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que par rapport à ce qui l'avoit immédiatement précédée, et en réalité, bien que sans le savoir, elle étoit plutôt une restauration, un retour à un état qui avoit existé. Le treizième siècle et une grande partie du quatorzième avoient été et restent, maintenant qu'ils sont connus, des siècles de véritable splendeur pour la langue. Sa construction est claire, les mots bien faits, bien digérés; elle est vraiment riche et arrivée à un état sain et complet, qui pouvoit s'améliorer encore, mais qui ne demandoit qu'à étre modifié, et non bouleversé et pour ainsi dire détruit. C'est pourtant ce qu'ont fait le quinzième et le seizième siècles, qui ont surchargé la construction et l'ont rendue incompréhensible; qui surtout, se reprenant directement au latin, n'ont pas vu que la langue avoit pris autant de latin qu'il lui en falloit, mais de la meilleure façon, c'est-à-dire l'avoit transformé et se l'étoit assimilé. Ne le reconnoissant pas sous sa forme nouvelle, ils ont voulu donner à la langue ce qu'elle avoit déjà, mais ce qu'ils croyoient lui manquer, et, dans cette pensée, ils l'y ont fait entrer de force, sans intermédiaire, sans préparation, de sorte que ce nouvel élément, ainsi introduit imprudemment, a fait plus de mal

que de bien, a détruit au lieu d'édifier, et appauvri au lieu d'enrichir : car cette profusion inutile et creuse a, par une réaction naturelle, amené une certaine pauvreté, auparavant inconnue, mais nécessaire pour revenir à la simplicité, qui est toujours la première condition de la vie. Il

fallu employer la hache pour refaire des routes et des éclaircies, comme dans une forét redevenue inextricable; mais il faut rendre à ses premiers maîtres cette justice de reconnoître qu'elle étoit de leur temps déjà percée et bien aménagée, et que, si les taillis et les ronces, reprenant possession de ce que la main des hommes leur avoit déjà enlevé, avoient supprimé les chemins et la lumière, il s'en faut prendre à la conduite des successeurs, qui ont fait payer à l'avenir la peine de la faute commise par eux en voulant faire mieux que leurs pères.

On comprend que ce n'est pas ici le lieu d'insister sur cette question; mais il étoit naturel, et pour ainsi dire obligatoire, d'en rappeler les conclusions, pour diminuer l'étonnement que pourroient inspirer à ceux qui liront ces poésies leur clarté et leur forme vraiment françoise. Ils ne comprendroient pas, autrement, qu'une

chose relativement àncienne fût plus claire, plus intelligible, et, en mettant de côté la différence purement extérieure de l'orthographe, plus voisine de notre langue actuelle, et comme mots et comme construction, que des œuvres postérieures. On verra, en les lisant, que, si le sujet et le motif en sont légers et presque insignifiants, la forme y a une súreté, une élégance, une valeur de style beaucoup plus fréquentes alors qu'on ne le croiroit. Que notre auteur ait ou n'ait pas été connu de Charles d'Orléans, dont la pureté est une exception dans son siècle, il est un de ses ancêtres littéraires, et il y auroit à s'étonner que Jehannot de Lescurel fút si long-temps resté dans l'oubli, si son bagage littéraire eût été plus considérable; mais quelques rondeaux et quelques ballades font trop peu de bruit et tiennent trop peu de place pour attirer sur eux l'attention, et je ne les connoîtrois pas moi-même si, en préparant une édition de l'important roman de Fauvel, je ne les avois, il y a long-temps, rencontrés aux manuscrits de la Bibliothèque impériale, dans un de ceux qui contiennent ce singulier ouvrage.

Ils se trouvent en effet, et nous n'en

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connoissons que cette seule copie, dans la meilleure et la plus complète leçon du roman de Fauvel, manuscrit grand in-folio qui porte le n° 6812, et pour la description duquel on peut voir les Manuscrits françois de M. Paulin Páris, I, p. 304. Les chansons de notre poète sont à la suite du roman, et occupent six feuillets, sur lesquels elles sont écrites à trois colonnes; elles sont accompagnées de la musique, qui ne se trouve qu'au premier couplet de chaque pièce, et les autres sont écrits comme de la prose et sans distinction de vers. Dans les deux dernières pièces, beaucoup plus longues, et qui sont des espèces de fatrasies, sans avoir l'obscénité de celles publiées par Méon et par Jubinal, les vers · sont distingués, et il n'y a de musique qu'aux refrains, qui sont pris à d'autres poésies, quelquefois à celles mêmes de l'auteur, et qui sont le cadre et l'échafaudage de ces pièces, comme les rimes dans les bouts rimés. Cette musique ne peut trouver place dans notre publication; mais, pour ne pas perdre cette indication de poésies qui se retrouveront peut-être, nous avons imprimé ces vers-là en italiques, pour les bien distinguer des autres. Quelques pièces sont mises dans la bouche

de femmes. Il ne nous a pas paru nécessaire de l'indiquer, tant il sera facile au lecteur de s'en apercevoir.

Quant à l'auteur lui-même, nous n'avons exactement rien à ajouter à son nom, et c'est même un grand hasard qu'il nous ait été conservé: car, ne se trouvant dans aucune de ses pièces, et leur réunion n'ayant pas un titre où il pút entrer, la perte en étoit on ne peut plus facile. Heureusement, non pas à côté des chansons, comme on auroit dû s'y attendre, mais dans une table générale, au commencement du volume, se trouve, en tête de la partie consacrée à ces chansons, cette mention précieuse : « Item balades, rondeaux et diz » entez sur refroiz de rondeaux, lesquiex >> fist Jehannot de Lescurel, dont les com» mencemens s'ensuivent. » Le temps exact où il a vécu est impossible à déterminer; il ne peut cependant dépasser le milieu du quatorzième siècle, puisque le manuscrit est de cette époque. Peut-être pourroit-on tirer quelque supposition sur sa patrie de son nom méme, Jean de l'Ecureuil, qui peut venir d'un ancien nom de localité; l'on peut croire cependant, à la manière dont le seul nom de Paris passe dans ses vers, et malgré l'emploi unique de

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