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Cycliques firenommés, ont formé ces Théogonies, ces Gigantomachies, ces Titanomachies, & autres Ouvrages, dans »lefquels ils ont étouffé la vérité; que nos oreilles accoutu»mées dès l'enfance à ces fictions, les ont confervées; & que la vérité, lorfqu'on veut la découvrir, paroît avoir l'air » du menfonge, pendant que ces narrations fabuleuses, quel» que extravagantes qu'elles foient, paffent pour des faits authentiques

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La réflexion de Philon va être justifiée dans la fuite de cet 'Article.

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La premiere fable qu'on a mêlée dans l'Hiftoire que je viens de raconter, regarde la maniere dont on a dit que Chronos ou Saturne avoit traité fon pere Urane, & celle dont il avoit été traité lui-même par Jupiter fon fils. Voici comme s'en explique Sanchoniathon, par rapport à Urane. « Eilus, » c'eft-à-dire, Chronos, la trente- deuxième année de fon » regne s'étant mis en embufcade contre fon pere Urane, dans une efpece de vallon, d'un coup de fabre lui coupa les parties: c'étoit entre des fontaines & des rivieres.... > on montre encore aujourd'hui l'endroit où cela est arrivé. Comme ces anciennes fictions changeoient à mesure qu'elles paffoient de main en main, Hefiode qui raconte le même fait, en change les circonftances. « Urane, dit-il, tenoit ses enfans enfermés, & ne leur permettoit pas de voir le jour ; ce qui affligeoit fi fort Titée ou la Terre leur mere, » qu'elle fabriqua une faulx, & Saturne l'ayant prife,, & » s'étant mis en embuscade, fuprit Urane dans le temps qu'il vouloit coucher avec fa femme, & le mutila. »

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Fondement de ce qui a

donné lieu à la

mutilation de

Je fçais que ceux qui prétendent trouver l'hiftoire des Patriarches, quoique extrêmement defigurée, dans le Fragment qui nous refte de Sanchoniathon, & en particulier Abraham Fable de la dans Chronos ou Saturne, foutiennent que cette fable fait Calus & de allufion à la Circoncifion, par laquelle ce Patriarche fe diftin- Saturne. gua lui & fa famille, des autres peuples qui l'environnoient; & peut-être que leur conjecture n'eft pas fans fondement. Mais comme je fuis perfuadé que le fond de l'hiftoire des Titans eft véritable, que ces Princes formerent un grand Empire,

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8.16.

& qu'ils dominerent fur la terre, pour me fervir de l'expref(1) Judith. fion même de l'Ecriture fainte (1), on peut expliquer la Fable que je viens de rapporter, en difant qu'elle eft une parabole fous laquelle on a voulu nous faire entendre que la conduite de Saturne à l'égard de fon pere Urane, l'avoit fait mourir de chagrin, comme il mourut lui-même par la conduite qu'eut à fon égard Jupiter fon fils: ou, fi l'on veut, & c'eft une (2) Remarq. conjecture fort ingénieufe de M. le Clerc (2), on a voulu fur Hefiode. nous marquer par-là, que Saturne avoit débauché la plûpart de ceux qui compofoient le Confeil de fon pere, & avoit engagé plufieurs perfonnes confiderables, & fes freres en particulier, à abandonner le parti d'Urane pour s'attacher à fui. Ce qui rend la conjecture de cet Auteur très-probable, c'eft que le mot qu'employe Hefidode pour marquer le funefte retranchement dont je viens de parler, peut fignifier (3) dia, également Confilium & pudenda (3). Ainfi les Poëtes Grecs qui lifoient l'Hiftoire des Titans, dans une langue qu'ils n'entendoient pas affez, prirent cette expreffion dans un fens qu'elle ne devoit pas avoir. Si on a ajouté au refte, que c'étoit Titée qui avoit elle-même fait la faulx dont Saturne fe fervit, c'eft que comme elle étoit peu contente d'Urane fon mari, dont les infidélités l'accabloient de chagrin, elle avoit formé avec Saturné fon fils une puiffante corjuration contre lui. Voilà fans doute ce qui a fait dire à Hefiode que cette Princeffe avoit mis la faulx qu'elle venoit de fabriquer, entre les mains de fon fils.

