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sa haine auoit esté augmentée par les obligations qu'il auoit auec M. le Prince : c'est le naturel des âmes lasches de haïr ceux ausquels ils sont infiniment redeuables. Et par là encore, combien de gens d'esprit ontils préueu que celuy qui luy deuoit la vie, luy osteroit la liberté ? Mais depuis ce qui arriua pour le Pont de Larche', depuis que M. le Prince l'eust menacé, et qu'il eust la faiblesse (il me pardonnera si i'en parle ainsi) de se raccommoder auec son Italien, qui n'a pas publié tout haut que M. le Prince estoit perdu? Les Grands sont si malheureux qu'ils ne croyent personne, qu'ils s'asseurent trop sur leur grandeur; et pourtant il y a tant d'exemples funestes de leur ruyne, qu'il est incompréhensible à ceux qui ont le sens commun, qu'ils soyent et qu'ils veulent tousiours estre les dupes des Fauoris. Il n'y a rien de si saint que nous n'ayons veu prophaner par leur insolence; ce qui a esté de plus cher dans les Estats, a esté de tout temps consacré à leurs intérests. C'est le premier tesmoignage qu'ils donnent de leur puissance; et il y en a fort peu qui n'aye eu quelque victime de la Maison Royale. Monstre abominable, que tu deurois estre en horreur à tous les Princes, puisque tu te repais ordinairement du plus précieux sang des Estats!

Après cela y a-t-il encore quelqu'vn qui doute de la ioie qu'il a receue de sa vengeance, parce que dans cette lettre il a fait l'affligé et a voulu persuader qu'il auoit eu vne répugnance extresme à consentir à cette résolu

Le prince de Condé disait que le cardinal Mazarin lui avait promis le gouvernement de Pont-de-l'Arche pour le duc de Longueville lors de la paix de Saint-Germain; et il lui reprochait aigrement sa mauvaise foi. C'est après une explication vive sur ce sujet qu'un jour il le quitta en lui disant : « Adieu, Mars. »

tion? Mais sa vengeance n'est que le moindre de ses intérests. L'asseurance de sa fortune et l'establissement de sa grandeur luy en ont donné d'autres satisfactions; car au lieu qu'il voyoit que son Ministère alloit deuenir inutile, puisque la Reyne, Monsieur et M. le Prince vouloient la paix, que le Parlement la demandoit auec instance à cause de l'extresme nécessité des peuples, et que les Espagnols de leur costé la vouloient autant que nous, et qu'ainsi il ne seroit plus cette fameuse Idole qui reçoit depuis si longtemps des offrandes de toutes sortes de mains, sa perte et sa cheute sembloient infaillibles. Il s'est rendu, par le moyen de ces emprisonnemens, le Maistre absolu de tout, parce que la guerre ny les voleries, ny sa puissance ne finiront point, que tous les iours il faudra faire de nouuelles impositions, qu'il aura vn prétexte perpétuel de retranchement des gages des Officiers et de mal payer les rentes de l'Hostel de Ville, et que non seulement il disposera des charges et des Gouuernemens qui vaqueront doresnauant, sans contradiction de personne, mais dès à présent il a donné tous ceux que possédoient ces Princes, à ses créatures et à ceux qui sont dans ses intérests; de sorte qu'il s'est trouué en vn moment par leurs despouilles plus puissant qu'ils n'ont iamais esté, sans parler de l'espérance qu'il a d'estre bien tost par la délicatesse et par le peu de santé du Prince de Conty et par la rigueur de sa prison l'héritier de tous ses grands bénéfices. Voilà les véritables motifs de l'emprisonnement de ces Princes. Le reste de l'accusation n'est que pour amuser le peuple, et pour tromper les simples qui croient tout ce qui est imprimé, et qui se laissent piper par les apparences, lesquelles, comme des Phantômes, achèue

ront de s'esuanouir à mesure que nous irons plus auant dans cette grande accusation qui a esté l'effort des artifices du Cardinal Mazarin et de l'éloquence de ceux qui le seruent.

Il a dépeint M. le Prince comme vn Géant qui vouloit empiéter le trosne de leurs Maiestez et qui se vouloit seruir contre eux des biens et de la puissance qu'il tenoit de leurs graces. Pour ruiner ce Prince en effet, il l'a fait riche en apparence; et pour l'abbattre entièrement, il a esleué sa puissance sur des faux fondemens et son ambition sur de vaines imaginations. Les trois moyens de son accusation sont : il est trop riche; il est trop puissant; il est trop ambitieux. Sa défense seroit aisée en trois parolles; que c'est à la vérité vn des Princes du monde le plus riche de gloire, de Conquestes et de Victoires; le plus puissant pour défendre nos frontières, la grandeur de l'Estat et l'authorité du Roy; et le plus ambitieux de fidélité pour son Prince, pour sa parolle et pour ses amis.

