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faut l'Admirauté qui estoit dans sa famille, les gouuernemens de Broüage, des Iles de Ré et d'Oléron, et M. de Brezé, son beau-frère, qui valoit mieux tout seul que Brouage et l'Admirauté, et qui mourut d'vn coup de canon dans le seruice1.

Mais M. le Prince n'a-t-il rien mérité de son chef? Ne comptez vous à rien les batailles qu'il a gagnées, les villes qu'il a prises, les merueilles qu'il a faites en Flandre et en Allemagne, les hazards qu'il a courus mille et mille fois, et le sang qu'il a respandu pendant que vous estiez à la Comédie et à résoudre icy l'emprisonnement et la mort de Messieurs de Bruxelles, de Blancmesnil et de beaucoup d'autres? Comment après tant de preuues de sa valeur et de sa fidélité trouuezvous à redire qu'il y aye moins d'auantage dans sa maison qu'il n'y en auoit du viuant du feu Roy et du défunct M. le Prince? O le grand crime, Messieurs! le moyen de s'en défendre! le fils possède le bien de son père; et le Roy luy a continué les mesmes grâces.

Mais il ne se contentoit pas, dites-vous; il vouloit traiter de Charleuille et acheter de ses deniers le mont Olympe; voilà des crimes bien nouueaux! Il auoit demandé des troupes pour conquérir la Franche Comté et la posséder après en Souueraineté, ou les conquestes qui auoient esté faites en Flandres du costé de la mer. 11 auoit demandé vn corps de caualerie pour aller du costé du Liége appuyer le dessein qu'auoit le Prince de Conty, son frère, pour la coadiutorerie de cet Euesché. Il auoit demandé l'espée de Connestable. Il auoit demandé plusieurs fois l'Admirauté et plusieurs autres choses. Voilà

1 Armand de Maillé, duc de Brézé, tué au combat naval d'Orbitello.

bien des demandes; mais voilà bien des refus. Voilà bien des pensées inutiles (si ce n'est à vostre Réthorique) et lesquelles, ie m'asseure, ne viennent pas toutes de M. le Prince. Sans doute le C. M. luy en a fait proposer la meilleure partie, afin de l'amuser de vaines espérances, comme il a bien sceu entretenir beaucoup d'autres personnes d'imaginations creuses et qui n'ont produit que du vent et des resueries. Si nous sçauions, Messieurs, combien il a fait en promesses de Prélats et de Cardinaux ; combien de fois il a marié l'Empereur en France et le Roy de Portugal; combien il a fait de Ducs et de Pairs, de Mareschaux de France, de Cheualiers de l'Ordre, de Généraux d'armée, de Gouuerneurs de places et de Prouinces; combien il a fait de Secrétaires d'Estat, de Surintendans et de Garde des Sceaux; bref combien de fois il a marié ses niepces; combien de fortunes il a fait, nous admirerions ce grand Ministre, qui seul a plus fait de bien que tous les Roys n'en ont fait depuis l'establissement de la Monarchie. L'Admirauté, l'espée de Connétable, les conquestes de Flandres et les autres aduantages qu'il veut que M. le Prince aye désirés, sont asseurément des imaginations Mazarines; mais si nous sçauions combien, après tant de piperies, il y a encore de propositions de sa part de cette mesme nature, combien ce négotiateur éternel a sous luy de négotians, nous aurions honte de la foiblesse du siècle qui ne se peut désabuser de ce charlatan.

Toutes fois sans nous arrester aux pensées dont il accuse M. le Prince, ny aux imaginations dont il trompe encore tant de personnes, examinons quels establissemens redoutables M. le Prince auoit en sa maison, et si par la comparaison des gouuernemens, cette accusation

ne sera pas aussi iniuste que celle des richessses qu'il a reprochées à M. le Prince.

Les gouuernemens de Bourgogne, Bresse et Berry sont les moins considérables du Royaume, tant à cause du peu d'étendue qu'ont ces Prouinces, que de leur situation; outre qu'il n'y a aucune place forte, Bellegarde excepté. M. le Prince, à la vérité, auoit en Champagne Stenay et Clermont; mais qu'est-ce pour vn Prince du Sang? car de vouloir mettre en compte le Gouuernement de Champagne qu'auoit le Prince de Conty, et la place de Dampuilliers, il n'y a point d'apparence; non plus que du Gouuernement de Normandie qu'auoit le Duc de Longueuille. Et quand M. le Prince seul eust possédé tous ces Gouuernemens, ce n'estoit pas de quoy balancer l'authorité du Roy, ny pour deuenir redoutable à la France, puisque l'Empire et l'Espagne ne luy sont pas comparables.

Venons maintenant aux establissemens du C. M.; et en faisant la paralelle avec ceux de M. le Prince seul et mesme de toute sa famille, l'on verra quelle disproportion il y aura entre les vns et les autres.

