ページの画像
PDF
ePub

CHAPITRE XCVII.

Comment la guerre s'esmut en Boulenois. Du retour du Roy dedens Paris. Et comment le duc d'Orléans contenta les Anglois; et autres matières servans.

Item, en ce mesme temps vindrent d'Angleterre à Calais, nagans par mer, les contes de Warvich et de Kent, envoyez par le roy Henry, à tout deux mille combatans ou environ. Lesquelz, là venus, avecques les autres garnisons, coururent le pays de Boulenois et y firent de grans dommages. Et finablement boutèrent les feux et ardirent la ville de Sammer ou Bois' et prindrent d'assault le fort de Russault'. Si pillèrent et robèrent tout et puis boutèrent le feu dedens. Pour auxquelz résister, le Roy envoia à Saint-Omer le conte Waleran, son connestable, le seigneur de Rambures, maistre des arbalestriers, et le seigneur de Heilly, à tout grant nombre de gens d'armes, qui furent mis en garnison sur les frontières de Boulenois. Et par ainsy de tous costez fut le pays fort oppressé.

Et ce pendant le roy de France s'en retourna dedens Paris et se loga en son hostel de Saint-Pol. Pour laquelle venue les Parisiens firent et menèrent telle joye que non pas sans plus. Fut crié Noël! par toute la ville, mais fist-on feux par tous les quarrefours de Paris et grans luminaires et clartez de flambeaux, et crioit on toute la nuit : « Vive le Roy!» et fist-on grant feste de boire et de mengers. Avecques le Roy entrè

1. Samer-aux-Bois, à quatre lieues de Boulogne.

2. « Ruissault » (Suppl. fr. 93). Peut-être Ruisseauville (Pasde-Calais).

rent dedens Paris les ducs d'Acquitaine, de Bourgongne et de Bourbon et le conte de Vertus. Et la Royne avec les ducs de Berry et d'Orléans, demourèrent ou Bois de Vinciennes. Et de là, le dimenche ensuivant, ladicte Royne vint à Paris et se loga à Saint-Pol avec le Roy. Avec laquelle estoit parti le duc d'Orléans, lequel, quant il vint près de Paris, se sépara d'elle et s'en ala son chemin par dehors pour aler à Beaumont sa conté1. Et le duc de Berry demoura ou Bois de Vinciennes. Et combien que la ville de Chauny eust esté rendue au Roy en entencion qu'elle lui demourast perpétuelment, néantmoins ledit Roy la rendi au duc d'Orléans, auquel avecques ce il octroya cueillir une taille de soixante mille florins d'or, à prendre et lever sur ses subgetz pour ses afaires. Toutesfoiz de ses deux chasteaulx, Coucy et Pierrefons, ne pot onques finer de les ravoir. Et après qu'il eust esté audit lieu de Beaumont par aucuns jours, il se parti de là et s'en ala pardevers les Anglois, c'estassavoir le duc de Clarence, qui estoit venu, comme dit est, à sa demande, lequel il contenta de finances d'autant comme il en pot finer. Et pour ce qu'il ne peut recouvrer de toute la somme qu'on leur povoit devoir, ledit duc d'Orléans leur délivra le conte d'Angoulesme son mainsné frère, en plege pour le résidu, et avecques lui plusieurs gentilz hommes, c'estassavoir messire Marcel le Borgne, Jehan de Saveurs, Archembault de Villers Guillaume Boutiller, Jehan David et aucuns autres serviteurs, lesquelz tous ensemble vindrent et furent emmenez par ledit duc de Clarence, qui, à tous ses

1. Beaumont-sur-Oise.

Anglois, s'en ala ou pays de Guienne. Et fut là baillé icellui conte d'Angoulesme pour la somme de trois cens et dix mille frans, monnoie de France. Et quant ledit duc d'Orléans eut ainsi chevy', il retourna à Blois. Si demourèrent iceulx hostages ou pays d'Angleterre par très long temps, comme cy-après sera déclairé. Et depuis, ledit duc d'Orléans envoya devers le Roy aucuns de ses chevaliers notables, pourchacer pour ravoir ses fortresses de Couci et de Pierrefons que tenoit le connestable. Mais non obstant que le Roy baillast ses lectres et mandemens royaulx pour les faire rendre, néantmoins icellui connestable n'y volt obéir, mais fist response que jusques à tant qu'il seroit restitué de certaine somme d'argent qu'il avoit presté à ses gens d'armes pour les conquerre, ne les rendroit. Disant oultre que le Roy lui avoit promis audit lieu de Coucy capitaine, messire Gerard de Herbaumes, et à Pierrefons messire Colart de Fiennes. Lequel chastel de Pierrefons, qui estoit moult bel et puissant, fut ars en une nuit. Dont moult despleut audit duc d'Orléans, mais il ne le peut avoir autre et lui convint souffrir.

