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La vérité toute nue, ou Aduis sincère et désintéressé sur les véritables causes des maux de l'Estat et les moyens d'y apporter le remède [4007]'.

(7 août 1652.)

Puisque la colère de Dieu, si iustement irritée par nos péchez, a permis que lorsque la France faisoit trembler tous ses ennemis et estoit en estat de pouuoir donner la paix au reste de l'Europe, comme elle l'auoit donnée à l'Allemagne, et de se la procurer à soy-mesme auec tant d'auantage qu'elle n'auroit pas esté moins durable que glorieuse, elle se trouue auiourd'huy réduite, par nos diuisions domestiques, dans vne telle extrémité de malheur qu'il faut auoir renoncé à l'amour de sa patrie et à tout sentiment d'humanité pour ne pas contribuer, comme quelques gouttes d'eau afin de tascher à esteindre cet embrazement, et ses larmes en la présence de Dieu et ses aduis à ceux qui peuuent s'en seruir pour le bien général de tout le Royaume, ie m'estime d'autant plus obligé à parler dans vne occasion si pressante que ie n'ay point veu dans tous les Écrits qui ont paru iusques icy, qu'on ait approfondy iusques dans leur source les causes des maux qui nous font périr, ny qu'on ait leué ce voile funeste qui empesche presque généralement tout le monde de discerner les ténèbres d'auec la lumière, les

1 On a attribué ce pamphlet au père Faure, confesseur de la reine, et depuis évêque d'Amiens. Mailly le proclame un peu emphatiquement l'ouvrage le plus satisfaisant, le plus raisonnable qui soit sorti de la presse dans ce temps d'extravagances. >>

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intérests cachez d'auec le zèle apparent et les faux prétextes d'auec les intentions véritables.

Ie proteste deuant le Dieu viuant et qui peut d'vn coup de tonnerre me réduire en poudre si ma protestation n'est véritable, que ie ne suis par sa grâce porté en cecy ny d'aucun intérest ny d'aucune haine, et que si ie me sentois pressé de l'escrire par les raisons que ie viens de représenter, ie n'aurois iamais pu me résoudre de mettre la main à la plume pour dire des choses qui seront d'autant plus mal receues de la pluspart de ceux qu'elles regardent, qu'ils sçauent en leur conscience qu'elles sont plus véritables.

Il faut donc voir clairement quelles sont les causes de nos maux, afin de iuger des remèdes qui sont capables de les guérir. Et c'est ce que ie vais tascher de faire.

La première cause est sans doute nos péchez, dont nous ne sçaurions demander pardon à Dieu auec trop de soupirs, de gémissemens et de larmes, ny en faire vne trop séuère pénitence. Personne n'ignore quelle fut celle des Niniuites; mais, au lieu de l'imiter, on se contente de les imiter et mesme de les surpasser dans leurs offenses.

Quant aux causes secondes, la dissipation des Finances peut passer sans difficulté pour la principale et la première de toutes. On ne sçauroit penser sans horreur à la manière dont elles ont esté administrées depuis le temps du Cardinal de Richelieu. Au lieu de choisir des hommes dignes de remplir la charge de Surintendant, qui est la plus importante du Royaume, principalement durant vne aussy grande guerre que celle que nous soustenons depuis tant d'années, puisqu'elle en fait mouuoir tous

les ressorts, on a veu vn Mareschal Desfiat disposer plus absolument des trésors de l'Estat que les autres ne disposent de leur bien propre, et faire en mesme temps aux portes de Paris, en Auuergne et en Aniou des despences et des bastimens que le Roy, son maistre, n'auroit osé entreprendre; Versailles, qui ne seroit pas vne trop belle maison pour vn particulier, ayant esté la seule que ce grand Prince ait bastie durant tout son règne. On a veu vn Bullion, ce monstre d'inhumanité, d'impudicité et d'auarice, voller auec la mesme hardiesse que d'autres ménageroient l'argent du public, et laisser des biens si prodigieux, non-seulement en argent mais en fonds, que ce grand nombre de terres qui pourroient toutes ensemble composer vne prouince, sont des marques tousiours visibles de la vérité de ce que plusieurs personnes sçauent: que ce redoutable Ministre, qui s'estoit rendu le maistre de son maistre, disoit qu'il auoit tousiours dans sa boiste de quoy faire pendre ce Surintendant, afin de le tenir sans cesse dans vne dépendance absolue et vne obéissance aueugle. On a veu, comme des Harpies subalternes nées pour la ruyne du peuple, vn Cornuel qui estoit l'âme damnée de Bullion, ce qui est tout dire en vn mot pour exprimer sa vertu et sa probité; vn Bordier, qui, tirant son illustre naissance d'vn Chandelier de Paris, a despencé plus de trois cent mille escus à bastir sa maison du Rincé (Raincy) par vne insolence sans exemple, mais qui mériteroit pour l'exemple qu'on le logeast à Montfaucon qui en est tout proche; vn Galland qui, estant fils d'vn paysan de Chasteau-Landon, s'est fait si riche en peu d'années qu'vn Président au Mortier n'a point eu honte d'espouser sa Le président Le Coigneux.

