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suiet son naturel. Et ie ne fonde pas cette opinion sur vne conuiction, mais sur le particulier de ce que i'ay remarqué dans ces derniers troubles. Nous n'auons point veu que M. le Prince se soit pu résoudre depuis trois mois à faire la chose du monde qu'il sçait le mieux, qui est la guerre; nous n'auons point veu que les plaintes d'vne belle armée qui dépérissoit par son absence, l'ayent pu obliger à faire vn pas qui pust arrester les négociations; nous n'auons point veu que l'apréhension de la perte de sa réputation dans les peuples ait eu la force de le toucher iusques au point de l'empescher vn seul moment de traitter avec le Cardinal Mazarin. Cette conduite qui a paru absolument contraire à toutes les règles de la véritable Politique, ne peut auoir de source que dans ces mesmes maximes qui l'ont porté dans les temps paisibles à ne pas soustenir auec assez de dignité la qualité de Prince du Sang et qui font que dans les troubles il ne remplit pas les deuoirs d'vn bon Chef de party. Et de là toutes ces fausses mesures, et de là ce peu d'aplication à donner l'ordre aux choses, à maintenir les armées, à soustenir la réputation de la cause, à mesnager les peuples, à satisfaire ses amis et ses seruiteurs; et de là toutes ces négociations auec le Cardinal Mazarin qui ont ietté le public dans la défiance et dans l'aigreur et qui ont causé du chagrin en paroles et la léthargie en effet.

Ces mauuaises productions d'vne mauuaise cause firent tenir à Monsieur le Prince, par nécessité, la conduite qu'il auoit prise par choix. Le peu d'ordre qu'il a mis dans son party, fait qu'il ne peut pas estre assez puissant pour se rendre le maistre des affaires; le grand éclat qu'il a fait contre la Cour, fait qu'il n'y peut plus prendre de confiance que par des establissemens qu'il

aura tousiours dessein d'obtenir et qu'il n'obtiendra pourtant iamais, parce qu'il n'a pas pris ses mesures assez iustes, ou pour se les procurer par la douceur, ou pour les acquérir par la considération du party qu'il a formé.

Il est donc éuident que M. le Prince s'est imposé à luy-mesme, par sa mauuaise conduite, la funeste nécessité de conseruer tousiours le Cardinal Mazarin parce qu'il ne peut auoir d'espérance de faire réussir ses desseins que sous vn ministère aussy foible que le sien, et de perpétuer la guerre en France parce qu'il ne peut auoir de paix auec luy, où il trouue sa seureté, que par des establissemens qui ne pouuoient estre accordez qu'à la force du party qui a perdu toute sa vigueur par le peu d'ordre qu'il y a mis. Il est donc vray que l'intérest nécessaire de Monsieur le Prince est de conseruer le Mazarin et de rompre en toute occasion la paix.

Il faut auouer qu'il y a beaucoup de raison dans le reproche que l'on fait au Cardinal de Retz, de n'auoir pas connu ses véritables intérests quand il n'est pas demeuré précisément dans les bornes de sa profession; et il est certain que s'il ne se fust seruy des talens que Dieu luy a donnez, que dans les fonctions Ecclésiastiques, il eust réussi dans la réputation des hommes d'vne manière qui n'eust pas esté à la vérité si releuće, mais qui luy eust donné plus de douceur, qui eust esté exposée à beaucoup moins d'enuie et qui sans contredit eust eu plus d'approbation parmy toutes les personnes de piété. A parler chrestiennement, ce raisonnement est iuste, quoy qu'il puisse receuoir des exceptions et qu'il soit véritable que le Cardinal de Retz n'est point blasmable, mesme selon les règles les plus estroites, s'il se trouue en effet qu'il

ait esté engagé dans les affaires (comme il a paru par le siège de Paris dont les intérests luy doiuent estre si chers), non pas seullement par la politique, mais mesme par la raison et par le deuoir, que l'on peut dire auec iustice qu'il ne s'est pas ietté par choix dans les emplois du monde, mais qu'il y a esté emporté par son obliga

tion.