2

En oultre en ces propres jours le duc de Bourgongne qui se tenoit à Paris d'emprès le Roy, fist prendre prisonnier messire Bourdin de Saligni et le mener prisonnier ou pays de Flandres. Lequel messire Bourdin estoit moult privé et familler dudit duc. Et eut aucune renommée qu'il se vouloit tourner du parti d'Or

1. Eut ainsi chevy, donné de son bien. On entendait par la chevance, son bien, ce qu'on possédait.

2. « Luy avoit promis, et avoit commis audit Couchy, etc. » (Suppl. fr. 93.)

léans et avoit descouvert aucuns des secrès d'icellui duc '.

Et durant ce temps y eut aucunes paroles entre le bastard de Bourbon et un boucher de Paris nommé Denisot de Chaumont, assez rigoreuses. Et dist audit boucher: «< Paix, paix! on te trouvera une autre foiz. » Et tantost après ledit Denisot qui avoit grant audience avecques les autres bouchers les esmeut et fist tant que avec grant peuple de Paris ilz se mirent en armes et tendirent leurs chaynes. Mais en fin ilz furent rapaisez. par le duc de Bourgongne.

Et adonc Jehan duc de Bourbon fut envoyé par le Roy et son grant conseil on pays de Languedoc avec le conte d'Armignac et le seigneur d'Albreth, pour. résister aux entreprinses du duc de Clarence et de ses Anglois qui adonc séjournoient ou pays d'Acquitaine et traveilloient fort les frontières d'environ tenans la partie des François.

CHAPITRE XCVIII.

Comment le duc de Berry fut fort oppressé de maladie en son hostel à Paris et autres besongnes de ce temps.

En ces jours le duc de Berry, [qui] estoit venu à Paris devers le Roy son nepveu pour estre au conseil qui là se devoit tenir, fut très griefment oppressé de

1. Les reg. du parlement l'appellent Lourdin. Voici une note qui le concerne, mise en marge du registre du Conseil coté XIII (fol. 167). Iste Lourdinus, qui erat familiarissimuş domini ducis Burgundiæ, suo precepto ductus fuit ad Flandriam, ut dicitur, carceri mancipandus, circa festum sancti Andrea CCCCXII. La S. André tombe le 30 novembre.

maladie en son hostel de Neelle, et là par sa fille la duchesse de Bourbon 1, qui pour ceste cause vint audit lieu de Paris, fut très diligemment visité et le servi et administra doulcement jusques à ce qu'il fut en bonne santé. Et pareillement fut soigneusement visité de son nepveu le duc Jehan de Bourgongne.

Et cependant, ladicte duchesse de Bourbon impétra devers le Roy et les ducs d'Acquitaine et de Bourgongne que le corps de Vignet d'Espineuse, jadiz chevalier du seigneur de Bourbon son seigneur et mary, fust osté de Montfaulcon et son chef des hales où il avoit esté mis grant temps paravant par la justice du Roy. Si le fist porter acompaigné de plusieurs de ses amis en la ville d'Espineuse en la conté de Clermont, où il fut enterré dedens l'église assez honnourablement.

Et adong par le duc de Bourgongne dessusnommé, estant à Paris comme dit est, se conduisoient la plus grant partie des besongnes et afaires du royaume par son conseil et de ceulx à lui favorables. Et non obstant que par la paix et traictié d'Aucerre eust esté promis de par le Roy et les seigneurs de son sang que ung chascun, de quelque estat qu'il feust et quelque partie qu'il eust tenu, seroit remis en ses biens et héritages et aussi en offices et bénéfices, néantmoins en y eut plusieurs qui celle grace et bénéfice ne porent obtenir quelque diligence qu'ilz en feissent, et par espécial grant partie de ceulx qui avoient tenu la partie d'Orléans, lesquelz furent mis de celle grace en délay. Et pour ce et pour autres causes, s'entretindrent tousjours les envies secrètement entre lesdictes parties, et

1. Marie de Berri, femme de Jean Ier, duc de Bourbon.

« 前へ次へ »