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Ne s'est-elle pas vantée qu'elle ruyneroit de bon cœur la moitié de la France pour se venger de l'autre, et par mesme moyen de toutes deux? Ne luy a-t-on pas ouy dire qu'elle allumeroit les guerres ciuiles pour y faire périr les plus redoutables ennemis du Roy, son frère, puisqu'elle n'auoit peu les faire périr en les abandonnant au milieu du danger, comme M. le Prince de Condé et M. le Comte d'Harcourt deuant Lérida? N'a-t-elle pas protesté qu'elle n'entreroit iamais dans Paris que dans vn vaisseau flottant sur le sang de ses ennemis? Ne luy a-t-on pas veu donner ordre, chemin faisant, de ruyner le reste des moissons que la fureur des soldats auoit espargnées? Ne sçait-on pas qu'elle demande à ceux qui viennent de Paris, si elle peut encore espérer que la famine la vengera bientost de cette grande ville? Bon Dieu! quelles paroles! Si elle n'a frémy en les aduançant, il faut bien qu'elle ait vn cœur à l'espreuue de tout sentiment humain.

Elle a désià réussi dans la pluspart de ses intentions. Des quatre parties de la France, trois sont sur les dents. Il n'y a que Paris qui lui pèse beaucoup sur les bras, parce qu'il a encore vn peu de pain; mais si nous ne nous resueillons pas vn peu, il est à craindre qu'elle en viendra bientost à bout.

Ils (les princes) n'en veulent qu'au Mazarin; et nous en voulons au Mazarin et à la Reyne, encore plus à la Reyne qu'au Mazarin. Ce n'est pas à l'espée qui fait le meurtre, mais au bras qui l'a maniée, que la Iustice s'en doibt prendre. Le Mazarin n'a esté que l'instrument des passions de la Reyne. Il n'a rien fait qu'elle n'ayt voulu, parce qu'elle l'eust bien empesché de faire si elle ne l'eust

point voulu; mais si le Cardinal Mazarin vouloit s'enrichir, la Reyne vouloit nous appauurir; et cet Estranger n'a iamais eu de mauuais dessein que cette Estrangère n'ayt encore fait paroistre innocent en enchérissant par

dessus.

Le feu Roy, qui cognoissoit fort bien la Reyne, ne lui vouloit iamais laisser la Régence. Les flatteurs luy firent succomber, mais après auoir ouy dire de la bouche d'vn Roy mourant « Hélas! vous ne cognoissez point la dame!» Nous la cognoissons bien maintenant; mais nous la cognoistrons encore mieux si nous voulons auoir la patience d'estre yn peu plus sçauans. Hélas! que nostre ignorance nous estoit bien plus aduantageuse et qu'il nous eust mieux valu de ne sçauoir point ce qu'elle sçauoit faire, parce que nous ne sçaurions pas maintenant que nous viuons sous la tyrannie.

LE ROY.

Qui a esleué le Roy? N'est ce pas le Mazarin? Qui le possède? N'est ce pas la Reyne? Qui le fait agir? N'est ce pas I'vn et l'autre? Ie soustiens donc qu'il ne peut estre bon Roy qu'auec miracle, parce qu'il n'a iamais appris l'art de régner que de ceux qui ne le sçauent point.

Le Mazarin l'a esleué; il faut donc qu'il en ayt fait vn fourbe; car il ne peut luy auoir appris que ce qu'il sçait. Si le Roy est fourbe, malheur à l'Estat qu'il gouuernera! La Reyne le possède; elle ne luy fera donc gouster que du sang; car ce n'est que le sang qu'elle respire. Que peut-on espérer de tout cela?

Quelque beau naturel que le Roy ayt eu, estant tendre, il a esté capable de receuoir toute sorte d'impressions. Il

n'a peu receuoir que les impressions qu'on luy a données. Ceux qui luy ont donné des impressions, sont ceux qui l'ont esleué ou qui le possèdent encore. Ceux qui l'ont esleué et qui le possèdent encore, sont tous ou violens ou fourbes ou sanguinaires ou cruels ou vindicatifs. Peut-il donc auoir receu des impressions qui ne soient de mesme nature?