Mais comme l'inuectiue faite contre M. le Prince est fort estendue, il la faut examiner plus amplement. Il l'accuse d'estre le plus riche suiet qui soit dans la Chrestienté. C'est le crime dont les Tyrans accusoient autrefois les hommes quand ils vouloient prendre leurs biens; mais si d'estre riche, c'est vn crime, que le Cardinal a fait d'innocens pour deuenir criminel! Il a plus d'or en Italie qu'il ne nous en reste en France; et l'on a vérifié, à ce qu'on dit, par les Registres des Banquiers qui ont négotié ses affaires, plus de cent soixante et dixhuict millions de liures qui ont esté enuoyez de son ordre et sous son nom en Italie. Ie veux croire qu'il y a de la faute en ce calcul; mais il n'y en a point en celuy

cy que le Chapeau de Cardinal qu'eut son frère le Iacobin', couste à la France plus de douze millions de liures. Il est certain que le Cardinal M. a pris des sommes immenses pour la marine, dont il a disposé sans en rendre compte. Il est constant que les Vénitiens soustiennent en partie la guerre du Turc par le moyen de l'argent content que le Cardinal a dans leurs banques. Il est publié qu'il n'y a quasi plus d'or ny de bonne monnoye en France. Qu'est-elle deuenue? Tout le monde. le sçait. Ce superbe Palais de Rome où il a fait conduire plus de trois cens ballots de meubles des plus précieux de toute l'Europe, et son Palais de Paris le publient assez hautement. Nous auons beaucoup de Princes qui n'ont point vaillant ses Statues, ses Meubles, sa Bibliothecque et ses Escuries, sans y comprendre ses pierreries. Après cela, quelque Eloquence que puisse auoir vostre Orateur, il ne persuadera pourtant à personne que vous ayez eu raison d'accuser M. le Prince d'estre le plus riche suiet qui soit dans la Chrestienté, et pour cela de le faire emprisonner; et quelque soin au contraire que vous ayez pris à vous faire pauure, quelque artifice que vous ayez employé pour tromper la Reyne et Monsieur sur ce suiet, i'ose me promettre que si iamais ils iettent les yeux sur ce discours, ils ne croiront pas que vous soyez sans trésors, ny que M. le Prince en aye. Ce n'est pas néantmoins que ce partage ne fut bien iuste. Il y a bien de la différence du petit-fils d'vn chapelier à vn Prince du Sang de France, et qui a l'honneur d'estre de la Maison du Roy qui est la plus Illustre race du monde et la mieux marquée, puisque les sources d'or et les mines qui portent les plus précieuses pierreries, ne

'Pietro Mazarini, de l'ordre des Jacobins, cardinal de Sainte-Cécile.

sont pas si riches ny si renommées. Auec cela, M. le Prince n'a point de biens que ceux que Monsieur son Père luy a laissez et qu'il a méritez par des seruices de soixante années; et vous n'auez que ceux que vous auez volez à l'Estat depuis six ou sept ans; et cependant vous estes assez imprudent pour luy reprocher de médiocres biens sans considérer que vous en auez d'infinis.

Peut-estre, vous aurez plus de raison dans la suite de cette lettre, où vous accusez M. le Prince des grands establissemens qui sont dans sa maison, soit en charges, en gouuernemens ou en biens d'Eglise. A la vérité, le ramas que vous en auez fait, donne de l'éblouissement; et comme il vous a donné de l'ennui, vous auez cru qu'il pourroit causer de la ialousie contre luy. Ie veux croire que vous auez réussi et que vous auez surpris d'abord beaucoup de personnes; mais sans doute tout le monde se destrompera, quand ils considèreront qu'il y a bien de la différence entre auoir des charges et des gouuernemens et estre criminel, púisque au contraire ce sont les récompenses de la vertu et des seruices, et les marques de l'estime et de la confiance que l'on a eu de la fidélité de ce Prince, et que ses charges et ses gouuernemens l'engageoient plus nécessairement et l'vnissoient plus inséparablement au seruice du Roy, duquel il ne s'est iamais destaché, comme nous le sçauons tous. Comment voudriez-vous condamner ce que la Reyne a fait par vostre aduis, et ce que le défunt Roy, le plus sage de tous les Roys, auoit fait auparauant elle? De son règne feu M. le Prince n'auoit-il pas la charge de grand Maistre? et les mesmes gouuernemens, les establissemens de sa maison estoient-ils moins considérables qu'ils ne sont à présent? Non sans doute, puisqu'il s'en

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