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quasi dans toutes les parties de cette Monarchie, nous fait appréhender auec raison quelque décadence ou réuolution estrange.

SIRE, on ne sçauroit penser à l'estat florissant de ce Royaume, lors de l'auènement de Vostre Maiesté à cette Couronne, qu'on ne déplore en mesme temps les confusions présentes. Le feu Roy Père de Vostre Maiesté luy laissa tous ses Estats paisibles au dedans et triomphans au dehors. L'authorité Royale estoit en vigueur; la Discipline dans les armées; l'Obéissance dans les Prouinces. Les Ministres de sa Maiesté estoient en estime; ses Esdits et Ordonnances exécutées; les Finances autant bien administrées que la condition des temps et des guerres le pouuoit permettre; car encor qu'elles se consommâssent pour la plus grande partie dans l'entretènement de nos armées tant Françoises qu'Estrangères, elles ne laissoient pas de reuenir à nous par vn commerce et vn reflus qui conseruoit l'abondance. La foy publique qui fournissoit tant de prompts secours aux nécessitez les plus pressantes de l'Estat, estoit religieusement gardée; la punition suiuoit les crimes; et la récompense les actions louables.

Auiourd'hui, par vn reuers aussi surprenant comme il est déplorable, toutes les choses se trouuent dans vne disposition entièrement contraire : l'authorité Royalle affoiblie et presque anéantie; les armées dans la licence qui est telle que les violences et les rauages des gens de guerre dans leurs routes et leurs garnisons n'espargnent pas mesme les maisons des Gentilshommes qui sont dans le seruice; les Prouinces réuoltées; les principaux Ministres de Vostre Maiesté dans le mespris et dans l'horreur; les Edicts du Prince sans exécution; les Finances ou dissipées ou

diuerties: ce qui cause la misère et l'atténuation du général et des particuliers; le crédit et la foy publique tellement ruinez qu'il est impossible de trouuer le moindre secours dans les plus grandes nécessitez; en un mot, les démérites et les crimes récompensez, les seruices et les fidélitez punies.

SIRE, ce n'est pas icy le lieu où l'on doiue accuser les causes prochaines de tous ces désordres; il suffit de représenter à Vostre Maiesté que l'estat présent de ses affaires semble vne manifeste préparation à quelque grand changement, et que, pour le préuenir, il est temps de penser sérieusement aux remèdes salutaires.

Toutes les fortunes des suiets de Vostre Maiesté, de quelque Ordre qu'ils soyent, estant comprises dans celle de l'Estat, ils sont tous obligez de parler en cette rencontre et de luy porter leurs remonstrances accompagnées de leurs très-humbles supplications; et sur tous, ceux qui composent la Noblesse de Vostre Royaume, ne peuuent demeurer dans le silence sans encourir le blasme d'vne lascheté aussi honteuse, comme elle est contraire à leur naissance et à leur profession.

SIRE, on ne sçauroit présumer que ceux qui sont préposez à l'éducation de Vostre Maiesté, ne luy ayent souuent dit qu'Elle ne tient son Royaume que de Dieu et de l'espée de ses ancestres; qu'il a esté fondé et cimenté auec le sang des premiers Nobles de cet Estat, et que leurs descendants et ceux qui dans la suite des temps ont mérité par leurs belles actions d'estre distinguez du vulgaire, sont les véritables appuys de cette Monarchie, par conséquent les personnes les plus intéressées en sa conseruation.

Ce n'est pas que par cette prééminence de la Noblesse,

nous prétendions obscurcir le mérite des autres Ordres. Nous sçauons que les secours et les Contributions du Tiers Estat sont des conditions sans lesquelles tous les plus grands courages ne pourroyent rien produire, et que le Clergé attire par les prières et par le culte de la vraye Religion l'assistance et les bénédictions du

Ciel.

Mais, SIRE, la Noblesse de vostre Royaume se peut vanter que comme elle approche de plus près de la personne et des fonctions essentielles de Vostre Maiesté que aucun des autres Ordres, elle prend aussi plus de part en ce qui la touche. Elle reconnoit sa subsistance si estroitement liée à celle de la Monarchie que l'vne ne peut estre altérée sans que l'autre souffre, ny renuersée sans que l'autre périsse.

C'est sur ce fondement, SIRE, qu'vne bonne partie de cet ordre, ioint à plusieurs Princes nez dans vos Estats et sous votre domination, ose se présenter à Vostre Maiesté pour la supplier de vouloir agréer ses Remonstrances et Requestes très-humbles.