I. Le C. M. a le plus puissant et le plus précieux gouvernement du monde. Il est gouuerneur de la personne du Roy, qui est le maistre de tous les Gouuerneurs. La Reyne, outre cela, l'a fait premier Ministre et luy a donné sa principale confiance; et ainsi il a le gouuernement de ces deux importants Estats, c'est-àdire du Roy et de la France. Il donne des bénéfices; il dispose des Finances et tient l'authorité absolue dans le Conseil; bref il commande dans la Cour, dans les armées et dans le Royaume, parce que le bien et le ma sont en ses mains et qu'il est le maistre de la bonne

et de la mauuaise fortune. Il ordonne de la paix et de la guerre comme il lui plaist. Voicy comme il en vse la guerre d'Italie pour Portolongone et Piombino a esté entreprise pour son seul intérest, et pour luy en faire vne principauté; ses confidens en ont les gouuernemens. Pignerol, Suze et Casal sont en sa dépendance.

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Ainsi il est maistre de tous les aduantages que la France a dans la Sauoye et dans l'Italie. Pour la Catalogne et le Roussillon, il en est aussi en possession: La Fare' et Noailles qui ont esté capitaines de ses gardes, lui conseruent Rose, Perpignan et Salses; le frère de La Fare est gouuerneur de Balaguier; et Launoy luy garde Tortose. L'Estrade, qui a esté aussi son capitaine des gardes, est pour luy dans Dunquerque. Enfin il peu de places considérables dont il ne soit asseuré par le moyen des personnes qui se sont entièrement déuouées à son seruice. La Claucire est dans Philisbourg; il a donné à Tilladet, beau frère du Thellier, Brissac, qui est vn gouuernement de deux à trois cent mille liures de rente. Lanoy est dans Ardres; Chastelnau est à

'Charles-Auguste, marquis de La Fare.

'Anne, comte et depuis duc de Noailles.

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Geoffroy, comte d'Estrades, depuis maréchal de France et ambassadeur. Relation contenant le secours ietté dans la ville de Grauelines par les soins du sieur d'Estrades, etc. [3098].

Le marquis de Tilladet. On peut consulter sur sa nomination au gouvernement de Brissac le Manifeste du sieur de Charleuois sur sa détention, etc. [2395]; l'Eslection du Comte d'Harcourt au gouuernement de l'Alsace, etc. [1273].

* Michel Le Tellier, alors ministre de la guerre et depuis chancelier de France.

Jacques, marquis de Castelnau Mauvissière, depuis maréchal de France. Il est mort en 1658, des suites des blessures qu'il avoit reçues à la bataille des Dunes.

Brest; le Comte de Broglie1 est dans la Bassée; Nauailles' est dans Bapaulme; et si ie ne craignois pas d'estre trop long dans le desnombrement des autres, il ne seroit pas mal aisé de faire connoistre que toutes les récompenses sont pour ses domestiques et pour ses créatures, et que ceux qui seruent les Princes, n'ont iamais rien. Paluau pour cette raison a eu Courtray et Ipres qu'il a perdus, et fut préféré à M. de Chastillon3. Considérez s'il y a quelqu'vn, ie ne dis pas chez M. le Prince, mais chez M. le Duc d'Orléans, où il y a tant de personnes de Naissance, de mérite et de seruice, qui aye esté gratifié d'vn Gouuernement semblable à Perpignan, Rose, Dunquerque ou Brissac. Y a-t-il vn des seruiteurs de Monsieur qui aye eu vn Bénéfice de dix mille liures de rente? A-t-on donné beaucoup d'esuéchez à sa recommandation? Et M. le Prince à qui on reproche tant, qu'a-t-il fait pour les siens, sinon qu'il a aydé à la promotion de l'Euesque d'Angoulesme et de l'Archeuesque de Bourges seulement, et qu'il a serui à Gassion pour le baston de Mareschal de France, et à Messieurs de Chastillon pour obtenir le Breuet de Duc? Mais les vns et les autres ne méritoient ils pas ces récompenses? Et

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'N., comte de Broglie, un des favoris de Mazarin. Il y a sur lui des anecdotes dans les Véritables motifs de la retraite de M. le Comte d'Harcourt, etc. [3970], et dans l'Histoire véritable d'vn accident tragique arriué à Pontoise, etc. [1651].

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Philippe de Montaut de Benac, comte et puis duc de Navailles. Il a été maréchal de France. On a de lui des Mémoires estimés. Il est parlé de lui dans la Marche de l'armée de Monseigneur le Prince au-deuant du Cardinal Mazarin [2408].

* Gaspard IV de Coligny, duc de Châtillon, tué devant Charenton le 8 février 1649.

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