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tesmoigné vne fermeté si grande que bien que cet honneur de la Lieutenance Générale fust apparemment trèsauantageux à son Gouuerneur, qui l'avoit accepté, il n'a pas laissé de le condamner comme vne entreprise détestable, et de déclarer ceux qui l'auroient appuyée ou fauorisée, criminels de Lèze Maiesté; toutes ces Compagnies et toutes ces Cours non moins souueraines que la vostre, nous faisant connoistre dans cette rencontre que vos intentions et vos ordres bien souuent ne sont pas la règle de leurs iugemens, mais la matière de leurs cen

sures.

Que si l'inexpérience, la sollicitation, le tumulte, et, si on ose parler auec le vulgaire deuant Nosseigneurs, si la Fronde n'auoit pris, comme elle a fait, le plus haut ton, l'âge, la sagesse, l'authorité et les lumières de la vraye prudence n'eussent pas manqué de se déclarer en faueur de la Iustice et de la vérité. Le nombre, grâces à Dieu, est assez grand, et la qualité encore plus remarquable, de ceux qui confessent que se séparer de l'authorité Royale, c'est se perdre, et qu'il n'y a point de Paix, de Ministère, dé Gouuernement ny de condition qui ne doiuent estre préférez à toute sorte de Guerre Ciuile.

Et c'est, Nosseigneurs, la seconde réflexion particulière que l'on vous remonstre en tout respect, auec la soumission deue à la Cour, sçauoir : l'estat misérable sous lequel nous gémissons. Espérons que vostre bonté et vostrẻ vigilance trauailleront désormais à la guérison de nos maux, puisque vous n'en pouuez ignorer la cause. A la vérité, toute la France et mesme toute l'Europe s'estonne d'vn changement si soudain et d'vne conduite si estrange.

Nous autres gens simples et pacifiques, auons bien de

la peine à deuiner qui c'est qui a noircy la blancheur des Lys et qui a meurtry l'esclat de l'or? Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus? Le Cardinal naturalisé François par son humeur, par sa vertu, par son mérite, par vos arrests, par le choix et par les emplois très illustres et très auantageux au bien de ce Royaume dont le deffunct Roy Louis XIII, d'heureuse mémoire, l'a honoré, n'est pas autre qu'il estoit quand vous avez veu son administration toute remplie de bonheur et de sagesse et accompagnée d'vne foule de succès extraordinaires et admirables, tandis qu'on luy a laissé la liberté d'agir et que chacun est demeuré dans les fonctions et dans les limites de sa Charge. Nous auons raison de vous demander, Nosseigneurs, d'où vient le changement de nostre fortune et la cause de nos disgraces.

Comme les peuples doiuent respect à vos Charges et obéyssance à vos Arrests, parce qu'ils portent le caractère Royal, vous deuez, par vne obligation réciproque, soulagement à leur misère et instruction à leur ignorance. Et véritablement nous ne conceuons pas bien que vous ayez la balance en main pour ne la faire pencher qu'où il vous plaist. Vous ne voudriez pas n'estre assis sur les Fleurs de Lys que pour les fouler et les flétrir. On a peine à se figurer qu'estant les gardes et les dépositaires de l'authorité Royale, quelques vns paroissent agir comme feroient des Vsurpateurs; qu'ayant de vous mesmes pris la qualité de Tuteurs de la Veufue et de l'Orphelin, vous procuriez ou n'empeschiez pas leur oppression; que deuant estre, non pas les Maistres et les Capitaines, mais les sages Pilotes de nostre nauire, vous n'ayez pas préueu la tempeste, ou que, l'ayant préueue, vous ne l'apaisiez pas, ou qu'au moins ne la pouuant calmer, vous ne ca

liez pas les voiles pour diminuer d'autant la fureur de l'orage.

Qu'estant Curateurs du bien public, vous ne vous soyez aperceus qu'il estoit blessé que quand vos intérests ont esté choquez par vn Édit du Roy qui n'auoit rien d'extraordinaire, et que vous auez cru la saison fauorable pour accroistre vostre authorité; que le droit des remonstrances ne vous estant point osté, vous ayez passé cette ligne qui fait la séparation entre le Trosne et le Tribunal.

