ページの画像
PDF
ePub

CHAPITRE XI.

Des myfteres Eleufiens, & des autres fêtes de Cerès.

E n'ai pas deffein de m'étendre beaucoup fur un fujet que

[ocr errors]

a

a donné un excellent abregé ; mais parce qu'on
parce qu'on pourroit
me reprocher de n'avoir point parlé d'une matiere qui a tant
de rapport à l'Hiftoire de Cerès & de Proferpine, je vais
rapporter en peu de mots ce que c'étoient que ces myfte-
res Eleufiens; & ce que j'en dirai se réduira à trois chefs: je
parlerai d'abord des Fêtes, enfuite des Initiés, enfin des
Prêtres qui les célebroient.

Les Siciliens pour reconnoître les obligations qu'ils avoient
à cette Déeffe, établirent des Fêtes & des mysteres, pour
perpetuer la mémoire de fes bienfaits. Le temps de l'année
marquoit la raison de leur inftitution, puisqu'on les célebroit
un peu avant la moisson en l'honneur de Proferpine, & dans
le
temps
des femailles en l'honneur de Dio. L'une & l'autre
de ces fêtes fe célebroient avec beaucoup de folemnité;
& Diodore de Sicile nous apprend que dans celle-ci, qui
duroit dix jours, on y reprefentoit l'ancienne maniere de
vivre des hommes, avant qu'on eût inventé l'agriculture.

Les habitans de l'Attique, touchés des bienfaits de Cerès, ainfi que les Siciliens, fe diftinguerent auffi par les Fêtes qu'ils inftituerent en fon honneur. La premiere s'appelloit Proerofia, parce qu'on la célebroit avant que de femer & de labourer; & on donna à la Déesse le furnom de Proerofie, felon la coutume des Anciens qui donnoient à leurs Dieux autant de noms qu'ils avoient de Fêtes & de Temples.

La feconde, qui étoit célebrée à Athenes quelque temps après, c'eft-à-dire vers la mi-Octobre, étoit nommée, Thef mophoria, c'est-à-dire, la fête de la Légiflatrice; ce fut Triptoleme qui l'inftitua : mais quelques céremonies Egyptiennes Tome II.

Nnn

>

i

ajoutées dans la fuite à l'occafion d'Orphée & des Danaï ́des, firent dire à quelques Anciens que c'étoit une fête d'Ifis & d'Ofiris, paffée d'Egypte en Grece. Cette fête duroit cinq jours à Athenes, & l'on choififfoit chaque jour deux femmes, nées d'un légitime mariage, pour y préfider; & elles faifoient offrir des facrifices felon leurs moyens, par un Prêtre nommé Stephanephore, ou Couronné. Elles partoient d'Athenes pour Eléufis, où fe faifoient les facrifices le deux du mois Pyanepfion, qui répond en partie à notre mois d'Octobre; & l'on appelloit ce jour-là Anodos, c'eft-à-dire, la Montée, parce qu'on montoit à Eléufis. Ces mêmes femmes portoient fur leurs têtes les Livres des Loix de Dio, & chantoient des Hymnes à fon honneur. Quand elles étoient arrivées, elles vivoient dans une grande retenue, éloignées de la compagnie des hommes, & paroiffoient dans des habits modeftes & fans couronnes fur la tête; s'abftenant furtout de manger des grenades, dont le fruit avoit été si funefte à la Déeffe. Elles jeûnoient même le troifiéme jour, qu'elles paffoient dans le Temple de Cerès affifes aux pieds de fes Autels. Enfuite elles fe difoient des injurés, pour tâcher par là de s'exciter à rire, comme Baubo avoit fait rire Cerès quand elle fut arrivée dans fa Cabane.

Enfin on faifoit des facrifices en fecret, & il n'étoit pas permis d'en publier les céremonies. La fête finiffoit par un facrifice nommé Zemia; c'eft-à-dire, de l'Amende; & c'étoit pour expier les fautes qu'on pouvoit avoir commises pendant lá folemnité.

