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Dans la Tragédie, l'expofition eft unt morceau difficile & qui demande un art infini. Le Poëte Lyrique s'eft mis en droit de fuppofer que le Spectateur fçait tout ce qui a précédé. Ainfi lorfqu'Angélique a chanté ce beau Monologue:

Ah! que mon cœur est agité;
L'amour y combat la fierté;

Je ne fçais qui des deux l'emporte, &c;

Dès ce moment l'expofition eft fuffifam ment faite, fans aucune autre préparation; on devine fans peine que la Reine de Catay a deux amans & qu'elle préferera fon goût à fa gloire. Eh! qui pourroit s'y tromper? Ces incertitudes-là dans le cœur d'u ne Héroïne d'Opera, ne font elles pas toujours décidées au profit de l'amour, contre les intérêts de la raifon?

C'eft avec plus de facilité encore que les Poëtes Lyriques le font affûrés d'heureux dénouemens; c'eft l'effort du génie & du jugement de trouver une iffue naturelle à une action remplie d'incidens, qui fe croifent exprès pour tenir le Spectateur dans l'incertitude; dans l'Opera, la machine feule dénoue avec fucès. Armide part fur un char volant, & laiffe l'auditeur également content & ébloui,

La divifion en cinq Actes eft peut-être ce que l'Opéra a de plus commun avec la Tragédie, & cette reffemblance même à des caractéres abfolument diftinctifs; chaque Acte dans un Opéra contient, comme une action entiere, & feulement une partie d'action dans la Tragédie. L'Acte finit dans celle-ci par la fufpenfion momenta née de l'action principale ; dans l'Opéra la fin de l'Acte doit amener une fête ou un divertiffement qui tienne encore le Théatre rempli, après que les Acteurs le font retirés. Le Théatre Lyrique ne fouffre point de vuide, peut-être par un principe de politique; l'efprit trouve fi peu à s'y occuper, qu'il met tout en ufage pour l'empêcher de réflechir.

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La préference qu'il s'eft ainfi obligé de donner aux yeux & aux oreilles, lui a fait abandonner l'unité de lieu qui forme partout ailleurs une régle fi effentielle. Il eft de l'effence, de la régularité même du Poëme chantant, que la pofition de la Scéne change dans tous les Actes. Les fens y gagnent, & il n'eft pas libre aux Lyriques de balancer entre le vrai & le merveilleux. Au Palais enchanté d'Armide ils peuvent faire fuccéder des déferts affreux, remplacer le mont Etna, vomiffant des flammes, par les bofquets fleuris Си

de l'Elifée. Il n'eft point d'éloignement de contrariété, d'impoffibilité même, qui ne doive céder à l'imagination vive & fertile d'un Poëte d'Opéra. Il peut à fon gré

faire voyager les raffembler les peu

pays,

ples des deux Pôles, & les préfenter dans, le même moment aux yeux étonnés des Spectateurs.

Mais, dira-t'on, comment l'Opéra avec tant de défauts entraîne-t'il tant de fuffrages, & par quels charmes réuffit-il à cou vrir des abfurdités auffi choquantes? Je réponds d'abord, qu'il forme, comme un fpectacle univerfel, & où chacun trouve à s'amufer dans le genre qui lui conviene ou qui lui plaît davantage. Le Machiniste quoique voifin du Géométre, laiffe déris der fon front à la vue d'un vol rapide dont il médite les refforts, tandis que l'éléve de Therpficore fe laiffe tranfporterpar des pieds mus en cadence. Le Peintre: & le Décorateur y trouvent des fujets d'admiration & de critique, & dès-lors ils. y font occupés. Il n'eft pas jufqu'aux habits qui n'entrent pour quelque chofe dans le plaifir du Spectateur, parce que le plaifir prend mille formes differentes; enfin les jeunes gens, toujours frivoles, font fatisfaits d'une ariette qu'ils appren nent rapidement, & qu'ils chantent d'a

près l'Acteur; & les cœurs tendres de tous les âges, n'y trouvent que trop de quoi fe paffionner & entretenir le feu pernicieux qui les confume.

Ceux qui veulent faire l'apologie de P'Opéra d'un ton plus férieux, difent que ce qui eft tout ce qu'il doit être, eft bon dans fon genre, & même beau en effet s'il y dans les Arts un beau arbitraire & de convention, comme il n'eft pas permis d'en douter. Si donc l'action du Poëme eft d'un merveilleux afforti aux idées reçûes fi les paroles font fonores & touchantes, fi la Mufique exprime bien les fentimens dont on veut nous affecter, fi les décorations font fuperbes, fi le jeu des Machines eft exécuté avec affez d'adreffe pour nous faire illufion, alors l'Opéra fera bon, fera parfait, & nous ne pourrons rien demander au-delà de ce qu'il nous donne, sans une véritable injustice.

A tant de traits, tous capables de produire, chacun en particulier, leur effet, it eft aifé de fentir tout l'empire que la Mufique prend fur la Poëfie, & la préference que les airs obtiennent fur les paroles; auffi l'Auteur du Poëme n'eft jamais qu'en fecond, & un Opéra eft bien plus connu par le nom du Muficien que par celui du Poëte. Quinault n'a pas été excepté d'un

ufage devenu comme général; fa gloire eft maintenant indépendante de celle de Lully. Mais combien de tems n'a-t'elle pas été éclipfée? Il n'y a pas trente ans qu'on le confondoit encore avec la foule des Poëtes médiocres de fon tems. Pourquoi faut-il qu'un génie fi fertile, qu'une lyre fi délicate, fi harmonieufe, fe foit prètée à des maximes corrompues? N'en doutons pas, Meffieurs, fi Quinault n'eût embrassé que les paffions vraiment dramatiques, nous n'aurious point à redouter aujourd'hui ces dogmes féducteurs qui font l'ame de nos Poëmes chantans. Ses fuccès dans le genre galant ont entraîné fes fucceffeurs, ils ont crû ne pouvoir plaire, qu'en adoptant à fon exemple, cette morale funefte, où le vice ofe fe produire fous le voile impofteur de la délicateffe & du fen

timent,

Seroit-il donc impoffible que nous en vinffions enfin jufqu'à vouloir être raifonnables? & l'amour, purement voluptueux, eft-il la feule paffion qui ait droit fur nas. ames? Je ne m'étendrai point ici en longs raisonnemens, il faut des preuves de fait pour combattre des préjugés qui paroiffent victorieux. Je me contenterai donc de citer l'Opéra de Jephté, ce Poëme célébre d'un Auteur qui ne l'eft pas, mais qu'on

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