Dans l'appréhension qu'ils ont tous d'vne réuolution qui les anéantiroit dans la ruine publique, ils ne peuuent plus différer de représenter à Vostre Maiesté que pour releuer l'authorité Royale au point d'où elle est déchue, restablir l'Ordre en toutes sortes de conditions et préseruer l'Estat de la subuersion dont il est menacé, il n'y a point de remède plus infaillible que celui qui a esté pratiqué par nos ancestres en des nécessitez pareilles et beaucoup plus moindres, qu'est l'Assemblée générale des trois Ordres du Royaume.

SIRE, dans cette Assemblée, les Députez de toutes les Prouinces, conuoquez au nom de Vostre Maiesté, pour

ront auec sa permission luy proposer, suiuant leur conscience et leur honneur, les véritables moyens pour réduire les peuples à leur première obéissance et à la contribution nécessaire pour soustenir nos conquestes et la gloire de nos armes; faire rentrer les Officiers tant d'espée que de robe dans le iuste exercice de leur deuoir et de leurs charges; régler l'administration des Finances par des Ordonnances et formes nouuelles et inuiolables; trouuer de quoy acquitter les debtes de Vostre Maiesté et remettre la foy publique si essentielle à la dignité du Prince; faire vne exacte recherche de tous les crimes importans et dont la conséquence est pernicieuse à l'Estat. Enfin le consentement de tant de personnes choisies et aduouées des peuples apportera tout ce qui peut seruir à la réformation des désordres que la licence des guerres a introduits; et les secours que Vostre Maiesté peut désirer dans les nécessitez présentes de son Estat, seront d'autant plus exigibles qu'ils sembleront procéder de la bonne volonté et meure délibération des suiets.

SIRE, Vostre Maiesté nous permettra, s'il luy plaist, de luy dire qu'il est temps de trauailler à toutes ces choses et que nous estimons qu'on ne sçauroit réussir plus efficacement que par cette Assemblée. Comme elle sera plus célèbre et plus authentique que nulle autre, nous croyons qu'elle trouuera plus de vénération et de déférence dans les esprits des peuples; que les Ordonnances qui émaneront de l'absolu pouuoir de Vostre Maiesté sur les cayers qui luy seront présentez, seront suiuies d'vne obseruation purement volontaire, et que Votre Maiesté, imitant en cette rencontre la prudence de ses prédécesseurs, n'en retirera pas moins d'auantages qu'ils ont fait dans des nécessitez moins extresmes.

Ce seroit vn dénombrement ennuyeux si nous rapportions icy toutes les Assemblées des Estats Généraux, pour authoriser les motifs de celle-cy. Il suffira d'en remarquer quelques exemples des plus conuenables à nostre temps et à l'estat présent des affaires, afin que Vostre Maiesté voye que nous ne lui proposons rien qui n'ayt esté pratiqué en de semblables désordres.

Après la iournée de Poitiers et la prison du Roy Iean, le Daufin son fils, depuis Roy, surnommé Charles le Sage, ne fust pas plustost à Paris qu'il y conuoqua les Estats Généraux pour conférer auec eux sur le gouuernement du Royaume et les moyens de déliurer le Roy son père. Il est vray que comme les grands remèdes n'opèrent point sans tourmenter ou débiliter quelque partie, les animositez de quelques particuliers de cette Assemblée causèrent les destitutions de trois ou quatre Officiers; mais au fonds elle conspira tousiours à la conseruation de l'Estat. Et lorsque le Roy d'Angleterre, abusant de l'auantage que luy donnoit la prison du Roy Iean, proposa des conditions de paix trop insolentes, l'Assemblée générale les reietta généreusement et se prépara incontinent à fournir toutes les choses nécessaires pour la continuation de la guerre.

Et nous remarquons encore qu'après le Traitté de Bretigny les diuerses infractions des Anglois ayant obligé le mesme Roy Charles à leur déclarer vne nouuelle guerre, ses Estats Généraux assemblez de nouueau à Paris l'assistèrent par des subsides très-considérables, dont ils entreprirent et exécutèrent entr'eux-mesmes les leuées.

Louis XI, Prince autant soupçonneux comme il estoit ialoux de son authorité, bien qu'après le Traité de Conflans, il ne se trouuast pas encore trop assuré des Princes

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