La troifiéme Fête étoit célebrée au mois de Decembre, & s'appelloit Aloa, du mot alos, qui veut dire, une Grange, parce que c'étoit le temps où l'on avoit accoutumé de bartre le bled, & de demeurer dans les granges.

- Mais la plus folemnelle étoit celle qu'on célebroit à Eléufis au mois d'Août; on la nommoit par excellence les Myfteres. On ne convient pas qui fut celui qui inftitua cette Fête: il y a des Auteurs (a) qui ont crû que c'étoit Erechthée, d'au

(a) C'étoit dans le mois Boedromion qui repond en partie à notre mois d'Août.

tres Mufée ou Eumolpe, ou Orphée. Trois chofes avoient donné lieu à son inftitution; l'invention de l'Agriculture, les Loix de Cerès, & les autres avantures qui lui étoient arrivées à Eléulis; & le fouvenir de tout cela étoit renouvellé des céremonies particulieres (a). Ainfi cette folemnité raffembloit les motifs de toutes les autres.

par

Les Myfteres Eléufiens étoient de deux fortes, les grands & les petits; dans les uns & dans les autres il falloit être capable de garder un grand fecret. Comme Triptoleme avoit ordonné qu'aucun étranger ne pourroit être initié dans les grands Mysteres, Hercule cependant à qui on n'ofoit rien refufer, demanda d'y être admis, & on inftitua à son occafion d'autres céremonies, que l'on appella les petits Myfteres, & on les célebra dans la fuite à Agra, près d'Athenes. Ceux qui afpiroient à y être admis, fe rendoient dans ce lieu au mois de Novembre, facrifioient à Jupiter, & gardoient la peau de la Victime pour la mettre fous leurs pieds, lorfqu'on les purifioit aux bords du fleuve Iliffus. On ne fçait pas au jufte de quelles céremonies on fe fervoit dans ces luftrations; on fçait feulement qu'on y employoit du fel, des feuilles de laurier, de l'orge & des couronnes de fleurs, de l'eau de la mer & de celle du fleuve: celui qui faifoit la céremonie s'appelloit Udranos, parce qu'il verfoit de l'eau fur ceux qui aspiroient aux Myfteres. Il falloit auffi garder la chasteté pendant ce temps-là, & facrifier enfin une truye pleine. Ces petits Myfteres fervoient de préparation aux grands, qui étoient célebrés à Eléufis, & c'étoit par leur moyen qu'on étoit initié aux cérémonies fecrettes de Cerès. En effet, après avoir paffé par bien des épreuves, on étoit Myfte, c'est-à-dire, en état d'être bientôt initié aux grands Myfteres, & de devenir Epopte, ou témoin des céremonies les plus fecrettes, ce qu'on n'obtenoit qu'après cinq ans de noviciat, pendant lefquels on pouvoit entrer dans le Veftibule du Temple, mais non dans le Sanctuaire : & même lorsqu'on étoit Epopte, & qu'on jouiffoit de cette permiffion, il y avoit

(a) V. Meurfius dans fon Traité des Myfteres Eleufiens, & M. le Clerc, Biblioth. univ. Tom. 6.

encore bien des chofes dont la connoiffance étoit refervée aux feuls Prêtres.

Quand on initioit quelqu'un, on le faifoit entrer la nuit dans le Temple, après lui avoir fait laver les mains à l'entrée, & l'avoir couronné de myrthe. On ouvroit enfuite une Caffette où étoient les Loix de Cerès & les cérémonies de fes Myfteres; & après lui en avoir fait la lecture, on les lui faifoit transcrire. Un leger repas en memoire de celui que la Déeffe avoit fait chez Baubo, fuccédoit à cette cérémonie; après quoi les Myftes entroient dans le Sanctuaire dont le Prêtre tiroit le voile, & tout étoit alors dans une grande obfcurité. Un moment après une vive lumiere leur faifoit pa roître devant les yeux la ftatue de Cerès magnifiquement ornée, & tandis qu'ils étoient attentifs à la considérer, la lumiere difparoiffoit encore, & tout étoit de nouveau couvert de profondes ténebres. Les éclats de tonnerre qui fe faifoient entendre, des éclairs qui brilloient de toutes parts, la foudre qui tomboit au milieu du Sanctuaire, & mille figures monftrueufes qui paroiffoient de tous côtés, rempliffoient de crainte & de frayeur les initiés; mais un moment après le calme fuccédoit, & l'on appercevoit dans un grand jour une prairie agréable, où l'on alloit danfer & se réjouir.