vefue; vn Lambert, fils d'vn Procureur des Comptes, qui, portant encore plus dans le cœur que sur le visage le caractère d'vn Iuif, a laissé quatre millions cinq cent mille liures de bien dont le Président Viole, ce bon François et ce fidelle seruiteur du Roy, a eu pour sa part plus de quatre cent mille liures; vn le Camus qui, estant venu de rien et ayant au moins dix enfans, a laissé au moins vn million de liures à chacun; vn Bretonuilliers qui, n'estant autresfois qu'vn simple Receueur général des Finances de Limoges, a gagné tant de millions qu'estant assez bon homme d'ailleurs, il en auoit honte luymesme; vn de Bordeaux qui, pour n'en auoir pas du tout tant, ne doit pas estre accusé de négligence puisqu'il a tousiours esté beaucoup plus ardent et plus hardy que luy pour en acquérir; et vn Tubeuf qui, de petit commis du Mareschal Desfiat, est deuenu en peu d'années Intendant des Finances, Président des Comptes et aussi riche qu'il est grand ioueur. Ie serois trop long si ie voulois nommer tous ceux qui ont fait comme en vn moment tant de fortunes prodigieuses, et ce grand nombre de Partisans et de Traittans sortis de la lie du peuple, dont les noms n'ont esté connus que par la somptuosité de leurs festins, le luxe de leur train et de leurs meubles, la magnificence de leurs bastimens et les cris qu'ont poussez iusques au ciel les aisez, la pluspart mal aisez, dont ils ont rauy le bien, et tant de pauures officiers qu'ils ne se sont pas contentez de priuer entièrement de leurs gages par des taxes continuelles, mais qu'ils ont mesme réduits à s'enfuyr et à se cacher pour conseruer leur liberté, en les voulant contraindre par vne barbarie inimaginable de payer sur leur autre bien encore d'autres taxes qu'ils ne pou

uoient prendre sur leurs gages parce qu'ils n'en iouissoient plus.

Voilà au vray en quel estat estoient les Finances lors de la mort du feu Roy. Voyons maintenant de quelle sorte elles ont esté depuis administrées. On ne sçauroit sans iniustice accuser la Reyne d'auoir eu dessein d'amasser de grands trésors durant sa Régence, puisqu'au contraire chacun sçait qu'elle doit beaucoup et qu'elle n'a pu acheuer l'Église du Val-de-Grâce, qui est le seul bastiment qu'elle a entrepris. Mais le Cardinal Mazarin estant entré auec vne authorité absolue dans le ministère et ayant trouué les affaires du Roy dans la nécessité où tant de voleries les auoient réduites, fit-il par l'establissement d'vne bonne Chambre de Iustice (ie dis bonne à la différence de ces autres Chambres, non pas de iustice, mais d'iniustice, que nous voyions si souuent auparauant et qui ne seruoient qu'à autoriser les crimes au lieu de les chastier), fit-il, dis-ie, par l'establissement d'vne bonne Chambre de Iustice, remettre dans les coffres du Roy, pour le soutien de l'Estat et le soulagement du peuple, ce que ces sangsues auoient desrobbé? Abolitil le luxe que ces volleurs auoient introduit et qui a causé vn luxe général par la peine que chacun auoit de souffrir que des gens de néant parussent si fort au-dessus d'eux? Et enfin choisit-il pour Surintendant vn si homme de bien, si homme d'honneur et qui eust les mains si pures qu'il peust, autant par son exemple que par sa probité et par ses soins, apporter des remèdes aux maux que ses prédécesseurs auoient faits? Au contraire, il se rendit le protecteur de ces Harpies; il fit des principaux d'entr'eux ses familiers auec lesquels il passoit les nuicts à iouer grand ieu : ce qui est vn crime et vn grand crime à

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