Cette humeur, naturellement bien faite, mais néantmoins desbauchée par l'artifice, ne sçauroit estre corrigée que par vne espouse. La Reyne consentira-elle au mariage? Si la politique n'est point menteuse, elle le différera tant qu'elle pourra, parce que la continuation de son pouuoir est incompatible auec le mariage du Roy. Il y faudra néantmoins consentir, parce que les nécessitez de l'Estat le requerront. On parle de Mademoiselle. Ie croy bien que cela se feroit si la Iustice estoit escoutée; mais cette Princesse est trop généreuse et trop clairuoyante. Il faut vn naturel moins ingénieux ou plus lasche mériter que pour la Reyne ne s'y oppose point; ou pour le moins il faut que la Reyne soit sans pouuoir. La vertu est auiourd'huy désaduantageuse pour les affaires d'Estat, parce que les meschans gouuernent. Pour mériter d'estre esleué, il faut faire voir qu'on ne le mérite point. Néantmoins, si l'Estat m'en croit, il crèuera plustost que de permettre l'entrée du lict Royal à d'autre qu'à la fille des deux branches Royalles d'Orléans et de Montpensier.

LE DUC D'ORLÉANS.

Il est bien constant que le Duc d'Orléans a escouté toutes sortes de personnes. Le Coadiuteur, la Che

ureuse, Chasteauneuf et le reste des Mazarins n'ont iamais esté rebutez. Il est bien probable que les conseils de ces Messieurs n'ont iamais visé à terminer les affaires parce que leurs intérests, dit-on, ne s'y retrouuoient pas.

On dit que le Coadiuteur a tousiours fomenté dans l'esprit du duc d'Orléans vn certain deffy de la puissance du Prince de Condé. Si cela n'est pas vray, cela n'est pas trop mal fondé. Le Coadiuteur hayt le Prince de Condé. Cette haine ne peut subsister que par le soupçon qu'il entretient dans l'esprit du Duc d'Orléans pour s'y rendre nécessaire. Si le Duc d'Orléans s'est deffié du Prince de Condé, il n'a iamais agi auec vigueur pour seconder ses desseins. Raisonne là dessus qui voudra.

Vn homme qui entend tout le monde, ne peut qu'il n'en reçoiue des impressions diuerses, à moins qu'il ne soit indépendant de toute sorte de conseil estranger. Le duc d'Orléans n'a pas cette qualité, parce qu'il se deffie par trop de soy mesme, quoyqu'il puisse et qu'il sçache plus que tous les autres. Se peut il donc que les partizans de deux partis contraires l'aient attaqué sans le faire bransler diuersement selon les mouuemens qu'il en receuoit? Qui reçoit le bransle de diuers mouuemens, n'agit iamais vniformément. Si le Duc d'Orléans n'a point agi vniformément, le party qu'il appuyoit par préférence, ne pouuoit qu'il ne marchast d'vn pied languissant. Ie n'en dis pas daduantage, parce que tout le monde en dit assez.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Le Prince de Condé a l'esprit perçant, ambitieux, hardy, vigilant, actif, infatigable, à l'espreuue de la fortune et des reuers. Voilà les qualitez qu'on luy donne. Elles sont en elles mesmes toutes innocentes; elles peu

uent estre mauuaises dans leurs obiects. Ses ennemis mettent ces qualitez dans l'excez; ses amys les retiennent dans la modération et dans les bornes. N'escoutons ni les vns ni les autres; parlons auec indifférence; et iugeons de tout cela sans passion.

Auant le blocus de Paris, c'estoit le Dieu de l'Estat. Il n'y auoit que l'enuie qui lui peust contester pour lors ces sept qualitez susnommées dans leur plus parfaite modération; mais l'enuie n'est que l'ombre de la vertu. Après le siége, la haine a changé les iugemens, parce qu'elle a altéré les imaginations dans ceux qui ne règlent leurs iugemens qu'à l'intérest.

Mais, sans flatter le dé, quel fut le crime du Prince de Condé dans ce siége? C'est sa trop grande passion pour maintenir l'Authorité Royalle; c'est sa trop grande soubmission aux ordres d'vne souueraine. Parlons franchement : luy, qui estoit inuincible, se laissa vaincre par les larmes de la Reyne. Elle engagea sa parole par ses adresses de femme et par ses charmes de souueraine. Sa parole engagée l'obligea à la poursuite qui a causé toutes ses trauerses et les nostres. Iusques là ie ne vois point de plus grand manquement que celuy de n'auoir point esté prophète pour préuoir les fautes de ce dessein.

Les autres disent que si l'ambition de ce Prince n'eust esté fort modérée, il n'y auoit pas plus loing de luy à la Souueraineté que de Sainct Germain à Paris. I'en iuge autant, et auec moy tous les plus sensez. Pourquoy est ce donc qu'il ne se laissa point gagner à ce charme? Parce qu'il n'est pas moins vainqueur de l'ambition que de nos ennemis; parce qu'il vouloit seruir, non pas destruire son Roy. Il n'a donc point esté malheureux que d'auoir esté suiet d'vne femme ou de n'auoir pu désobéyr sans

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