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religieux. Le roi étoit de cet ordre; et regardé comme une divinité puis: sante apparoissant sous une forme humaine, il ne devoit pas être traité, même dans son enfance, avec cette légèreté qui n'auroit vu en lui qu'un simple mortel ( liv. 7, sl. 8 ). Mais en même temps il étoit soumis à une responsabilité terrible, et exposé non-seulement à la haine oisive de ses. sujets, mais encore à la perte de son trône et de sa vie ( liv. 7, sl. 46 ). II. étoit chargé d'infliger le châtiment ordonné par la loi, et il faut avouer que la pénalité étoit sévère et même cruelle (liv. 7, 8, 11 et pass. ). Il étoit le protecteur naturel du foible, et sur-tout de la femme, qui, dans cette antique société, ne possédoit point le rang que lui accordent nos sociétés modernes : les Indiens lui reconnoissoient un pouvoir de séduction tel que le sage ne pouvoit qu'avec peine échapper à son empire ( liv. 2, sl. 213 et 214 ); la loi vouloit cependant que les femmes fussent honorées, et promettoit la protection du ciel à celui qui les respectoit ; leur malédic-> tion étoit une calamité pour une maison (liv. 3, sl. 56 et 58 ). Mais, en: revanche, elles devoient à leur mari une vénération que rien ne pouvoit altérer, ni son infidélité, ni ses vices, ni même son impiété (liv. 5, sl. 154). Alors n'existoit point cet usage barbare qui impose aux femmes la nécessité de se brûler sur le bûcher de leurs époux; la veuve se dévouoit à une pieuse austérité, et attendoit, sans attenter à ses jours, le moment où sa destinée devoit la rejoindre à celui qu'elle avoit aimé sur la terre (liv. 5, sl. 169).

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Tandis que les brahmanes et les kchatriyas veilloient à l'instruction du peuple, aux soins des sacrifices ou à la défense de l'état, les vaisyas se livroient aux affaires du commerce et aux travaux de l'agriculture. Les soudras, condamnés à la condition des esclaves, se résignoient à leur sort, avec l'espoir qu'il seroit amélioré dans une autre naissance. Les arts et les manufactures se trouvoient dans un état de prospérité qu'attestent plusieurs. endroits du code de Manou. Non-seulement il est question de ces vases ordinaires de cuivre, de fer, d'étain et de plomb, mais aussi de vases d'or et d'argent (liv. 5, sl. 112, 114; liv. 3, sl. 202). Le roi surveilloit particulièrement l'exploitation des mines. L'amour de la parure et du luxe leur avoit appris à fabriquer des boucles d'oreille en or, à rechercher les: perles, à tailler le diamant, à façonner les pierres précieuses, le corail ; à donner mille formes au bois, à l'ivoire, à la corne, à l'écaille. Si le commerce leur apportoit les châles du Népal, leurs ouvriers leur tissoient des étoffes de soie et de laine, leur préparoient de riches vêtemens, des caftans magnifiques, d'élégans pantalons, de larges manteaux, de légères sandales. Des boeufs, des chameaux, des chevaux, les transportoient dans des voitures artistement travaillées. Leurs loisirs étoient charmés par les sons mé¬

lodieux et savans d'une musique variée, auxquels se mêloient les accens de la voix humaine. Dans leurs fêtes paroissoient des danseurs, des athlètes, des comédiens de toute espèce; on faisoit même combattre des animaux, comme des coqs et des béliers, ce qu'au reste la loi défendoit; et, pour que tous les sens fussent également charmés, l'art avoit aussi perfectionné les parfums (liv. 2, sl. 178, 204; liv. 4, sl. 36; liv. 5, sl. 120, 121; liv. 7, sl. 62; liv. 9, sl. 222, 225, 239; liv. 12, sl. 45). Leur table, chargée de mets variés, étoit égayée par plusieurs boissons fermentées, dont trois entre autres sont remarquables: elles étoient extraites, l'une de la canne à sucre, l'autre du riz, et la troisième des fleurs du madhoùka. Nulle part on ne trouve qu'ils aient connu l'usage du vin ( liv. 3, sl. 268, &c. ; liv. 11, sl. 95).

Mais cette civilisation avoit aussi produit son fruit accoutumé: elle avoit à sa suite amené une foule de vices. Le genre même du gouvernement qui régissoit les Indiens, autorisoit le mal cruel de la superstition. En mille endroits de ce livre perce l'esprit sacerdotal des brahmanes: mais il faut avouer aussi qu'il renferme plusieurs décisions qui, même dans des sujets religieux, sont passablement libérales. D'ailleurs on sait que l'usage des législations orientales est de donner une sanction toute pieuse à de simples préceptes d'hygiène, de propreté ou d'économie domestique.