Ce qui a fait croire qu'il n'y a pas esté forcé par la pure nécessité, est cette pente naturelle que l'on a tousiours remarquée qu'il auoit aux grandes choses. Il est difficile de distinguer la gloire de l'ambition. Elles ont. souuent les mesmes effets; elles viennent presque tousiours de mesme cause; elles ne se rencontrent presque iamais que dans les esprits de mesme trempe. Ie voy qu'il y a partage dans le monde, laquelle de ces deux passions est le principe des actions de Monsieur le Cardinal de Retz. Tous ceux qui ne le connoissent pas dans le particulier, en font le jugement que l'on fait d'ordinaire de tous ceux qui sont dans les grandes affaires, qui est qu'ils n'ont ny de règles ny de bornes que celles qu'ils cherchent dans l'ambition et qu'ils n'y rencontrent iamais. Je voy beaucoup de gens qui l'approchent et qui croyent auoir pénétré son naturel, qui sont persuadez qu'il est plus touché par la gloire des grandes actions que par l'amour des dignitez.

Les premiers fondent leur opinion sur la maxime généralle et qui reçoit à la vérité fort peu d'exception, et sur la dignité de Cardinal à laquelle il s'est esleué dans vn aage où l'on a veu peu de particuliers y estre paruenus. Les derniers se confirment dans leurs pensées par le mespris que le Cardinal de Retz a fait toute sa vie du bien, qui est pour l'ordinaire fort recherché par les ambitieux,

parce que c'est l'instrument le plus propre pour faire réussir leur passion; et adioustons de plus que le cardinalat en la personne d'vn Archeuesque de Paris n'est qu'vne suite fort ordinaire de sa dignité. Lequel qu'il ayt suiuy de ces deux principes, il ne nous est pas mal aisé de discerner où sont ses intérests. S'il agit par l'amour de la gloire, peut-il rien souhaitter auec tant de passion que l'accomplissement entier de l'ouurage auquel il a tant contribué, de l'expulsion du Cardinal Mazarin, puisqu'il a tiré iusques icy la plus grande partie de son esclat de l'opposition qu'il a eue auec ce Ministre? Peutil rien désirer auec tant d'ardeur que la paix et le repos, laquelle, s'il y contribue, effacera ce qui peut estre demeuré d'enuie et de reproche dans l'esclat qu'il s'est acquis dans les troubles et dans les agitations de l'Estat ? Et si le Cardinal de Retz n'a pour règle de sa conduite que son ambition, ie le trouue néantmoins heureux en vn poinct, , que s'il prend bien ses intérests, comme il faut auouer que iusques icy il les a assez bien entendus, il ne peut en auoir de véritable et par le bon sens et par sa conduite passée qu'à chasser le Cardinal Mazarin qui luy est vn grand obstacle par la puissance qu'il a dans la Cour, et qui par son seul nom, donne plus de force à Monsieur le Prince (des intérests duquel le Cardinal de Retz est fort esloigné) que des armées entières; et qu'à procurer la paix et particulière et généralle qui donne l'abondance à Paris, dont la grandeur est autant son aduantage que celuy du public et qui conserue le lustre à toutes les grandes dignitez Ecclésiastiques, pareilles à celle dont est reuestu Monsieur le Cardinal de Retz; à quoy i'adiouste que le Cardinal de Retz ayant eu depuis quatre ans tant de part à toutes les actions qui ont esté agréables au public: à la

défense de Paris, à la paix de Bourdeaux, à la liberté des Princes, à l'esloignement du Cardinal Mazarin, et n'en ayant eu aucune à tout ce qu'il y a eu de foible et de tragique à la conduite de ce party: au massacre de l'Hostel de Ville 1, à la désolation de nos campagnes, à l'oppression de Paris, il a vn très-particulier intérest que les affaires finissent parce qu'il en sort auec beaucoup d'honneur et parce que ses ennemis ne les achèuent qu'auec honte, haine et confusion. Il est donc vray que son intérest est l'esloignement du Cardinal Mazarin et la paix du Royaume.

Ie ne m'estendray point sur les intérests de Monsieur le Duc de Beaufort: il ne les connoist pas assez luy-mesme pour sçauoir en quoy ils consistent; ny sur ceux de Messieurs de Chauigny et de Longueil et pareils négociateurs : ils ne sont pas assez considérables pour auoir place en ce lieu et pour donner quelque bransle aux affaires; et ie croirois manquer à la vérité et au respect que ie dois à Monsieur le Duc d'Orléans, si i'osois seullement mettre son nom dans vn ouurage qui porte le titre d'Intérest, puisque toute l'Europe auoue qu'il n'en a iamais eu d'autres le bien de l'Estat, le seruice du Roy, le soulagement des peuples et la tranquillité publique.

que

' Ceci montre que les Intérests du temps auraient dû être rejetés après le 4 juillet, dans la Liste chronologique des Mazarinades

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