Mais, à n'en point mentir, nous pensons voir des ombres ou des songes quand nous voyons ce que nous ne pouuons pas encore croire en le voyant; ce que nos pères n'ont iamais veu, et ce que ceux qui viendront après nous, auront peine à croire que cet Auguste Parlement ait seruy de Théâtre à la faction; qu'elle y ait changé aussi souuent de face qu'on feroit en vne Comédie; que la Ieunesse ou la violence y ait fait prendre des conclusions tumultuaires; que la Religion et l'intégrité de la Cour se soit laissé surprendre iusque là que d'approuuer le Recours aux Espagnols, des voyages en Flandres et l'entrée de leurs Enuoyez en vos Assemblées; que tant d'artifices, d'intrigues et de souplesses ayent esté ou ignorées ou plustost dissimulées; qu'après la conclusion du traitté de paix et vne Amnistie générale de tous costés, on se soit encore laissé fasciner par les mesmes enchantemens et les mesmes prétextes de l'administration du Cardinal.

Que les voyages de Normandie et de Bourgogne', qui nous ont paru des torrens de conquestes, la leuée in

1 En 1650. Le roi était parti le 2 février pour la Normandie, et le 5 mars pour la Bourgogne.

espérée du siége de Guyse, suiuie peu après de la réduction de Bourdeaux et du pacifiement de la Guyenne', tant de glorieux succez qu'vne mesme année auoit veu naistre, couronnez auant qu'elle finist, et comblez au cœur de l'hyver par la, prise de Rétel et par la défaite des Troupes ennemies' qui venoient le secourir et pren→ dre leurs quartiers d'hyver dans le voisinage de Paris; enfin que l'esclat de tant de seruices n'ait fait que rallumer ou vostre vengeance ou vostre auersion contre ce

luy qui les auoit rendus; que vous ayez voulu que le bonheur d'auoir chassé les Ennemis du Royaume vous fust vne raison de l'en chasser luy mesme; que vous luy ayez déclaré la Guerre pour auoir donné la Paix et le calme à tout l'Estat; et qu'afin, disiez vous, d'affermir ce calme et cette paix, vous ayez entrepris de forcer le Roy et de luy oster la liberté, pour le faire consentir à celle d'vn grand Prince qui n'en deuoit vser que pour nous la rauir et pour nous rendre esclaues de l'Espagner Quel mystère est celuy cy, Nosseigneurs? Pour empescher la Guerre, vous la renouuellez; pour establir la Paix, vous bannissez celuy qui venoit de la faire dans le Royaume, pour estre suiuie aussitost de la générale, et deliurez celuy qui la deuoit rompre au mesme temps que les chaisnes de sa prison, en appellant et en attirant comme il a fait de tous costez les Ennemis les plus implacables de la France, pour la mettre en proye et pour l'abandonner à leur fureur!

Mais ce qui surpasse toute créance, c'est que la Iustice cesse d'être Justice pour le seul Cardinal Mazarin; que

1 1er octobre 1650. Déclaration du Roi accordée à son Parlement et ville de Bordeaux, etc. [902].

218 décembre 1650.

l'on bouche les oreilles à la voix de son innocence ou de sa Iustification; qu'on ouure des voyes pleines de nouueauté et de cruauté pour le rendre coupable. Si, Nosseigneurs, vous ne voyez pas la collusion des Princes et le trafic des Grands, la Iustice a bien plus d'vn voile sur les yeux. Si, reconnoissant fort bien que sous le nom et le prétexte du Cardinal, on vise directement à la Reyne et on attaque mortellement l'authorité du Roy, vous le souffrez, à qui est-ce désormais que les oppressez doiuent recourir? Si vostre zèle n'enuisageoit que le bien public et le soulagement du pauure peuple, d'où vient que l'on n'a rien auancé dans ces matières et que l'on n'en parle point du tout dans vos assemblées?

Pardonnez nous, Nosseigneurs, si nous ne pouuons conceuoir que vous ayez renfermé le restablissement des affaires et le salut de toute la France dans l'esloignement d'vn seul homme. S'il est coupable du moindre des crimes dont l'accusent les Colporteurs du Pont Neuf, vos Arrests sont infiniment trop doux; s'il est innocent, ils tiennent autant de la rigueur que de l'iniustice. Soit qu'il soit coupable ou innocent, qui ne s'estonnera qu'en le iugeant, vous n'ayez gardé ny la compétance ny l'ordre ny les formes de la Iustice; donnant contre luy cet Arrest sans exemple qui met sa teste à prix, qui le rend la victime de la plus sanguinaire barbarie et fait également horreur à la Religion et à l'Estat?

Falloit-il, à la honte de nostre siècle, voir éclore de vos bouches et de vos mains vn monstre semblable à celuy-là, que vous détestez vous mesmes au fonds de vos consciences?

S'il

y a de l'horreur en cette entreprise, il n'y a pas

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