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croyois pas qu'il fût du refpect à un cardinal d'être venu fi près du pape pour fortir de Rome fans lui baifer les pieds, & qu'ainfi tout ce que je pouvois faire dans l'extrêmité où je me trouvois, étoit de m'abandonner à la providence de Dieu, & d'aller dans un quart-d'heure tout feul à la meffe, s'il lui plaifoit, avec lui, dans une petite églife qui étoit à la vue du logis. L'abbé de la Rochepofai s'apperçut que je me moquois de lui, & il fortit de mon logis affez mal fatisfait de fa négociation, de laquelle à mon avis il avoit été chargé par le pauvre cardinal Antoine, bon-homme mais foible au-delà de l'imagination. Je ne laiffai pas de faire donner avis au pape des menaces, & il envoya auffi-tôt au comte Vidman, noble Vénitien, colonel de fa garde, l'abbé Charrier, pour lui dire qu'il Lui répondroit de ma perfonne, en cas que s'il voyoit la moindre apparence de mouvement dans la faction de France il ne difposât pas comme il lui plairoit de fes Suiffes, de fes Corfes, de fes lanciers & de fes chevaux - légers. J'eus l'honnêteté de faire donner avis de cet ordre à M. le cardinal d'Eft, quoiqu'indirectement, par monfignor Scotti; & M. le cardinal d'Eft eut av ffi la bonté de me laiffer en

repos.

Le pape me donna une audience de qua→ tre heures dès le lendemain, où il me donna toutes les marques d'une bonne volonté qui étoit bien au-deffus de l'ordinaire, & d'un génie qui étoit bien au-dessus du commun. Il s'abaiffa jufqu'au point de me faire des excufes de ce qu'il n'avoit pas agi avec plus de vigueur pour ma liberté. Il en verfa des larmes, même avec abondance, en me difant : « Dio lo pardoni à ceux qui ont manqué de me donner » le premier avis de votre prifon. Ce for» fante de Valancey me furprit, & il me vint dire que vous étiez convaincu d'avoir attenté fur la perfonne du roi. Je ne vis aucun courier, ni de vos proches, ni de vos amis. L'ambaffadeur eut tout le loifir de débiter ce qu'il lui plut, & d'amortir le premier feu du facré collége, dont la moitié crut que vous étiez abandonné de tout le royaume,

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voyant ici perfonne de votre part ». L'abbé Charrier, qui, faute d'argent étoit demeuré dix ou douze jours à Paris depuis: ma détention, m'avoit inftruit de tout ce détail à l'Hofpitalita, & il y avoit même ajouté qu'il y feroit peut-être demeuré encore long-tems, fi l'abbé Amelot ne luk avoit apporté deux mille écus. Ce délai me coûta cher; car il eft vrai que fi le pape

eut été prévenu par un courier de mes amis, il n'eut pas donné audience à l'anbaffadeur, ou il ne la lui auroit donnée qu'après qu'il auroit pris lui-même fes réfolutions. Cette faute fut capitale, & d'autant plus qu'elle étoit de celles que l'on peut aifément s'empêcher de commettre. Mon intendant avoit quatorze mille livres de mon argent, quand je fus arrêté; mes amis n'en manquoient pas même à mon égard, comme il parut par les affiftances qu'ils me donnerent dans les fuites. Ce n'eft pas l'unique occafion, dans laquelle j'ai re marqué que l'averfion que la plupart des hommes ont à fe deffaifir, fait qu'ils ne le font jamais affez-tôt, même dans les rencontres où ils font les plus réfolus de le faire. Je ne me fuis jamais ouvert à qui que ce foit de ce détail, parce qu'il touche particuliérement quelques-uns de mes amis. Je fuis uniquement à vous, & je vous dois la vérité toute entiere.

Le pape tint confiftoire le jour qui fuivit l'audience, dont je viens de vous rendre compte, tout exprès pour me donner le chapeau. Et comme, nie dit-il, voftro protettore di quanto baiocchi, (il n'appelloit jamais autrement le cardinal d'Eft) eft tout propre à faire quelqu'impertinence en cette occafion, il le faut amufer, & lui

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faire croire que vous ne viendrez point au confiftoire. Cela me fut aifé; parce que j'étois dans la vérité très-mal de mon épaule, & fi mal, que Nicolo, le plus fameux chirurgien de Rome, difoit que fi l'on n'y travailloit en diligence, je courois fortune de tomber dans des accidens encore plus fâcheux. Je me mis au lit fous ce prétexte, au retour de chez le pape. Il fit courir je ne fais quel bruit touchant ce confiftoire qui aida à tromper les François. Ils y alferent tous bonnement, & ils furent fort étonnés quand ils m'y virent entrer avec le maître des cérémonies, & en état de recevoir le chapeau. Meffieurs les cardinaux d'Eft & des Urfins fortirent, & le cardinal Bichi demeura. L'on ne peut s'imaginer l'effet que ces fortes de pieces font en faveur de ceux qui les jouent bien, dans un pays où il eft moins permis de paffer pour duppe qu'en lieu du monde.

La difpofition où le pape étoit pour moi, laquelle alloit jufqu'au point de penser à m'adopter pour fon neveu, & l'indifpofition cruelle qu'il avoit contre M. le cardinal Mazarin, euffent apparemment donné dans peu d'autres fcènes, s'il ne fût tombé malade trois jours après, de la maladie de laquelle il mourut au bout de cinq femaines. De forte que tout ce que je pus faire

avant le conclave, fut de me faire traiter de ma bleffure. Nicolo me démit l'épaule pour la feconde fois, pour la remettre. I me fit des douleurs inconcevables, & il ne réuffit pas dans fon opération. La mort du pape arriva, & comme j'avois prefque toujours été au lit, je n'avois eu que fort peu de tems pour me préparer au conclave, qui devoit être toutefois, felon toutes les apparences, d'un très-grand embarras pour moi. M. le cardinal d'Eft difoit publiquement qu'il avoit ordre du roi, non-feulement de ne point communiquer avec moi, mais même de ne me point faluer. Le duc de Terra-Nova, ambaffadeur d'Efpagne, m'avoit fait toutes les offres imaginables de la part du roi fon maître, auffi-bienque le cardinal de Harrach 'au nom de l'Empereur. Le vieux cardinal de Medicis, doyen du facré collége & protecteur d'Efpagne, prit d'abord une inclination naturelle pour moi. Mais vous jugez affez, par ce que vous avez vu de Saint-Sébastien & de Vivaros, que je n'avois pas deffein d'entrer dans la faction d'Autriche. Je n'ignorois pas qu'un cardinal étranger, perfécuté par fon roi, ne pouvoit faire qu'une figure très-médiocre dans un lieu où les égards que le général & les particuliers ont pour les couronnes, ont encore plus de force

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