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» m'a dit qu'il étoit honnête homme, pauvre et » malheureux : ce sont là trois grands titres à la protection de la France.

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Agréez, Monsieur, je vous prie, etc. »>

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F. A. DE CH.

Jean et Julien ayant porté nos bagages à bord, je m'embarquai le 16, à huit heures du soir. La mer étoit grosse et le vent peu favorable. Je restai sur le pont aussi longtemps que je pus apercevoir les lumières de Jafa. J'avoue que j'éprouvois un certain sentiment de plaisir, en pensant que je venois d'accomplir un pélerinage que j'avois médité depuis si long-temps. J'espérois mettre bientôt à fin cette sainte aventure, dont la partie la plus hasardeuse me sembloit achevée. Quand je songeois que j'avois traversé presque seul le continent et les mers de la Grèce; que je me retrouvois encore seul, dans une petite barque, au fond de la Méditerranée, après avoir vu le Jourdain, la mer Morte et Jérusalem, je regardois mon retour par l'Egypte, la Barbarie et l'Espagne, comme la chose du monde la plus facile je me trompois pourtant.

Je me retirai dans la chambre du capitaine, lorsque nous eûmes perdu de vue les lumières de Jafa, et que j'eus salué pour la dernière fois les rivages de la Terre-Sainte; mais le lendemain à la pointe du jour, nous découvrîmes encore la côte en face de Gaza, car le capitaine avoit fait route au midi. L'aurore nous amena une forte brise de l'orient, la mer devint belle, et nous mîmes le cap à l'ouest. Ainsi je suivois absolument le chemin qu'Ubalde et le Danois avoient parcouru pour aller délivrer Renaud. Mon bateau n'étoit guère plus grand que celui des deux cheva-. liers, et comme eux j'étois conduit par la Fortune. Ma navigation de Jafa à Alexandrie ne dura que quatre jours, et jamais je n'ai fait sur les flots une course plus agréable. et plus rapide. Le ciel fut constamment pur, le vent bon, la mer brillante. On ne changea pas une seule fois la voile. Cinq hommes composoient l'équipage de la saïque, y compris le capitaine; gens moins gais que mes Grecs de l'île de Tino, mais en apparence plus habiles. Des vivres frais, des grenades excellentes, du vin de Chypre, du café de la meilleure qualité nous tenoient dans l'abon

dance et dans la joie. L'excès de ma prospérité auroit dû me causer des alarmes; mais quand j'aurois eu l'anneau de Polycrate, je me serois bien gardé de le jeter dans la mer, à cause du maudit esturgeon.

Il y a dans la vie du marin quelque chose d'aventureux qui nous plaît et qui nous attache. Ce passage continuel du calme à l'orage, ce changement rapide des terres et des cieux, tiennent éveillée l'imagination du navigateur. Il est lui même, dans ses destinées, l'image de l'homme ici-bas: toujours se promettant de rester au port, et toujours déployant ses voiles; cherchant des îles enchantées où il n'arrive presque jamais, et dans lesquelles il s'ennuie s'il y touche; ne parlant que de repos, et n'aimant que les tempêtes; périssant au milieu d'un naufrage, ou mourant vieux nocher sur la rive, inconnu des jeunes navigateurs dont il regrette de ne pouvoir suivre le vaisseau.

Nous traversâmes le 17 et le 18 le golfe de Damiette: cette ville remplace à peu près l'ancienne Peluse. Quand un pays offre de grands et de nombreux souvenirs, la mémoire, pour se débarrasser des tableaux qui

l'accablent, s'attache à un seul évènement; c'est ce qui m'arriva en passant le golfe de Peluse je commençai par remonter en pensée jusqu'aux premiers Pharaon, et je finis par ne pouvoir plus songer qu'à la mort de Pompée; c'est selon moi le plus beau morceau de Plutarque et d'Amyot son traduc

teur:

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Cependant la barque s'approcha, et Septimius se leva le premier en pieds qui » salua Pompeius, en langage romain, du » nom d'Imperator, qui est à dire, souve>> rain capitaine, et Achillas le salua aussi en » langage grec, et luy dit qu'il passast en sa barque, pource que le long du rivage il » y avoit force vase et des bans de sable, » tellement qu'il n'y avoit pas assez eau » pour sa galère; mais en mesme temps on » voyoit de loing plusieurs galères de celles » du roy, qu'on armoit en diligence, et toute >> la coste couverte de gens de guerre, telle»ment que quand Pompeius et ceulx de sa >> compagnie eussent voulu changer d'advis, >> ils n'eussent plus sceu se sauver, et si y > avoit d'avantage qu'en monstrant de se déf» fier, ilz donnoient au meurtrier quelque

>> couleur d'exécuter sa meschanceté. Par

» quoy prenant congé de sa femme Cornelia,

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>>

laquelle desjà avant le coup faisoit les la>>mentations de sa fin, il commanda à deux >> centeniers qu'ilz entrassent en la barque de l'Egyptien devant luy, et à un de ses serfs >> affranchiz qui s'appeloit Philippus, avec » un autre esclave qui se nommoit Scynes. » Et comme ja Achillas luy tendoit la main de » dedans sa barque, il se retourna devers » sa femme et son filz, et leur dit ces vers » de Sophocles:

>>

Qui en maison de prince entre, devient
Serf, quoy qu'il soit libre quand il y vient.

» Ce furent les dernières paroles qu'il dit >> aux siens, quand il passa de sa galère en la barque et pource qu'il y avoit loing de » la galère jusqu'à la terre ferme, voyant » que par le chemin personne ne lui enta» moit propos d'amiable entretien, il regarda » Septimius au visage, et luy dit : « Il me sem» ble que je te recognois, compagnon, pour >> avoir autrefois esté à la guerre avec moy. » >> L'autre lui feit signe de la teste seulement qu'il étoit vray, sans luy faire autre response

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