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Ie ne doute pas que les sieurs de Chasteauneuf et de Molé, dont le premier fut esleué à la charge de Ministre d'Estat et le second à celle de Garde de Sceaux, ne se soumissent pour lors à ce choix qu'on faisoit de leurs personnes, auec intention de donner des preuues d'vne générosité telle que leurs seruices passez nous la faisoient attendre des deux plus anciens officiers de la Couronne, et de ne seconder les passions de la Reyne pour le restablissement du Cardinal Mazarin qu'autant qu'ils pourroient connoistre que leur complaisance seroit inutile à la conduite qui le pourroit fauoriser.

C'est du moins la réflection de ceux qui ont estudié vn peu plus attentiuement la politique de Mme de Cheureuse, laquelle n'ayant iamais eu de dessein de protéger le Cardinal Mazarin que pour le faire périr plus infailliblement, suggéra le dessein de poursuiure M. le Prince, moins en intention de le pousser à bout, quoy que néantmoins elle en eust d'en estre rauie, que de rendre le retour du Mazarin impossible par la nécessité qu'elle sembloit imposer à son party, de ne le rappeller point en Cour pendant qu'il seroit nécessaire de faire croire aux peuples que le dessein de son restablissement seroit vne fausse apparence que M. le Prince prétexteroit à ses véritables desseins.

De cette pierre elle prétendoit faire deux coups; premièrement elle donnoit assez de loisir à M. de Chasteauneuf de s'ancrer dans le Ministère et de se rendre nécessaire dans cet illustre employ., pendant que la Cour seroit aux prises auec M. le Prince, dont elle iugeoit bien que la puissance ne laisseroit iamais voir aucun iour au restablissement du Cardinal Mazarin, puisque la nécessité de traiter cette raison de prétexte

deuoit tousiours estre indispensable; secondement elle iugeoit bien que si la passion de la Cour n'estoit point assez patiente pour attendre l'occasion fauorable à ce restablissement, il luy seroit très facille, par l'entremise de M. de Chasteauneuf, de le presser auec vne aparence de zelle pour son succez, mais en effet pour le faire auorter en le précipitant auant le temps.

Le premier de ces deux coups eust porté, si la passion n'eust prédominé dans le Conseil et si l'impatience de reuoir le Cardinal Mazarin n'eust obligé la Cour d'en haster le restablissement1, malgré les grandes incommoditez qu'elle y peut préuoir, par les grands auantages qu'elle donne à M. le Prince de faire hautement retentir la iustice des raisons de son armement, qu'on ne sçauroit désormais traiter de prétextes, puisqu'elles sont visibles à tout le monde.

Ainsi les plus aduisez se doutent bien que Mme de Cheureuse et son party n'ayant point réussi dans le dessein de maintenir M. de Chasteauneuf dans le Ministère, sur la raison qu'ils ont eû de faire voir du danger dans le retour du Mazarin par lequel M. le Prince deuoit estre iustifié, ils ont crû qu'après les efforts inutiles qu'ils ont fait pour s'y oposer, il falloit tenter de faire triompher leurs intentions en les précipitant par leurs conseils.

En effet, à bien considérer les affaires, il semble qu'il n'a iamais esté moins à propos de rappeler le Cardinal Mazarin qu'il l'est auiourd'huy, puisque, pour faire condamner M. le Prince dans la créance des Peuples, c'est à dire pour ietter la sollitude dans son party, il estoit

Lettre du Roy escrite au cardinal Mazarin [2164]; Ordre du Roy........ du cardinal Mazarin [2625]. pour le passage

nécessaire que toute la France ne doutast point de la sincérité du bannissement de Mazarin, dont on sçauoit que l'apréhension feroit grossir le party de ceux qui se mettroient en posture de luy vouloir oposer des obstacles.

Voilà le dessein de Mme de Cheureuse, de M. de Chasteauneuf et de tout son parti. Mais celuy de la Reyne, qui se conduit par des intrigues toutes particulières, a esté de conclure au restablissement par d'autres raisons premièrement, elle a veu qu'elle auroit beau attendre, si elle espéroit que la raison dont M. le Prince prétend iustifier son armement, puisse passer pour prétexte, tandis qu'on aura subiet de soubçonner qu'estant le chef et maîtresse de tout le Conseil, elle conseruera tousiours le dessein de restablir celuy qu'elle ne croit estre chassé que par attentat; secondement, elle a iugé que deux ou trois petits auantages dont le bonheur venoit récemment de fauoriser ses armes, rendoit la précipitation de ce restablissement moins imprudente, par la réflection qu'elle a fait, que la ionction des troupes de Mazarin auec les siennes luy pourroit faire espérer quelque plus notable succez; troisièmement, elle a veu qu'il estoit fort à craindre que si ce retour estoit plus longtemps différé, M. le Prince ne se rendist enfin assez fort pour y former des obstacles inuincibles, par la grande aparence qu'il y auoit que Son Altesse Royale deuoit pancher de ce côté là, et par le bruit qui couroit assez probablement que les Ducs de Guise et de Nemours venoient pour grossir l'armée de M. le Prince, le premier de six mille Espagnols', et le second