Tous les désordres qu'enfante le perfectionnement des sociétés se présentoient aussi, dans ces siècles antiques, sous un aspect hideux : les fureurs du jeu, les faux témoignages, l'infamie de la prostitution, la corruption des juges, l'audace des dépositaires infidèles, la turpitude des usuriers, le fléau de l'espionnage (liv. 2, sl. 179; liv. 3, 160 et pass.; liv. 4, sl. 219; liv. 9, sl. 225, 257, 258; liv. 11, sl. 50 et pass. ). Le prince, chargé de débarrasser l'état de tous ces vices, qui en sont comme les épines (liv. 9, sl. 260), se servoit, pour surveiller les méchans, de gens qui, autrefois coupables, s'étoient corrigés, et qui tournoient au profit de la société la funeste science qu'ils avoient jadis malheureusement acquise (ibid. sl. 267, 268). Dans leurs rapports diplomatiques, les agens du roi employoient des signes convenus pour lui faire connoître les desseins des rois étrangers (liv. 7, sl. 67). Chose étonnante, que j'ai déjà fait observer dans les notes sur Sacountala, le service intérieur de son palais se faisoit par des femmes (ibid. sl. 125). La trahison employoit quelquefois des armes cachées dans un bâton creux, des flèches empoisonnées, des dards enflammés: le roi, pour se garantir du danger qu'il auroit pu trouver dans un breuvage perfide, ne prenoit rien que de la main de ses fidèles serviteurs, et méloit à ses alimens ordinaires des substances qui devoient servir d'antidotes ; il portoit aussi certaines pierres auxquelles on attribuoit la vertu

d'anéantir l'effet du poison (ibid. st. 90, 217, 218). La haine superstitieuse croyoit que, par des sacrifices et des charmes, on pouvoit causer la mort d'un ennemi (liv. 11, sl. 64); et des hommes adroits, spéculant sur la crédulité, professoient l'art de lire l'avenir dans les lignes de la main (liv. 9, sl. 258).

Par ces détails, j'ai voulu prouver que, dans le temps où les lois de Manou ont été rédigées, la société indienne étoit loin de se trouver dans Fenfance de la civilisation. Ce doit être un motif de plus pour étudier avec soin ce code curieux que les siècles ont respecté ; et nous devons des actions de grâce au jeune savant qui a consacré ses veilles laborieuses à reproduire cet ancien ouvrage, d'abord dans son texte original, et ensuite dans une traduction qui sera la première que l'on possède encore en français.

M. Loiseleur-Deslongchamps, l'un de nos auditeurs les plus distingués par sa rare intelligence et ses progrès rapides dans l'étude de la langue sanscrite, a entrepris de doter la France d'une édition et d'une traduction des lois de Manou. Deux éditions de cet ouvrage ont déjà été publiées, l'une à Calcutta en 1813, accompagnée d'un commentaire de CoulloûcaBhatta; l'autre à Londres, en 1825, donnée par M. Haughton. Ce professeur a fait aussi imprimer la traduction anglaise que Jones avoit donnée du Code de Manou. Il est fort difficile de se procurer ces ouvrages, et c'étoit un véritable service à rendre aux lettres indiennes que d'en faire une réimpression devenue presque indispensable. M. Loiseleur, en profitant des travaux de ses devanciers, a aussi enrichi son édition de plusieurs variantes que lui ont fournies deux manuscrits de la bibliothèque royale. Tel est le plan qu'il a suivi: le texte occupe 310 pages, et les mots y sont, autant qu'il est possible, séparés pour la plus grande commodité du lecteur; ce qui distingue cette édition des deux éditions anglaises. Ce texte est suivide notes absolument nécessaires dans un ouvrage de ce genre; elles se composent de passages extraits du commentaire de Coulloùca-Bhatta, et de celui de Raghavânanda, qui accompagne un des deux manuscrits de la bibliothèque royale. M. Loiseleur y insère aussi de temps en temps des remarques critiques sur le sens de plusieurs expressions difficiles, et sur certains endroits de la traduction de Jones, dans laquelle il a relevé quelques erreurs. C'est une bonne fortune pour l'éditeur que d'avoir pu trouver en faute le docte Jones dans un ouvrage qui est sa principale gloire. Mais il faut avouer aussi qu'un tel bonheur n'arrive qu'à ceux qui peuvent, comme M. Loiseleur, unir à une science réelle qui est le fruit du travail, une pénétration d'esprit et une sagacité qui sont des dons précieux de la nature (voy. pages 310, 314, 327, 334, 372, 409, 456, 489, 558).

Comme l'éditeur, dans sa scrupuleuse exactitude, se reprochoit quelques imperfections, il a encore consacré plusieurs pages à des additions et corrections. L'ouvrage entier est composé de 576 pages; et ce monument utile, élevé à la gloire de la langue sanscrite, a exigé de M. LoiseleurDeslongchamps autant de courage que de science.

