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bandé les yeux pour ne les pas apperceuoir. Ce sont les infidèles conseillers et les Patrons de l'authorité absolue. Vne domination modérée n'est pas suiette à ces accidens; et si elle reçoit quelque atteinte, c'est par l'attaque du dehors. Car par elle mesme et de son estoc, elle est presque immortelle, ne plus ne moins qu'vn corps bien tempéré et sobrement nourry, qui de soy ne forme ny fièure ni abcez et qui ne peut estre endommagé que par des accidens estrangers. Qu'heureux seroient les Roys si on pouuoit purifier leurs cours de la contagion de ces pestes! Or cela n'est pourtant pas impossible; car nous sçauons qu'il y a des Royaumes en Europe où le nom de fauory n'est non plus en vsage que la chose. Pourquoy la France, l'Espagne et l'Angleterre ne s'en pourroient-elles pas bien passer? Mais puisque cette maudite engeance est si opiniastre à nous affliger et qu'ils ne veulent pas démordre ny se destacher de nostre peau, quoyqu'ils regorgent de nostre sang, soyons de nostre part perséuérans à nostre légitime défense; et taschons d'en dégouster nos Rois et nos Reines qui la protégent.

Quant aux fauoris et fauteurs de la puissance absolue, il ne leur faut pas tant de respect; nous auons assez de qualité et de charactère pour leur parler du pair. Que si leur orgueil les empesche de nous escouter, nous sommes contens de n'en estre pas creus ; mais nous leur produirons les aduis des sages anciens, selon que la mémoire nous fournira. Et premièrement Polybe leur apprendra qu'il faut faire vne notable différence entre la Monarchie et la Royauté. C'est vne puissance légitime déférée par la volonté et le choix du peuple. La Monarchie, c'est vne puissance violente qui domine contre le gré

de subiets et qui les a sousmis contre leur gré. La Royauté se gouuerne par la raison; la Monarchie à discrétion et selon la conuoitise du commandant. La fin de la Royauté, c'est l'vtilité commune; la fin du Monarque, c'est la sienne particulière. Aristote, le Roy des esprits et du raisonnement humain, dit que le gouuernement Monarchique, c'est-à-dire d'vn seul, est bestial comme celui du Roy des abeilles, qui les régit sans conseil; que la Royauté, c'est vn gouuernement propre des hommes, qui s'administre par conseil et par communication de l'aduis des personnes bien sensées. Cicéron, le prince des philosophes Latins aussi bien que des Orateurs, dit après Aristote, et auec le consentement de tous les Politiques, que les peuples ont esleu les Roys pour leur faire iustice et pour les protéger; pour cet effect, qu'ils ont choisi les plus vertueux et les plus sages. Et quand Cicéron, Polybe et Aristote ne l'auroient pas dit, peutil entrer dans le sens commun qu'on en aye peu user autrement? Ces mesmes grands génies nous disent que les gouuerneurs des peuples et des républiques, soientils Roys, Empereurs, Electeurs, Consuls, ou qualifiez de tels autres noms qu'on voudra, ne doiuent point estre considérez autrement que comme sont les tuteurs à l'esgal de leurs pupiles: Vt tutela, sic procuratio reipublicæ, ad eorum vtilitatem qui commissi sunt, non ad eorum quibus commissa est, referenda est. Cic., lib. 1. Officiorum. Cet oracle est si vtile, si beau et d'vne vérité si indubitable qu'il deuroit estre escrit dans tous les palais des Princes, dans tous les auditoires de iustice et dans toutes les chambres du conseil public. Fabius-Maximus, au Rapport de Tite-Liue, sur ce que le ieune Scipion vouloit passer son armée en Afrique con