Comme Saturne fut traité par Jupiter de la même maniere qu'il avoit traité fon pere; que celui-ci non feulement débaucha fes troupes & fes meilleurs amis, mais qu'il le retint prifonnier en Italie, Hefiode le fait mourir du même genre de mort que fon pere; ce que Sanchoniathon ne dit pas. Pour autorifer la fable que je viens d'expliquer, on difoit qu'on avoit trouvé en Sicile, où mourut Saturne, la faulx avec laquelle Jupiter l'avoit mutilé, & que c'étoit d'elle que le Port de Drepane avoit pris fon nom: mais ce n'eft-là qu'une nouvelle fiction, comme l'a très-bien remarqué le fçavant Bo(4) Chan. chart (4), puifqu'elle n'eft fondée que fur ce que le Port que

liv. 1.

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je viens de nommer, étant d'une figure ovale, à peu près femblable à celle d'une faulx, on lui avoit donné le nom de cet outil, qui en langue grecque s'appelle drepané (a). Que fi on reprefentbit Saturne avec une faulx à la main, c'étoit ou parce qu'on prenoit ce Dieu pour le temps, qui ravage, qui moiffonne tout, ou pour nous apprendre qu'il avoit enseigné aux hommes de fon temps l'art de cultiver la terre: mais je crois que la premiere explication eft la plus naturelle, puisque fon nom grec Chronos, fignifie le temps.

Fables de la

liens de laine

J'ai dit dans l'Hiftoire des Titans, que Saturne pour éviCe que fiter de tomber entre les mains de ceux qui avoient formé gnifioient les une conjuration contre lui, s'étoit retiré en Italie où il fe te prifon de Sanoit caché; & je dois ajouter ici-que cette retraite donna lieu turne, & des à deux fables, qu'il faut expliquer. La premiere, que ce qui l'y tePrince y étoit détenu en prifon, mais qu'il n'y étoit attaché noient attaqu'avec des liens de laine; la feconde, qu'il avoit été préci pité par Jupiter fon fils, dans le fond du Tartare.

Macrobe parlant d'un Temple que Tullus Hoftilius, après avoir vaincu les Sabins & les Albains, avoit fait conftruire en l'honneur de Saturne, recherche la raison pour laquelle ce Dieu avoit été attaché avec ces liens; & après avoir dit que Verrius Flaccus l'avoit ignorée, il ajoute qu'on trouvoit dans Apollodore que ce Dieu étoit attaché toute l'année avec des liens de laine, mais qu'il les rompoit une fois l'an, au mois de Decembre, où l'on célébroit les Saturnales (b). C'eft de-là, felon le même Auteur, que tiroit fon origine le proverbe qui difoit que les Dieux avoient des pieds de laine. Cet Auteur explique enfuite la fable qu'on vient de rapporter,

(a) Appollonius de Rhodes, dit que | tio fic fuggerit: Saturnum Apollodorus al c'étoit près de l'lfle de Corcyre, aujour-ligari ait per annum laneo vincula, & fold'hui Corfou, dans le Golphe Adriatique, vi ad diem fibi feftum; id eft menfe hoc qu'avoit été trouvée la faulx dont on Decembri : : atque inde proverbium ducvient de parler; mais on ne finiroit tum, Deos pedes laneos habere. Macrob. pas fi on vouloit rapporter les traditions Sat. lib. 1. c. 8. differentes qui fe rencontrent fur chaque

fable.

(b) Cur autem Saturnus ipfe in compedibus vifatur, Verrius Flaccus caufam fe ignorare dicit. Verùm mihi Apollodori lec-1

L'endroit où Apollodore difoit ce qu'on vient de rapporter, ne fe trouve pas dans ce qui nous refte de cet Auteur, dont l'Ouvrage étoit plus ample fans doute du temps de Macrobe.