Il

y a apparence que cette prairie étoit dans un lieu enfermé de murailles derriere le fanctuaire du Temple, que l'on ouvroit tout d'un coup lorfque le jour étoit venu ; & ce spectacle paroiffoit d'autant plus agréable, qu'il fuccédoit à une nuit où on n'avoit prefque rien vû que de lugubre & d'effrayant. C'étoit-là où dans la joye & les plaisirs on revéloit tous les fecrets des myfteres; c'eft-là, felon quelques Auteurs, où regnoit la licence la plus effrenée: où y faifoit voir le Myllos, que les Siciliens portoient dans les fêtes de Cerès, & Tertullien y ajoute le Phallus des Egyptiens. Mais après tout, on ne fçait pas trop ce qui s'y paffoit, on garda longtemps fur ces myfteres un fecret impénétrable; & fans quelques libertins qui fe firent initier pour les révéler, on n'en auroit jamais rien fçu. Ce qui eft vrai, c'eft qu'on exigeoit beaucoup de retenue, & même une chasteté affez fevere, des Myftes & des

femmes qui préfidoient aux fêtes de cette Déeffe. Les purifications & les ablutions qu'on pratiquoit, feroient même croire qu'on n'y étoit pas fi diffolu que quelques Auteurs l'ont prétendu ; à moins qu'on ne veuille dire que les défordres dont les Peres de l'Eglife parlent, n'étoient pas de la premiere inftitution, & ne s'y étoient gliffés que dans la fuite. La nuit s'étant paffée dans ces cérémonies, le Prêtre congédioit l'Affemblée avec quelques mots barbares, qui font voir qu'elles avoient été inftituées par des gens qui parloient une autre langue, (a) ceft-à-dire, par les Egyptiens, & qu'en un mot, c'étoit, comme je l'ai déja dit, les myfteres même d'Ifis, mais aufquels les Grecs avoient avec le temps ajoûté bien des cérémonies de leur façon.

Après avoir parlé des initiés, il faut, avant que de finir, dire un mot des Miniftres qui étoient en fonction pendant ces fêtes. Le premier étoit un Hierophante, ou un Mystagogue, c'està-dire, un homme qui montre les chofes facrées (b), & il n'étoit pas permis aux initiés de dire fon nom aux profanes. Cet Hierophante devoit être Athénien de la famille des Eumolpides, avoir un certain âge, & d'autres qualités prefcrites par les loix, & garder une continence perpétuelle. Le fecond étoit un Daduche, ou porte flambeau. Le troisiéme un Héraut facré. Le quatriéme un Miniftre de l'Autel ; c'étoit un jeune homme qui prioit pour l'Affemblée, & obéiffoit aux Miniftres fupérieurs. Il y avoit outre ces quatre Miniftres deux Prophetes pour facrifier, & cinq Commiffaires, pour avoir foin que tout fe fit dans l'ordre ; le premier s'appelloit le Roy, & les autres quatre Epimeletes.

La fête de l'Initiation duroit neuf jours; le premier s'appelloit Agyrmos, ou jour de l'affemblée ; & il étoit employé aux cérémonies dont je viens de parler. Le fecond, on envoyoit les Myftes à la mer pour fe laver. Le troifiéme, on facrifioit un barbeau avec de la farine & des gâteaux. Le quatriéme on faifoit traîner par des boeufs un chariot dont les

(a) Ces mots étoient Conx & om pax, que M. le Clerc prétend fignifier, veiller &ne point faire de mal.

(b) On l'appelloit auffi quelquefois, Prophete.

Nnn iij

« 前へ次へ »