tre le consentement du Sénat, auança son aduis en ces termes: l'estime, Pères conscrits, que Scipion a esté créé consul pour le bien de la république et pour le nostre, et non pas pour le sien particulier. Le mesme se peut dire à tous ceux à qui on donne le commandement pour gouuerner vne nation, de quelques noms qu'ils soient honorez. Et comme ce consul ou ce dictateur est obligé d'agir et de se régir par iustice pendant son année ou ses six mois, le Roy pareillement est obligé d'administrer iustice pendant tout le cours de sa vie et de son règne. On ne les a iamais esleus sous d'autres conditions; et il ne peut pas tomber dans le sens de qui que ce soit, que iamais vne communauté, pour barbare qu'elle aye pû estre, se soit formé vn chef pour en estre affligée et gourmandée. Cela estant ainsi, de quelque date que soit l'origine d'vne Monarchie, elle ne peut pas prescrire la liberté de la nation qui lui a donné l'estre et le commencement. C'est vne maxime indubitable en Droict, que les gens de robbe ne doiuent pas ignorer, que, nemo potest sibi mutare causam possessionis. Hue Capet fut esleu par les estats de France pour régner équitablement et suiuant les loix du païs; il en fit le serment solemnel lors de son sacre; il a par quent transmis le royaume à sa postérité, à cette mesme condition. Si Louis XI a entrepris quelque chose au delà, il a pesché contre son deuoir et contre son tiltre; et les Estats tenus à Tours sous Charles VIII, son fils, ont esté bien fondez à remettre les choses en leur premier estat et dans les bornes de l'équité. Les Roys qui ont suiuy depuis, se sont maintenus dans vne louable modération. Louis XII a mérité le nom de Père du Peuple. Henry IV, nourry dans la licence des guerres, hors

consé

de la discipline de la vraye Religion, attaqué par les armes, irrité par les plumes, diffamé par vn million d'inuectiues, estant paruenu enfin à la Royauté, il s'y est comporté si légalement qu'il n'a iamais fait bresche à aucune loy fondamentale de l'Estat, n'a iamais contraint aucune compagnie de Iudicature, n'a pas mesme molesté aucun particulier de ceux qui les composoient, iusqueslà que pour faire passer l'Edict de Nantes, il prit soin d'honorer le Président Séguier de l'ambassade de Venise pour éuiter sa contradiction. Nous sçauons encore que s'estant échappé à quelque parole vn peu dure contre le Président de Harlay, il le renuoya quérir dès le lendemain pour luy en faire des excuses. C'est pour cette raison plustost que pour ses exploits militaires, que nous luy auons donné le titre de Grand; et ce fut en cette veue qu'on mit sous son pourtraict (ie pense que ce fut le Cardinal du Perron) :

Ce grand roy que tu vois, de sa guerrière lance
Subiugua ses suiets contre lui réuoltez;

Mais d'vn plus braue cœur, quand il les eut domtez,
Luy mesme se vainquit, oubliant leur offense.

C'est ce modèle que le Mareschal de Villeroy deuroit faire voir à son disciple, et non pas des exemples d'authorité absolue, que les Grecs appelleroient tyrannie. Quant à cette clause impérieuse laquelle on a coustume d'apposer à la fin des ordonnances et lettres Royaux, Car tel est nostre bon plaisir, c'est vne légère obiection, de laquelle néantmoins tous les autres peuples nous font reproche, comme de la marque de nostre esclauage. Mais ceux qui sont tant soit peu intelligens dans nos formalitez, sçauent que ces termes ne signifient autre chose, sinon : tale est placitum nostrum; tel est notre Conseil. Il

dépend, puis après, des Parlemens ou des autres moindres luges d'examiner la iustice de telles Lettres et de les vérifier si elles sont trouuées légitimes et raisonnables. Mais de penser que ce mot de car, soit vne causatiue, qui influe vn charactère d'authorité aux lettres et qui tienne lieu d'vne raison inéluctable, il n'y a point d'apparence; et la pratique des Iurisdictions ordinaires y résiste, qui refuse tous les iours des lettres munies et fermées de cette clause. Et c'est ce car là qu'on pourroit iustement abandonner à la correction des Docteurs de l'Académie, non seulement comme inutile, mais comme de pernicieuse conséquence. Or, la première ordonnance où nous trouuons qu'il a esté mis en vsage, ç'a esté celle de Charles VIII, de l'an 1485, par laquelle il défend les habits d'or et de soye aux gens de moindre condition et les réserue pour la noblesse. A la fin de cette ordonnance il adiouste: Car tel est nostre plaaisir. A la vérité on ne peut pas dire que le Royaume de France se peut plaindre d'vn tel édict; et on pourroit bien le pardonner à ce Roy là, quand il n'auroit pas allégué d'autre raison. C'est vne des confusions de nostre siécle les que de néant s'habillent et se meugens blent aussi somptueusement que les Princes et qu'ils ne leur laissent aucun discernement. Et ce n'est pas simplement vne faute de bienséance que le luxe; c'est l'origine de toutes les concussions et de tous les vols publics.

Reuenons à cette puissance absolue; et disons qu'elle n'est pas compatible auec nos mœurs, soit chrestiennes, soit françoises. Il ne faudroit plus d'Estat; il ne faudroit plus de Parlement; il faudroit abolir le sacre de nos Rois et le serment qu'ils font sur les saincts Euan

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