu'il dépendît d'un vain titre qui désormais n'avoit plus rien de flatteur; ils se respectoient trop eux-mêmes pour se soumettre à la domination de gens que, dans l'exercice de leur art, ils auroient à peine estimés dignes de les servir. Le parti qu'ils prirent fut de se retirer sous la sauvegarde des lieux privilégiés et dans d'autres asyles pareils, impénétrables à la jurande. Sa haine et son orgueil en accrurent, et elle ne songea plus qu'à redoubler ses efforts pour accabler ces respectables et uniques soutiens des beaux arts, plus irritée encore de leur mérite que de leur

résistance.

Tel fut l'état où la peinture et la sculpture se trouvèrent en France vers la fin du règne de Louis XIII; cet état étoit trop violent pour pouvoir subsister, et ces arts avoient pris un vol trop élevé et s'étoient acquis une trop grande considération pour

ne point intéresser le souverain lui-même à leur tendre la main, aussitôt que, sur un plan sage et bien concerté, ils s'ouvriroient la seule voie qui pût désormais leur assurer son secours et finir l'oppression sous laquelle ils gémissoient.

Mais, pour les forcer en quelque sorte à rédiger et présenter ce plan, il falloit que leurs ennemis. comblassent la mesure de leurs vexations; et c'est à quoi ils travaillèrent incessamment.

Ils avoient, dès l'année 1620, fait une nouvelle tentative et minuté un nouveau règlement pour. asservir entièrement les arts. L'une des dispositions de ce règlement interdisoit à tous marchands, tant françois qu'étrangers, et à tous autres, la faculté de vendre, échanger ou autrement trafiquer aucun tableau ou autre ouvrage de peinture et de sculpture, et réservoit cette faculté aux seuls maîtres peintres et sculpteurs de la communauté. C'étoit de leur part un trait plein d'astuce que cette disposition qui ne tendoit qu'à investir d'autant et à bloquer, pour ainsi dire, les véritables gens d'art, et qu'à poser de nouvelles entraves pour rendre plus

difficile le débouchement et le débit de leurs ouvrages. Une autre disposition de ce règlement portoit

que nul ne pourroit être reçu maître, et par conséquent exercer librement la peinture et la sculpture dans Paris, qu'il n'eût été sous la discipline et l'apprentissage de l'un des maîtres de la

communauté, l'espace de temps prescrit par les anciens règlements, et qu'en outre il n'eût servi et travaillé sous ce même maître, pendant quatre années consécutives, en qualité de son compagnon. Les jurés eurent le crédit de faire homologuer et registrer cet odieux règlement au Châtelet. La classe des véritables gens d'art ne s'en émut point: elle étoit trop accoutumée aux entreprises hardies et irrégulières des jurés, et étoit dans un trop grand éloignement de toute défense juridique pour en user autrement. Les marchands de Paris se pourvurent en Parlement contre cette nouveauté et y formèrent opposition. L'affaire en demeura là, et les jurés, voyant qu'ils n'avoient pu emporter le point du commerce exclusif, abandonnèrent bientôt l'autre, parce que leur rapacité habituelle et toujours pressée n'y trouvoit pas assez son compte, et qu'au fond ils ne l'avoient hasardé qu'en haine de nos illustres et pour les choquer et insulter gratuitement. Et, en effet, un aspirant à maîtrise, qui se présenta peu de jours après pour racheter à prix d'argent le temps prescrit pour l'apprentissage, fut reçu par ces âmes basses à bras ouverts et en contravention formelle au nouveau règlement.

Enfin le moment arriva où les jurés, à force de fatiguer et d'excéder ces hommes dignes de leur respect et de leurs hommages, parvinrent à les pousser à bout, et à les fixer dans la résolution si né

cessaire de se rallier pour rompre les liens de cette servitude humiliante à laquelle on s'acharnoit à les vouloir réduire, et pour procurer aux arts le rang, la liberté et les secours convenables pour les faire honorer et fleurir, et en assurer à jamais le succès et la gloire. C'est ce qui va être expliqué en détail dans la seconde partie de cet ouvrage.

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