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cédé si estrange m'ayant assez témoigné combien le séiour de ces Prouinces me pouuoit estre suspect et dangereux, estant de plus très-certaine de la résolution que le Cardinal Mazarin auoit faite de tout entreprendre plustost que de m'y laisser en paix, et par conséquent voyant bien que ie courois vn mesme danger dans les autres païs de nostre alliance, ie iugeay qu'il ne me restoit aucun lieu où ie pusse estre auec bienséance et en seureté, que ceux de nostre Maison; et fis dessein de me rendre à Stenay où M. de Turenne s'estoit retiré auec quelques vns de nos amis, afin de se garantir de la haine de ce Ministre qui le poursuiuoit comme vn coulpable parce qu'il demeuroit dans nos intérests et qu'il désapprouuoit ses crimes. La considération du Nonce que sa Sainteté a destiné à l'ouurage de la paix, m'ayant obligée de me détourner de mon chemin pour le voir à Aix où il demeuroit, m'obligea encore d'y faire vn séiour assez notable. Je voulus esprouuer si ie ne trouuerois point par son moyen quelque soulagement à nos infortunes, et si la main de cette personne personne choisie pour trauailler au repos de toute l'Europe, ne me le donneroit point. Mais les nouuelles qu'on receuoit de Paris, m'ayant fait connoistre que la cruauté de nos ennemis qui croissoit de iour en iour, m'en ostoit toute espérance, ie continuay ma route. En passant par les Estats du Roy Catholique, les peuples las de la guerre, haïssant le Cardinal Mazarin odieux à tout le monde, et détestant ses malices qui causent leurs troubles et les nostres, me demandoient partout la paix et me coniuroient instamment de trauailler à la faire. C'estoit le sentiment du Ministre d'Espagne et le souhait des grands seigneurs des Païs-Bas; et i'auoue que rencontrant tant de bonnes dispositions à vn si grand bien,

ie conceuois des espérances d'en enuoyer des ouuertures à la Reyne et au Parlement dès que ie serois à Stenay, et que ie me flattois de la croyance que ie pourrais procurer par vn heureux accommodement l'vnion des deux couronnes et la liberté des Princes. Mais estant arriuée en ce lieu, bien loin de trouuer quelque conioncture fauorable pour vn si salutaire dessein, ie me suis vue inuestie par les troupes du Cardinal Mazarin; i'y ay appris que non content de la prison et de l'exil qu'il nous fait souffrir, et de la perte des biens que nous tenions du Roy, dont il nous a despouillez, et ne mettant point de bornes à sa vengeance, il employoit la force pour arracher encore Bellegarde qui est nostre patrimoine; i'y ay sceu que Madame ma Mère enuironnée de gens de guerre a esté forcée de se dérober de Chantilly le iour de Pasques, qu'on l'a encore chassée de Paris1 où elle s'estoit venue jetter entre les bras de la Iustice, que Madame ma belle Sœur s'est retirée auec vn danger extresme, qu'vne mesme fuitte a sauué mon nepueu que son enfance n'eust pas garanty. I'y ay sceu que des gens de qualité sont menacez de l'exil, pour auoir déploré nostre infortune; que des femmes de condition pour la mesme cause courent le mesme danger; que pour ce mesme suiet on a banny des Religieux, on a fermé la bouche aux Euesques; que nostre amitié fait vn crime; que la pitié qu'on a de nos maux, est punie comme vne méchanceté; que les prisons sont pleines de nos domestiques, et qu'enfin la barbarie du Cardinal Mazarin se porte contre nous à vn tel excès

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Requête de Mme la Princesse douairière de Condé pour sa seureté dans la ville de Paris, etc. [3477].

Relation de ce qui s'est passé à l'arrivée de Mme la princesse de Condé.... en la ville de Bordeaux, etc. [3111].

