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respecté généralement, même par ceux des membres qui ployoient sous la main des usurpateurs, et de laquelle il n'avoit d'autre sujet de se plaindre que cette faiblesse dont elle étoit la première victime. Il n'envisagea pas les choses sous cet aspect; il crut que l'impuissance où il se voyoit d'empêcher le mal le justifieroit suffisamment auprès d'elle, s'il quittoit une vaine ombre d'autorité, laquelle, en l'état où étoient les choses, il ne pouvoit retenir sans une espèce de déshonneur. Quoi qu'il en fût, il abdiqua en bonne forme les fonctions du chancelariat et en remit les marques entre les mains de M. Ratabon.

En se retirant ainsi de l'Académie, avec si peu d'espérance d'y retourner jamais, son antagoniste, loin de se montrer sensible à l'irréparable perte qu'elle faisoit, ne paroissoit occupé qu'à faire oublier cette perte et à se maintenir dans sa basse et messéante usurpation. Il étoit à craindre que les exercices publics nereçussent un déchet notable de la privation à demeure des inspirations et des secours de ce grand homme, à qui ils devoient leur naissance et presque tous les progrès. M. Errard, qui sentit bien que leur chute ne manqueroit pas de lui être imputée et d'entraîner par contrecoup le déraisonnable pouvoir qu'il s'arrogeoit, avoit pris toutes sortes de mesures dès le temps même qu'il s'étoit mis à indisposer et

à dégoûter M. Le Brun, pour les soutenir et les encourager. Ses soins avoient été secondés tout naturellement par l'amour et l'émulation avec lesquels nos professeurs se livroient à cette culture, et avoient eu un succès assez heureux. Il crut cependant les devoir redoubler en cette occasion et procurer à l'école quelque petit éclat nouveau, pour qu'il parût au dehors que l'Académie s'occupoit de cet objet avec plus de zèle encore que du règne de M. Le Brun. De là entre autres ce règlement qu'il fit alors, par lequel il obligeoit tout nouveau professeur entrant en exercice d'inviter les autres officiers de l'Académie d'être présents la première fois qu'il poseroit le modèle. L'air d'apparat que cette assistance devoit donner aux exercices ne pouvoit manquer, au dire de M. Errard, d'avoir cet avantage de les mettre en très grande considération.

Il avoit imaginé d'en tirer un autre de cette assistance, et qui le devoit mener à ses fins par un autre tournant : c'étoit d'en prendre occasion, se trouvant ainsi tous rassemblés, de se voir le verre à la main. Il eut donc l'adresse, contre l'esprit et les dispositions formelles de nos statuts, d'attirer ceux des nôtres qui se trouvèrent présents au premier de ces actes à un petit régal de prétendue amitié et confraternité. Sans doute il avoit compté que la joie du repas et l'apparente cor

dialité des propos de table lui concilieroient ces cœurs, qu'il ne cherchoit qu'à contrister, et leur feroient perdre de vue les insoutenables attentats qu'il ne cessoit de former contre la commune liberté. Quoiqu'un trop grand fond de mansuétude peut-être les portât depuis longtemps à les endurer sans réclamation, ils pensoient trop bien pour ne pas se refuser à des liaisons qui auroient pu y donner un air d'approbation et de consentement. Ces repas n'eurent donc point de suite. M. Errard s'en consola facilement par la plénitude de cette indolence avec laquelle on le laissa le maître de tout. Sa domination, ne trouvant plus aucun obstacle, n'eut bientôt plus de bornes. Sans référer ni délibérer la plupart du temps, et jamais autrement que par une vaine formalité, il n'admettoit plus d'autres règles dans la décision des affaires, même dans les réceptions et les élections, que les seules règles de sa volonté ou de celle de son patron. Il est vrai qu'il voulut bien encore les envelopper de quelque dehors d'insinuation et d'honnêteté. L'oppression où il retenoit l'Académie n'en fut pas moins complète et en fut peutêtre plus dangereuse; elle subsista en cet état l'espace de plusieurs mois.

Le seul homme, pour ainsi dire, de l'Académie, qui fût capable de l'en tirer, et le seul peut-être que M. Errard y redoutoit, fut notre secrétaire,

time

M. Testelin. D'une sagacité et d'une prudence consommées, il avoit cru devoir se ménager avec l'oppresseur, et se réserver pour un temps plus opportun, où son zèle se pût assurer d'un succès et plus infaillible et plus complet. Cette conduite ne l'avoit point empêché de cultiver ouvertement l'amitié tendre et sincère qui avoit été de tout temps entre lui et M. Le Brun. De l'en blâmer le moins du monde, M. Errard avoit l'esprit trop rusé pour commettre une telle faute; c'eût été, dès l'entrée, détruire dans la compagnie la bonne opinion qu'il lui importoit qu'elle eût de ses sentiments; aussi ne parloit-il que du surcroît d'esM. Testelin ceux qu'il lui donnoient pour que faisoit paroître en cette occasion. Presque toujours cette phrase n'est que de style dans le cas en question; elle ne pouvoit manquer de l'être ici. M. Errard connoissoit et craignoit trop l'esprit et le mérite de ces deux illustres amis pour applaudir de bon cœur à l'intimité de leur liaison, et prendre en bonne part l'assiduité constante que montroit M. Testelin à l'entretenir et la resserrer. Au contraire, il en conçut pour lui une forte aversion qui ne lui échappa d'abord que peu peu, et qu'il manifesta davantage, à mesure qu'il se crut assez fort pour le pouvoir mater impunément. Il ne se contenta pas d'en user avec lui comme il l'avoit fait avec M. Le Brun, et de le

chicaner et le tracasser à tout propos ; il lui suscita M. Ratabon, qui lui chercha querelle et entreprit de le traiter fort désobligeamment; enfin il n'oublia rien pour se débarrasser aussi de cet homme recommandable et se rendre entièrement maître du terrain.

L'on eût dit qu'il avoit fallu à M. Testelin d'être poussé aussi rudement pour s'éveiller sur les maux du corps académique, et pour songer efficacement à y remédier; car ce ne fut proprement qn'après avoir laissé monter ces excès à leur dernier période qu'il commença à agir auprès de M. Le Brun avec cette vigueur qui entraîne toujours le succès, et à lui toucher le cœur sur la situation d'un établissement, jadis l'objet de sa plus chère sollicitude et constamment celui de ses plus tendres vœux. Il n'y avoit guère que cet homme incomparable qui pût rendre à cet établissement toute sa première indépendance et sa première splendeur. L'entreprise étoit digne de son courage et de sa générosité; son cœur y souscrivit avec transport et sacrifioit au présent danger de l'Académie tout ressentiment personnel. La seule difficulté qui l'arrêtoit étoit de ne savoir par où s'y prendre pour entrer en lice. Après une démarche aussi marquée et aussi décisive que celle qui avoit signalé sa retraite, il ne pouvoit avec honneur se remontrer à l'Académie qu'en vertu d'une déter

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