ché,

en difant qu'elle marquoit que les grains enfermés dans la terre, où ils étoient détenus par des liens doux & faciles à rompre, en fortoient & parvenoient à leur maturité au bout de dix mois. Car il eft vrai, ajoute-t-il, que pendant que les Mythologues chargent de fables l'hiftoire de ce Dieu, les Phyficiens ramenent ces fictions à un fens raifonnable (a). Pour moi, fans chercher dans cette fable les myfteres de la Physique, je crois qu'elle nous apprend fimplement, ou que Saturne étoit véritablement libre en Italie, ou que s'il étoit détenu prifonnier, il étoit fi peu gardé qu'il étoit le maître de fe procurer la liberté. Il se la procura en effet, puifque nous avons vû dans fon hiftoire qu'il fe retira en Espagne, où Jupiter le pourfuivit. Virgile dit auffi que ce Prince fortit d'Ita lie; & l'on peut ajouter foi à ce Poëte, fi inftruit des Antiquités de fon pays. Ce que dit Stace n'eft pas cependant fans vraifemblance, fçavoir, que Saturne demeura toute fa vie en Italie, & qu'il ne fortoit de fa prifon qu'une fois l'an; circonftance qui donna lieu à la fête des Saturnales, pendant laquelle les maîtres donnoient la liberté à leurs efclaves, pour marquer celle dont jouiffoit Saturne le jour qu'il fortoit de prifon.

Quoiqu'il en foit, Olaüs Rudbek qui a prétendu dans fon (1) Ch. 28. Atlantique (1) ramener à l'Hiftoire de la Suede fa patrie, prefque toutes les antiquités de la Grece, débite à l'occafion de ces chaînes de laine dont nous venons de parler, une conjecture qui reffemble affez à celle des Phyficiens dont parle Macrobe. Il prétend que Saturne étoit le même que Boreus, ancien Roi de Suede, & qu'on l'appella Saturne parce que, dans l'ancienne langue du pays, Sad ou Sadar fignifioit toute forte de productions. Que fi on avoit dit qu'il étoit attaché avec des liens de laine, qu'il ne rompoit que dans une certaine faifon de l'année,au mois de Juillet, c'est que les neiges retiennent en Suede les grains dans le fein de la terre, jufqu'au retour du Soleil, qui venant à fondre ces neiges, rompt

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ces liens qui les tenoient attachés, & leur procure la liberté de croître & de meurir. Cet Auteur blâme enfuite Macrobe, d'avoir dit après Apollodore, que Saturne rompit fes liens au mois de Decembre, temps auquel le Soleil n'a aucune force, comme s'il avoit été obligé de parler de l'Italie, de la même maniere dont cet Auteur parle des pays du Nord. La feconde fable que je me fuis propofé d'expliquer, eft tirée d'Heliode (1), qui dit que Jupiter avoit précipité fon pere Saturne dans le fond du Tartare. Apollodore ajoute, qu'Uranus avoit ufé de la même violence à l'égard des Geants & des Cyclopes fes enfans. « Urane leur pere, dit-il, les »jetta liés & garrottés dans le Tartare, qui eft le lieu le plus »ténébreux des Enfers, & qui eft auffi avant dans la terre, que la terre elle-même est éloignée du ciel. Ce fut, ajoute » cet Auteur, dans cette occafion que Titée indignée du malheureux fort de fes enfans, engagea les autres Titans à » dreffer des embûches à fon mari, & qu'elle donna à Saturne le plus jeune de tous fes fils, cette faulx de diamant » avec laquelle il le mutila. Après cet événement, continue » Apollodore, Saturne aidé des autres Titans, délivra fes freres; mais il ne fut pas plûtôt le maître, qu'il les précipita tous dans le Tartare. »

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CC

Pour pénétrer le fens de cette fable, il faut fçavoir que parmi les Grecs les pays fitués à leur Orient, étoient regardés comme des lieux plus élevés que ceux qui étoient à leur Occident; & que ce fut pour cela qu'ils prirent les premiers pour le Ciel, pendant que les autres furent pris pour l'Enfer. C'eft fuivant cette idée qu'ils plaçoient leur Enfer ou dans l'Espagne, féjour de Pluton, comme nous le dirons dans fon Hiftoire, ou dans l'Italie, & enfin dans l'Epire, ou plutôt dans la Thefprotie, pays fitués à l'occident de la Grece. Or comme les Titans, dans les differentes conjurations qu'ils formerent tantôt contre Urane, tantôt contre Saturne, avoient été obligés de fe retirer en Italie & en Efpagne, les Poëtes publierent qu'ils avoient été précipités dans le fond des Enfers. Mais on doit ajouter encore, que comme leur Tartare étoit pris fur le Tarteffe, fleuve d'Efpagne,

Tome II.

E

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