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rares et d'une certaine cherté. Bientôt ces ouvriers se prévalurent de cette circonstance pour commettre une infinité de fraudes, tant par rapport la qualité que sur la quantité de ces matières. Les tribunaux étoient fatigués à l'excès des plaintes qui leur en venoient de toutes parts. Cependant nulle règle certaine, nulle loi pour aider à y statuer. Ainsi ces prévaricateurs exercèrent pendant assez long-temps leurs vexations avec une sorte d'impunité.

Pour obvier à ce désordre, M. le prévôt de Paris fit assembler un certain nombre des plus honnêtes gens d'entre les peintres et sculpteurs de cette capitale. Ce fut l'an 1391, et, de leur avis et consentement, il fit rédiger plusieurs articles de statuts et règlements à l'instar de ceux qui avoient lieu chez les autres corps de métiers de la ville. Il fit élire en même temps des jurés pour gérer la nouvelle communauté, avec pouvoir de faire des visites réglées, d'examiner les matières employées dans les ouvrages en question, de saisir en cas de contravention, poursuivre, etc., et enfin fit établir une maîtrise exclusive pour le fait de peinture et de sculpture et tout ce qui pouvoit y avoir rapport.

Cependant ces arts, dès ce temps-là, non seulement commençoient à figurer en France, mais y avoient déjà fait des progrès assez sensibles. Paris

se voyoit plusieurs sujets qui s'y distinguoient honorablement. Il paroît qu'ils auroient dû s'élever contre un règlement d'une si dangereuse conséquence, et pour eux et pour leurs successeurs. Ils n'en firent rien. Frappés de la nécessité urgente de réprimer et de contenir l'infidélité de ces étoffeurs, doreurs et autres semblables ouvriers, ils crurent devoir faire tout céder à cette considération. Ils ne voulurent pas présumer non plus que la profession honorable de leur art pût jamais devenir l'objet de la discipline servile prescrite les nouveaux statuts.

par

D'ailleurs leur mérite les avoit fait choisir par préférence pour en assurer l'exécution. Les plus considérables d'entre eux exerçoient d'abord la jurande. Ils ne l'exercèrent pas long-temps. L'étude des arts est incompatible avec le tumulte et l'embarras de ces sortes d'emplois. L'autorité qui y étoit attachée flattoit trop peu ces hommes vertueux pour ne la point abandonner avec joie aux maîtres de l'ordre inférieur. Ceux-ci s'en saisirent avec une avidité proportionnée aux vues qui les conduisoient, et ne tardèrent guère à s'en prévaloir. Et c'est ici le commencement et l'époque primitive de cette tyrannique oppression qui a tant troublé nos arts en France et en a tant retardé les progrès.

Car l'une des premières entreprises de ces hommes vains et ignorants fut de s'ériger en juges et

en maîtres de ces mêmes arts dont ils s'étoient vus naguère et dont ils étoient en effet les suppôts très subalternes et très méprisés; l'intérêt sordide qui les animoit les en rendit aussitôt les persécuteurs, et devint une source inépuisable de vexations. Plus de repos, même pour les sujets de la plus haute espérance ou du mérite le plus confirmé. Ce ne furent que saisies, que poursuites, qu'exécucutions, de tous temps inconnues aux beaux-arts. Guerre ouverte surtout contre les étrangers d'une certaine réputation ou d'une certaine capacité qui en venoient chez nous accroître la lumière. Nulle voie pour se rédimer de cette persécution par les frais exorbitants et arbitraires attachés à l'obtention de la maîtrise, et aux paiements desquels il falloit toutefois se soumettre, ou renoncer au séjour de la capitale et à l'exercice des arts.

Et pour perpétuer ces vexations autant qu'il étoit en eux, les jurés usèrent encore d'un autre moyen. En même temps qu'ils rendoient l'admission à leur maîtrise si difficile aux gens de mérite, ils y recevoient leurs propres enfants, et ceux des maîtres leurs adhérents et participés, et cela presque sans frais et sans aucun talent, sans même qu'ils eussent fait ni étude ni apprentissage pour en acquérir, dès leur plus bas âge et très souvent dès le berceau. Par là ils les mettoient à portée d'arriver de fort bonne heure à l'ancienneté et aux charges,

où l'on ne parvenoit plus par la capacité et la vertu, mais selon l'ordre du tableau et celui de la date des réceptions. Par là aussi l'impéritie et l'avilissement prirent tellement le dessus dans la communauté, que bientôt elle tomba dans le dernier mé pris. Le seul nom de peintre parmi le vulgaire devint une espèce d'injure, et il ne fut plus possible que ceux qui étoient véritablement pénétrés de la noblesse et de la dignité des arts où ils excelloient pussent demeurer associés à tant d'ignominie.

Dans cette extrémité, il ne restoit plus d'autre ressource à ces hommes du premier ordre que de se réfugier sous les ailes du souverain, ou que de recourir à la protection des princes et des grands, pour obtenir cette tranquillité qui leur étoit déniée. Le goût pour les arts, qui augmentoit à mesure de leurs progrès, porta plusieurs de ces derniers à recueillir dans leurs palais d'illustres étrangers, qui venoient enrichir le royaume de leurs talents et de leur exemple. Nos rois n'avoient pas attendu que les choses fussent portées à cette extrémité où elles furent poussées avec le temps pour venir aussi au secours de ceux de leurs sujets qui s'élevoient au dessus de nos peintres et sculpteurs vulgaires. Dès l'année 1399, le roi Charles VI avoit accordé à plusieurs d'entre eux l'exemption de tailles, subsides, et charges mécaniques, et notamment celle de

la maîtrise de Paris. Les lettres de ce prince con stitutives de cette grâce, en date du 12 août de ladite année, sont conservées au greffe de la Pré vôté de Paris. Elles furent confirmées et amplifiées par le roi Charles VII, par autres lettres données à Chinon le 3 janvier 1430. Celles-ci ajoutèrent à ces premières l'exemption de tous emprunts, guet et garde, et de toutes charges et servitudes quelconques. Plusieurs autres lettres encore des rois successeurs de ces deux premiers bienfaiteurs des arts sont venues depuis renouveler et confirmer ces titres primitifs, et, entre autres, celles du roi Henri II en date du 6 juillet 1555, et celles du roi Charles IX du mois de septembre 1563. Au reste ces grâces et ces exemptions n'étoient applicables qu'à ceux qui jouissoient de la qualité de peintre ou de sculpteur du roi par des brevets expédiés en bonne forme; d'ordinaire elles étoient rappelées et spécifiées dans le corps de ces brevets.

Personne n'ignore la munificence du roi François I pour toutes les sciences et tous les arts en général, et les honneurs singuliers que ce prince fit rendre et qu'il rendit lui-même à plusieurs célèbres peintres de son temps. Les règnes de Henri IV et de Louis XIII ne furent guère moins favorables à la peinture et à la sculpture, et l'on peut dire qu'il n'y en avoit eu aucun où elles eussent reçu une protection plus abondante et plus générale.

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