Nous attendons avec impatience la traduction française des lois de Manou, et nous nous proposons de l'examiner, dans un second article, avec tout le soin que mérite l'auteur.

CHÉZY.

GESCHICHTE der Ost-Mongolen und ihres Fürstenhauses, verfasst von Ssanang Ssetsen Chungtaidschi der Ordus; aus dem Mongolischen übersetzt, und mit dem Originaltexte, nebst Anmerkungen, Erläuterungen und Citaten aus andern unedirten Originalwerken herausgegeben von I. J. Schmidt. Saint-Pétersbourg, 1829, in-4°.

LE haut intérêt qui s'attache aux événemens dont Tchingkis-khakan et ses successeurs ont été les héros, dont le XIIIe siècle est l'époque, et auxquels l'Asie presque entière et une partie de l'Europe ont servi de théâtre, fait rechercher avec empressement toutes les traditions qui se rapportent à la nation mongole, et qui peuvent éclairer son origine. On a jusqu'ici puisé principalement à trois sources pour remplir cette grande lacune que l'absence des chroniques tartares laissoit dans les annales du moyen âge. Les voyageurs que la politique des princes chrétiens envoya dans le fond de l'Orient à cette époque, rédigèrent des relations qui ont été long-temps les seuls matériaux qu'on pût consulter, et d'après lesquelles plusieurs érudits tentèrent d'esquisser l'histoire des révolutions de la haute Asie. Les écrivains musulmans, consultés plus tard, ont fourni, en ces derniers temps, des renseignemens authentiques, et tellement nombreux, qu'on a pu les rédiger pour en former comme un corps d'histoire. Enfin les auteurs chinois, vivant dans un pays plus rapproché du centre primitif des émigrations mongoles, et riches de traditions sur les temps voisins des grandes invasions tartares, peuvent servir à étendre, à compléter, à rectifier les deux autres classes de documens. C'est ainsi qu'André Muller et Mosheim

ont rassemblé les faits épars dans les récits d'Haython, de Rubruquis et de Marc-Pol; que le même Muller, Pétis de la Croix, Messerschmidt, et tout récemment M. Mouradja d'Ohsson et un savant académicien français, ont mis à profit les écrits d'Aboul-ghazi, d'Ebndathir, d'Ata-mélik et de Raschid-eddin, et qu'enfin Gaubil, Visdelou, Mailla, Deguignes et d'autres auteurs actuellement vivans ont dépouillé les grandes annales de la Chine, le Thoung kian kang mon, et certains ouvrages spéciaux, pour débrouiller les souvenirs confus qui se rapportent à l'origine de la grandeur mongole.

Ainsi, jusqu'à présent, on avoit été contraint de chercher les annales des Tartares dans des compilations étrangères. Le genre de documens le plus nécessaire pour bien approfondir l'histoire d'un peuple manquoit à T'égard des Mongols, puisqu'on ne possédoit en Europe aucune composition appartenant à un auteur national; on avoit même quelque raison de penser qu'il n'en existoit aucune. Les Mongols avoient commencé assez tard à écrire des chroniques dans leur langue maternelle; tous les livres de ce genre qui existoient à la Chine et dans la Perse, doivent avoir péri dans ces contrées, lorsque les dynasties tartares y ont été éteintes. Depuis que les Mongols sont rentrés dans les déserts d'où Tchingkis-khakan et ses successeurs les avoient fait sortir, ils ont repris des habitudes nomades qui sont peu favorables à la culture des lettres. On supposoit pourtant que, dans les monastères du Tibet et de la Tartarie, où de riches bibliothèques ont quelquefois été rassemblées, quelque chronique mongole pouvoit avoir été conservéc; mais il y avoit peu d'apparence que l'Europe savante pút être mise en jouissance de ces débris précieux. On accueillit donc avec beaucoup d'intérêt, en 1820, la nouvelle annoncée par M. Schmidt, qu'il possédoit un exemplaire de l'histoire des princes mongols, écrite en mongol par Sanang Setsen. On eut lieu d'espérer qu'un auteur, mieux instruit que ne le pouvoit être un étranger des antiquités de sa nation, alloit éclaircir tout ce qu'elles présentoient encore d'obscur dans les écrits des Musulmans et des Chinois, et remplir les lacunes que ceux-ci avoient laissées dans le récit des faits, depuis que les Tartares avoient été livrés à eux-mêmes dans le centre de l'Asie ; aussi la publication de cette histoire, promise par le traducteur, étoit-elle attendue avec beaucoup d'impatience. Je me propose de faire voir, dans l'analyse suivante, jusqu'à quel point le volume de M. Schmidt répond à l'attente qu'on en avoit conçue.

L'auteur lui-même a considérablement varié dans l'appréciation du livre qu'il avoit entrepris de traduire. Il l'avoit d'abord cru fort supérieur aux annales chinoises, qui, disoit-il, étoient extrêmement incertaines en tout

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