que ne se trouuant point dans les histoires d'exemple d'vne plus grande innocence que la nostre, il ne s'y en trouue point d'vne plus grande fureur que celle qu'il exerce en nostre endroit. En vn tel estat cognoissant que la douceur ne fait qu'irriter sa tyrannie, et voyant que nostre perte estoit inéuitable si je ne m'y opposois, considérant de plus que la Monarchie ne souffre pas moins que nostre Maison; que la foy publique des déclarations est violée; que l'on renuerse l'authorité des loix; que les charges de la Couronne et les gouuernemens des places et des Prouinces qu'on deuroit donner au seul mérite, deuiennent le prix de nostre Sang et la récompense du détestable forfait de ceux qui par l'espoir de ces récompenses, ayant renoncé à leur honneur et déuoué leur conscience aux lasches intérests de leur fortune, soutiennent l'attentat du Cardinal Mazarin; que l'argent et les biens qu'il falloit réseruer pour la deffense ou pour le rétablissement du Royaume, sont prodiguez et ne seruent qu'à étancher l'auarice des gens dont ce Ministre achepte et paye la fidélité et le seruice aux despens des peuples; que la partie la moins saine d'vne maison estrangère' dont la puissance autant de fois qu'elle a esté esleuée, a osé jetter les yeux sur la Couronne et l'ébranler par la réuolte et la guerre, empiète de nouueau vne authorité périlleuse; que cette inquisition d'Estat qui ne laisse ny de biens ny d'authorité à personne et contre laquelle on a desià eu recours aux armes, reprend de fortes racines; que le Clergé est mesprisé, la Noblesse persécutée, les Officiers misérables, les peuples ruinez, les gens de bien dans le danger et dans la crainte; que le Cardinal Mazarin se déclare en

'Ceci s'adresse au comte d'Harcourt, de la maison de Lorraine.

nemi juré de la paix, n'ayant emprisonné les Princes qui le vouloient contraindre à la faire, et ne commettant tant de nouueaux crimes que pour en empescher la conclusion; qu'ainsi il n'y a à espérer ny de salut pour l'Estat, ny de remède à nos infortunes si les choses demeurent plus longtemps dans un tel désordre; ces considérations jointes aux remontrances que plusieurs personnes de condition m'ont enuoyées, que la bonté de la Reyne estant plus aueuglée que jamais des artifices de son Ministre, et la facilité de M. le Duc d'Orléans s'abandonnant à la conduite de ses faux Tribuns du peuple qui par de sordides prétentions d'ennemis déclarez du Cardinal Mazarin se sont rendus ses esclaues', j'estois la seule personne à qui il restoit des moyens de mettre vne borne à tant de malheurs, et que ma conscience, ma naissance et mon deuoir m'y obligeoient puissamment; et de plus me trouuant portée à entreprendre vn dessein si grand et si glorieux par les instances que m'en font les plus notables personnages de l'Église, de l'espée et de la robe, et par les supplications que i'en reçois des meilleurs habitans de Paris et des principales villes du Royaume, mais surtout me sentant fortifiée en cette occasion de l'affection, du conseil et de l'ayde de M. de Turenne dont le mérite et la valeur vont au pair auec les plus hautes entreprises, et qui est également passionné pour le seruice du Roy, pour le bien de la France et pour le restablissement de nostre maison; après auoir examiné toutes choses, nous auons jugé que la liberté des Princes du Sang, lesquels pendant la minorité doiuent auoir soin de l'Estat, estoit le premier pas qu'il falloit faire pour préparer la guéri

'Le duc de Beaufort et le Coadjuteur.

son aux maux de la France, et que la Paix ensuitte estoit le seul remède qu'il falloit apporter aux calamitez qui la détruisent; c'est pourquoi Sa Majesté Catholique m'ayant fait l'honneur de m'inuiter à la seconder dans le désir qu'elle a de donner à la Chrestienté cette paix qu'elle ne veut point traitter auec le Cardinal Mazarin, et qu'elle proteste de receuoir volontiers de la main de Messieurs les princes, nous auons, moy et M. de Turenne, conclu d'vn commun consentement auec les Ministres d'Espagne de joindre nos forces à celles de Sa Majesté Catholique et de ne point poser les armes que les Princes ne soient délivrez1. Comme aussi dès qu'il seront libres, le Roy d'Espagne s'est obligé de sa part de conclure incessamment cette paix et de se remettre des difficultez qui s'y pourront rencontrer, à l'arbitrage des Princes. Certes, s'il est permis par le droit des gens et si la nature nous enseigne de nous seruir [de] toutes choses pour nostre conseruation lorsqu'on nous opprime iniustemeut, il faut aduouer qu'il se trouue vne extresme satisfaction quand en nous garantissant d'vn malheur, nous en garantissons le public, et qu'il n'est rien si digne de louange, en nous déliurant, que de déliurer encore nostre patrie. Et puisque cela est ainsi, i'ay tout lieu de croire que m'estant trouuée contrainte d'employer la force légitime contre l'iniuste et l'ayant fait de sorte que ce que i'entreprends, va moins au salut de nostre maison qu'au seruice de mon Prince et à l'utilité de mon Païs, il n'y a personne qui aye de la conscience et du jugement, qui n'approuue ce iuste dessein, qui n'y concoure, qui ne l'appuie et qui en quelque façon

Article principal du traité que Mme de Longueuille et M. de Turenne ont fait auec Sa Maiesté catholique [400].

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