Manifeste de monseigneur le duc de Guise touchant.... les raisons de sa ionction auec M. le Prince [2369]; Manifeste de M. le duc de Guyse contenant les véritables motifs de la levée d'vne armée, etc. [2382].

de quatre mille Lorrains1; quatriesmement, les Partisans du Mazarin luy ont fait entendre que ce Ministre ne pouuoit rentrer dans l'Estat que par la mesme porte par laquelle il en est sorty, et que s'il y reuenoit à la faueur des troubles, il ne se pouuoit à tout rompre qu'il n'y demeurast enfin à la faueur d'vn accommodement.

M. de Chasteauneuf qui ne désire rien moins que ce retour, n'a pas manqué d'attaquer fortement toutes ces raisons; mais l'opiniastreté des Mazarins pour les faire valoir, en a empesché le triomphe. Tellement que ne voyant plus de iour à les pouuoir combattre, il s'est auisé de les renforcer en apparence, pour les affoiblir en effet auec plus de succez. Il a donc consenti, malgré ses véritables sentimens, au dessein de haster le retour du Mazarin', non pas comme on dit, parceque le Mazarin s'est engagé par serment de renoncer pour iamais en sa faueur à la charge de premier Ministre d'Estat3, car on sçait qu'il a pour première maxime de n'estre point esclaue de ses paroles, mais parce qu'il a iugé que la présence de ce proscrit fauoriseroit le dessein qu'il a de le faire périr, en procurant l'vnion de ceux qui le perdront infailliblement, à moins qu'ils ne le regardent auec indifférence.

Pour faire réussir cette politique, il a fait le passionné pour les intérests de la Reyne, en luy faisant entendre qu'estant du moins moralement impossible d'arracher le Cardinal Mazarin d'entre les mains de

Entrée et la marche de l'armée de monseigneur le duc d'Orléans, etc. [1227]; ; Lettre du Roy escrite à son Parlement de Paris sur l'entrée des Espagnols, etc. [2162].

2 Articles accordez entre MM, le cardinal Mazarin, le Garde des sceaux Chateauneuf, etc. [402].

Lettre de M. le cardinal Mazarin à M. le Préuost des marchands [1985].

tant d'ennemis qui sembloient estre sur le point de se liguer, il estoit à propos de leur lier les bras par les auances de quelque composition auantageuse.

Ce conseil n'a pas esté désaprouué, quoy qu'en effet il soit très dangereux pour le Cardinal Mazarin, auec lequel tout le monde sçait qu'il n'est pas asseuré de traiter; et pour l'exécuter promptement, la carte blanche a esté présentée à Son Altesse Royalle et à M. le Prince, à celuy là pour le traité du Mariage de Mademoiselle d'Orléans, sa fille, auec Sa Maiesté, et à l'autre pour l'entérinement de toutes les propositions qu'il pourra faire; et tout cela à condition qu'ils cesseront tous deux de s'opposer au retour du Mazarin, auec protestation qu'il ne sera iamais parlé de luy redonner le gouuernement de l'Estat.

Qui ne iugeroit que cet aduis part d'vne passion sincère pour le restablissement du Mazarin? mais si l'on veut prendre la peine d'en considérer l'intrigue auec plus de réflection, ne iugera-t-on pas que M. de Chasteauneuf prétend faire connoistre la foiblesse et le désespoir du Mazarin par les propositions aduantageuses qu'il luy fait auancer d'vn accommodement, lors même qu'il sembleroit deuoir estre en estat de se remettre malgré les résistances de tous ses ennemys, pour les obliger par cette connoissance qu'il leur donne de la foiblesse de Mazarin, à conspirer plus fortement contre luy, que plus ils ont suiet d'en espérer vne glorieuse défaite?

La raison que M. de Chasteauneuf a d'espérer que ces propositions de la Cour, quelque avantageuses qu'elles semblent estre, seront rebutées néantmoins de Son Altesse Royale et de M. le Prince, c'est qu'il a remarqué

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